Cinéma : le besoin de liberté, point commun des Nouvelles Vagues française et tchécoslovaque
Le Festival du film français s’achève ce mercredi. Parmi les nombreux invités de cette 25e édition, le président d’Unifrance, Serge Toubiana, spécialiste de François Truffaut et amoureux de son cinéma et de la Nouvelle Vague. Au micro de Radio Prague Int., il est entre autres revenu sur les parallèles entre ce mouvement cinématographique des années 1960 en France et en Tchécoslovaquie, mais avant cela, il a rappelé le rôle important du Festival du film français comme passerelle vers la distribution de films français en Tchéquie.
« C’est important, parce que le fait de faire des avant-premières, d’inviter des artistes, des acteurs, des actrices, des réalisateurs, des producteurs, des professionnels, cela encourage le public à venir. Cela encourage les professionnels tchèques à aimer notre cinéma. J’y suis très sensible. C’est une manière de promouvoir le modèle français. Car le modèle français, c’est quoi ? C’est un souci de l’indépendance, de la diversité, de la coproduction. Ce sont quand même les points forts de notre cinéma, c’est que l’on coproduit beaucoup. »
Et pour le coup il y a beaucoup de coproductions avec la Tchéquie d’ailleurs, beaucoup de films d’animation notamment…
« L’animation c’est une tradition en Tchéquie, et nous sommes aussi forts. C’est bien. »
Vous êtes à Prague aussi dans le cadre du 25e anniversaire du festival, mais aussi pour parler de François Truffaut, vous avez présenté Baisers volés, et Jules et Jim qui est un film merveilleux. Qu’est-ce que l’on peut dire aujourd’hui encore sur ces films, qui n’a pas été dit ?
« C’est étonnant parce que Truffaut est mort il y a longtemps, en 1984, cela fait donc 38 ans. Pour moi, c’est une date tellement forte dans ma vie que je m’en souviens encore quoi. Je me souviens du moment, de là ou j’étais. Ce qui est étonnant c’est qu’il est toujours présent. Les films de Truffaut ont une durée de vie incroyable, c’est-à-dire que le public, de générations en générations, se transmet cette curiosité, je dirais parfois cet engouement même, pour son œuvre. J’ai toujours pensé que les films de Truffaut vieillissaient mieux que les autres parce qu’ils étaient déjà un peu vieux, au moment où ils se faisaient. Truffaut avait une sorte de souci de ne pas être à la mode. C’est-à-dire de ne pas trop intégrer dans ses films des éléments contemporains, de langage, de gestuelle, ou de costume, pour laisser leur chance à ces films de vivre avec le temps. Il a réussi pleinement. Prenons Jules et Jim, film de 1962 : cela fait 60 ans, et le film a toujours cette force romanesque. C’est un film qui se passe pendant et autour de la guerre de 14-18. Le film garde une force romanesque presque intacte.
Baiser volés est un film que j’aime beaucoup parce qu’il est vraiment situé dans son époque, il est tourné au printemps 1968, période importante, aussi bien en France, qu’ici, Tchéquie. Il est très contemporain, et pour moi, c’est un révélateur des comportements sentimentaux : Truffaut est un cinéaste de l’éducation sentimentale. »
Il n’y a pas que François Truffaut, il y a aussi Alain Resnais qui fait l’objet d’un hommage dans le cadre de cet anniversaire. Est-ce que le cinéma français d’aujourd’hui a gardé quelque chose de la Nouvelle Vague, ou alors tout cela s’est finalement dilué ?
« Je trouve que le cinéma contemporain, et beaucoup de cinéastes contemporains français, pas que français, américains, étrangers, ont un rapport très fort à la Nouvelle Vague. Pour vous donner un exemple, le dernier film que j’ai vu et qui m’a emballé, c’est Armageddon time, de James Gray. Il y a une référence explicite aux Quatre-cents coups de François Truffaut, on retrouve une scène similaire. Il y a deux enfants new yorkais, on est en 1980, c’est l’enfance de James Gray, et ces deux enfants volent un ordinateur dans une école. On pense aux Quatre-cents coups, à Antoine Doinel, Jean-Pierre Léaud, qui vole une machine à écrire avec son copain, René, dans un bureau des Champs Elysées. Ici, c’est explicite, mais quand je pense à des cinéastes que j’apprécie, comme Arnaud Desplechin, Mia Hansen Løve, Olivier Assayas, Emmanuel Mouret et j’en passe, tous ont un rapport à cette Nouvelle Vague. C’est très présent, parce que dès que l’on a le souci de raconter une histoire, de créer une œuvre romanesque, où les sentiments sont présents, nécessairement la référence à ces grands cinéastes de la Nouvelle Vague se fait sentir, non pas comme un poids, un devoir, ou une citation explicite, mais comme une espèce d’inspiration.
Je pense à beaucoup de cinéastes américains aussi : Scorcese souvent fait référence à ce mouvement, comme A bout de souffle. Puisque Godard est mort il y a deux mois, on en parle beaucoup. Maintenant qu’il n’est plus là, c’est plus facile d’en parler, il est moins intimidant. Godard a beaucoup influencé le cinéma mondial, pas seulement français, sur une façon de faire, une certaine désinvolture, un rapport à l’art tout simplement, à la beauté. La Nouvelle Vague est loin derrière nous, mais elle a creusé un sillon. Et puis elle a surtout donné envie aux cinéastes d’être indépendants et libres. »
On fait souvent le parallèle de cette Nouvelle Vague française du cinéma, à la Nouvelle Vague du cinéma tchécoslovaque. Ce ne sont pas forcément les mêmes styles, ce ne sont pas forcément les mêmes enjeux, et pourtant je pense quand même qu’il y a des dynamiques un peu similaires. Comment est-ce que vous expliqueriez ces deux miracles cinématographiques à la même époque ?
« Le besoin de liberté. C’est clair. Au début des années 1960, dans les écoles de cinéma, à Łódź, en Pologne, ici à Prague, à Paris, en Italie, au Japon, au Canada ; partout à ce moment-là, comme à Londres, avec ce que l’on appelait le free-cinema, il y a une envie de liberté, d’écriture plus libre, de documentaire. En Suisse aussi - je pense à Alain Tanner, qui est mort il y a trois mois -, on retrouve une envie de se servir du cinéma comme un outil d’écriture plus léger, plus libre.
Dans certains pays, c’est le cas de la Tchécoslovaquie, à l’époque, cela se double d’un besoin de liberté d’expression tout simplement. Je n’oublierai jamais quand j’étais jeune, j’avais 16 ans, Les amours d’une blonde, je n’oublierai jamais l’effet que cela a eu sur moi. J’étais un jeune homme, à Grenoble, au lycée quand j’ai vu ce film de Miloš Forman, et au même moment, j’ai vu aussi Les poings dans les poches de Marco Bellocchio.
Pour moi, ces films ont été des déclencheurs incroyables sur le plan à la fois artistique et surtout sur son plan humain. Des cinéastes qui racontaient des histoires avec une liberté, une insolence, et un humour pour ce qui est du cinéma tchécoslovaque, il y avait un humour incroyable. L’humour était un refuge pour pouvoir critiquer quelque chose sans trop risquer la censure, or la censure était là. Les censeurs étaient moins doués. C’est-à-dire que le cinéma devenait une arme de dérision, je ne dirais pas une arme politique, parce que c’est donner au cinéma peut-être plus de pouvoir qu’il n’en a, mais un pouvoir de dérision. Et donc cela venait aussi de Prague. »
Est-ce que ces phénomènes cinématographiques seraient possibles aujourd’hui à l’heure où beaucoup de choses s’uniformisent, où se sont développées les plateformes en ligne ? Est-ce qu’il peut y avoir des îlots de créativité ?
« Je trouve que le cinéma aujourd’hui est très libre. D’abord il se fabrique partout dans le monde : il y a l’émergence d’un cinéma en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique, en Afrique du Nord. J’étais dans un jury à Carthage il y a quinze jours, j’ai vu des films incroyables, marocains, tunisiens, africains.
Aujourd’hui, le cinéma pousse partout. Ça pousse comme de la bonne herbe ou de la mauvaise herbe, peu importe selon le point de vue que l’on a, mais c’est vrai qu’il est potentiellement une arme. Pas une arme parce que je n’aime pas beaucoup ce langage parce que cela fait un peu guerrier, il ne faut pas non plus outrepasser le rôle du cinéma, c’est d’abord un loisir ; mais il peut être aussi une arme éducative : on apprend, on éduque, on s’éduque en regardant des images. Et puis surtout, il donne à des pays qui n’ont pas d’existence forte sur le plan de l’identité culturelle, il leur donne une existence sur la carte du monde. Quand un pays produit un film, il existe dans une carte imaginaire, donc le pays existe dans le panorama général.
En France, on est gavés, on existe, on a inventé le cinéma depuis 127 ans, on est blasés. J’étais en Tunisie, et ils fêtaient le centenaire du cinéma, 27 ans après nous, parce que le cinéma y est né plus tard. C’est le cas dans beaucoup de pays, il est né plus tard, mais ce n’est pas grave, le retard est à l’origine, mais depuis, ce que l’on espère c’est que partout le cinéma soit un art, un plaisir, un loisir, une écriture, libre, pour des tas de gens qui ont du talent, hommes et femmes. »