« Quand Petr Pavel est en colère, ce sont des colères calmes »
Michaela Lebeda est récemment rentrée de Bruxelles à Prague, où elle a activement participé à la campagne du nouveau président Petr Pavel, qui a prêté serment ce jeudi. Coordinatrice et gestionnaire des volontaires, elle a parlé de cette expérience pré-électorale au micro de RPI.
RPI : Comment se sont passés ces mois de campagne pour vous ?
Michaela Lebeda : « Très intenses. Ça a commencé soft et, petit à petit, plus on approchait de la date du scrutin, plus c’était des 12h, 16h de travail par jour parfois… »
Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans cette aventure ?
« C’est clairement le candidat. Le profil du candidat, totalement. »
Pourquoi lui ?
« J’ai vécu en Belgique, donc je le connaissais déjà lorsqu’il travaillait pour l’OTAN à travers la communauté des expatriés tchèques. Il était assez connu et il avait une très bonne réputation. Et surtout, il jouait au hockey sur glace avec mes copains. La communauté tchèque en Belgique se rencontre de temps en temps pour faire des matchs. Et là je connaissais un peu les histoires de la hospoda, de bars quand il se prenait des petites bières après leurs matchs. Et il me semblait être une chouette personne avec de belles valeurs. »
Milion chvilek pro demokracii
Le début de la campagne, ça a été quoi concrètement et quand ?
« J’étais très active dans une association qui s’appelle Milion Chvilek (Un million demoments pour la démocratie), que j’ai quittée pour plusieurs raisons. Je me suis retrouvée inoccupée pendant un ou deux mois. Un ancien collègue m’a demandé si j’étais prête à signer la pétition pour que Petr Pavel puisse candidater. C’était en 2020, avant le COVID. C’est là où j’ai commencé à me poser la question, à démarcher mes contacts à Bruxelles, à poser des questions sur lui, plus profondes. Des questions vraiment orientées sur lui en tant que candidat, est ce qu’on pouvait le considérer comme quelqu’un qui pourrait gagner. J’ai eu des retours énormes, qui m’ont rassurée. Je connaissais des gens dans son équipe, qui n’était pas encore une équipe de campagne car il avait monté une association pour aider les gens. C’était une charité pour aider les médecins, qui organisait des séminaires sur la sécurité, pour sensibiliser au rôle de l’OTAN. Et en même, temps il aidait les gens pendant le COVID, avec les masques, et l’aide psychologique au personnel etc. Et donc, je connaissais les gens qui ont monté l’association avec lui. »
« Je les ai contactés en leur disant : si vous pensez vraiment à lancer la candidature, je serais prête à vous aider si vous estimez que je peux apporter quelque chose. On discutait mais il n’y avait rien de concret parce qu’ils n’étaient pas encore totalement prêt pour se lancer dans la campagne. Pendant un an, je travaillais sur mes propres projets puis on a recommencé à discuter un an avant le lancement de la campagne. Là encore on s’était dit ce serait intéressant que je monte à bord et que je pourrais apporter quelque chose. Puis de nouveau un grand silence. »
« En mai 2022, il est arrivé à Bruxelles pour faire un débat sur l’Ukraine. On a commencé à récupérer les signatures pour la pétition. On m’avait demandé si je pouvais aider à démarcher les gens, récupérer les signatures, et faire le follow-up pour ceux qui n’avaient pas encore signé, de voir un peu tous les expatriés à Bruxelles. L’équipe a vu comment j’approchais les gens, et l’alchimie s’est produite. C’était sûr que je montais à bord. »
« C’était déjà au moment où j’avais décidé de déménager à Prague, j’avais déjà inscrit les enfants à l’école. Donc ça a été une bonne alchimie, au bon moment, avec le bon candidat. Celui que j’estimais être le bon candidat m’avait choisi en tant que personne qui pourrait l’aider sur le projet et sur un timing où j’étais disponible. Tout marchait dans le bon sens. »
Quel a été votre rôle ?
« Au début j’aidais l’équipe qui s’occupait des volontaires : à les motiver, organiser des événements dans toute la République tchèque. »
Ça représentait beaucoup de monde ces volontaires ?
« On avait une belle base de données, des coordinateurs, des responsables dans chaque région, qui eux aussi récupéraient et organisaient leurs volontaires autour d’eux. Ça nécessitait beaucoup de communication quand même. On était 5 à gérer tout ça. »
« Une fois qu’on avait récupéré toutes les signatures, je me suis orientée sur le digital. J’ai intégré l’équipe qui gérait le contenu sur les réseaux sociaux, pour communiquer et créer la communauté online. Un moment donné, il y a eu un regroupement des volontaires des candidats perdants, qui nous soutenaient. »
Les volontaires de Danuše Nerudová ?
« Par exemple, mais pas seulement elle, les volontaires de P. Fischer, de M. Hilšer etc.. qu’il a fallu intégrer dans notre mécanisme, et aussi balayer les émotions ce qui n’étaient pas évidents non plus, parce que c’était quand même les perdants. Mais on avait tous le même but, c’était de vaincre Andrej Babiš. Pour moi c’était le moment le plus fort. La rencontre après le premier tour lorsqu’on a gagné. La rencontre dans un bar avec tous les coordinateurs, on discutait et on se rendait dompte que l’on était tous des anciens de Milion Chvilek. On avait déjà travaillé ensemble, on avait organisé Letna, les grandes manifestations…. »
Il faut préciser pour nos auditeurs que votre participation et leur participation à ce mouvement Milion chvilek a son importance. On dit que c’est ce qui a aidé à la victoire de ces partis de coalition qui sont aujourd’hui au gouvernement, pour battre Andrej Babiš et son mouvement ANO. C’est une continuité pour vous ?
« Oui, mais ce qui est rigolo, c’est qu’on est tous parti de l’association au même moment, parti sur d’autres projet. Et on s’est tous retrouvé sur les campagnes présidentielles pour soutenir différents candidats. Après c’est le network qui fonctionne et qui s’active au moment où il faut. C’est quelque chose, qui, je pense de manière évidente, a été initié par cette association. »
Paradoxalement, un des leaders de Milion Chvilek, de ce mouvement, a tenté de faire son entrée en politique et ça n’a pas marché du tout.
« Ça n’a pas marché du tout. Je pense aussi, je ne veux pas être méchante, mais que c’est aussi une raison pour laquelle Million Chvilek a perdu de sa crédibilité, et qu’une bonne partie des personnes ont quitté le mouvement. »
Des anciens de la campagne victorieuse de Zuzana Čaputová en Slovaquie
Vous parliez de moment fort - à part la victoire, d’autres choses vous viennent à l’esprit lorsque vous pensez à cette campagne victorieuse ?
« Je pense que ce qui a fait la victoire, évidemment c’est le candidat qui est génial. Mais c’est aussi l’équipe exceptionnelle, les différents profils de professionnels qui étaient vraiment de grands joueurs d’équipe. C’était mixte, hommes et femmes, assez équilibré, quasiment moitié, moitié je dirais. »
On a parlé de personnalités qui avaient également travaillé sur la campagne de la présidente slovaque, Zuzana Čaputová - est-ce que ça a été important ?
« Oui, je pense, absolument. Justement c’est Martin Burger chez qui je suis passée fin novembre début décembre pour renforcer son équipe. Et lui c’est vraiment quelqu’un de très fort, avec un grand cœur, posé et nous tous lorsqu’on était excité, quand on a eu des pressions de l’extérieur, il a réussi à écouter à poser les choses sur la table, à bien gérer et de prendre des décisions stratégiques adéquats pour la communication et pour le candidat. C’était un très bon élément, ainsi que son collègue Michal Repa qui vient aussi de l’équipe de Zuzana Čaputová et qui était dans le rôle de stratège. La combinaison des deux, Michal est beaucoup plus extraverti, je pense que c’était une belle équipe.
Attaques hybrides dans l'entre-deux-tours
Du point de vue extérieur, on a l’impression que les moments difficiles de la campagne étaient surtout liés au passé communiste de Petr Pavel, avec quelques déclarations qui ont plus de mal à passer que d’autres. De votre point de vue de l’intérieur, quels ont été les moments qui vous ont paru le plus difficiles ?
« Je pense qu’il y avait cette frustration qu’on n’arrive pas à faire passer les messages dans les médias qui étaient important pour nous, pour montrer qui est ce candidat, quelles sont ses valeurs, qu’est-ce qu’il peut offrir à la société, à la République tchèque, vers où il veut la mener. Parce qu’on était toujours en train de discuter du passé, de répéter, répéter les mêmes arguments et les mêmes choses. A un moment donné, j’étais lassée de devoir tout le temps s’excuser. Il y en assez de s’excuser, et à un moment il faut tourner la page. Donc ça c’était frustrant. »
« Après il y a eu des moments, assez chauds, mais c’était entre les deux tours. C’est quand Andrej Babiš a vraiment lancé ses attaques. On a aussi eu des attaques hybrides sur nos réseaux. On s’est rendu compte à qui on avait à faire. Et c’était aussi quelque part la source de la motivation, de ne pas laisser les choses à moitié faites. Mais de rester au bureau même jusque 00h s’il le fallait parce qu’on se disait : mais ça c’est impossible, on ne peut pas laisser les choses de passer comme ça. »
Eric Zanolini et le sauvetage des soldats français en ex-Yougoslavie
Vous avez joué un rôle actif également dans cette rencontre, il y a eu un documentaire, des images tournées avec ce soldat Français Eric Zanolini, auquel on a également parlé par la suite https://francais.radio.cz/quelquun-de-calme-et-professionnel-petr-pavel-au-secours-de-soldats-francais-en-8774429. Vous avez été en France, en Corse pour cette rencontre, cela a été un moment important pour vous ?
« C’était exceptionnel. »
Je rappelle qu’Eric Zanolini dirigeait les soldats français qui ont été sauvés par les soldats en ex-Yougoslavie commandés par P. Pavel.
LIRE & ECOUTER
« 53 soldats sauvés. Je ne m’attendais pas à devoir passer par cette aventure. Je remercie toute l’équipe de m’avoir donné cette confiance pour m’envoyer là-bas. Il y avait une petite équipe envoyée pour conserver ce moment d’authenticité et de pouvoir tourner. Ce n’est pas un sujet qui est facile car on parle aussi de pertes. Ils ont sauvé 53 soldats mais il y a eu aussi des blessés et des morts. Tout le récit est… j’ai lu, j’en ai parlé avec Petr Pavel avant de partir, j’ai eu des frissons quand il m’a raconté. C’est là aussi où je me suis dit, c’est vraiment la personne qui doit être au château au moment où il m’a raconté comment il a dû affronter certaines situations, dans cette mission. Je m’étais dit, j’ai des frissons partout en me disant, là on a affaire à un deuxième Havel. Si je peux dire ça comme ça. En uniforme, un peu différent. Mais il y a eu ce côté profond, j’avais vraiment essayé de voir dans ses yeux la peur, le regret ou quelque chose de fort comme émotion. Et on voit bien qu’il a la force au fond de lui, qui à chaque fois qu’il y a une difficulté cela lui permet de rebondir pour faire encore mieux. »
« On en a discuté, je lui ai demandé tous les détails de la mission. Après on est parti. Mon rôle était mixte, d’une parce que je parle français, ça simplifiait un peu la communication avec Eric, de garder un cadre plus sécurisant pour lui. Faire une interview sur des sujets aussi profonds et touchants, intimes en anglais n’aurait pas été simple. J’ai aussi une expérience dans tout ce qui est production, de tournage etc donc j’ai pu aider aussi là-dessus. Le fait d’être une femme dans cette équipe purement masculine a permis aussi de ramener le côté aussi émotionnel. De voir que finalement il y a aussi des impacts que la guerre n’apporte pas seulement sur les civils, ce sont des tragédies. La guerre n’est jamais une bonne chose. Mais de voir que ça peut avoir des impacts sur les soldats, sur leurs familles, sur leurs femmes, sur leurs enfants, qu’ils reviennent avec des traumatismes énormes, qu’il faut gérer ça aussi. C’est comme ça qu’on a construit le reportage, en intégrant le témoignage de sa femme pour apporter cette autre vue sur le récit par quelqu’un qui voit les choses de l’extérieur. »
On voit sur certaines images, Petr Pavel qui parle plutôt en anglais. Son niveau de français - on parlait de son passé communiste : il est censé avoir eu un an de formation en français dans les services tchécoslovaques ici. Ça n’a pas été très efficace ou ça été oublié ?
« Non, non, il a un bon français, il comprend. Je pensais que j’allais faire traductrice alors que ce n’est pas du tout mon travail ou ma formation à la base. Et ce n’est pas un travail facile j’avoue. Je m’étais dit je peux donner un coup de pouce pour traduire quoi que ce soit. Mais il comprend tout, il arrive à s’exprimer en français, mais après forcément, quand on ne pratique pas la langue c’est plus difficile donc il passait à l’anglais très facilement. »
« Donc le reportage avec Eric on l’a fait en français, pour que lui soit à l’aise, mais après entre eux ils parlaient principalement en anglais. Sinon quand il parlait en français, je n’avais rien à traduire. J’étais surprise, à quel point le français était là. Mais après pour discuter des histoires d’il y a 30 ans, c’était plus simple pour tous les deux de parler en anglais. »
« Des colères calmes »
On a l’image d’un homme serein, qui ne montre pas souvent ses émotions. Ça a d’ailleurs été reproché parfois à Petr Pavel lors de la campagne. Vous l’avez vu sortir de ses gonds, s’énerver ?
« C’est difficile, mais quand ça arrive on est tous super heureux de se dire qu’il est quand même humain. Il les montre mais après on apprend ces gestes, à bien les lire. Mais il n’est pas expressif. »
Il a piqué des coups de colères pendant cette campagne, vous l’avez vu ?
« Non, non, quand il est en colère, ce sont des colères calmes. Comme le slogan de la campagne (Ordre et calme, ndlr). »
Oxymore… Vous voulez continuer à travailler avec le désormais président Pavel à l’avenir ?
« C’est une question que tout le monde me pose. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui, avec l’équipe. J’ai beaucoup de respect pour toutes les personnes présentes lors de la campagne, également pour sa femme, qui est une femme formidable, inspirante. Mais pour le moment, je ne sais pas quel serait éventuellement le rôle que je pourrais avoir. J’attends de voir, je ne dis pas non. Mais ce n’était pas le but pour lequel j’avais rejoint la campagne. Je me lance maintenant sur mes projets, et on verra bien comment ça va se stabiliser. C’est encore un moment où il faut refaire complètement le cabinet présidentiel, ce n’est pas un job facile de tout mettre à plat, ‘de voir un peu les cafards sortir’. Je pense que ça va être difficile maintenant pour les nouveaux arrivants au Château de Prague. »
Dans un récent entretien, Petr Pavel dit d’ores et déjà dit qu’il ne se représentera pas dans cinq ans, c’est un sujet que vous aviez abordé à l’époque ?
« Je ne sais pas comment ce sera dans cinq ans, difficile à dire. Dans cinq ans on fera une campagne, après si ce sera avec lui ou pas, je ne sais pas. »
Mais vous en serez.
« Refaire cette aventure me dirait bien. Après je le redis, je voulais faire la campagne pour lui, en tant que personne que j’ai beaucoup aimée. J’ai pu entrevoir des qualités qui depuis longtemps nous manquaient sur la scène politique ici en Tchéquie. Donc ça dépend aussi du candidat. J’en suis sûre, parce qu’au moment où je n’étais pas certaine de pouvoir travailler sur cette campagne, je n’ai pas envisagé un instant à travailler pour un autre candidat. Ce n’était pas du tout sur la table. Je pense que c’est une chouette expérience de faire une campagne présidentielle. »