Michael Žantovský, l’homme qui a désacralisé la haute diplomatie internationale
« J’ai la langue bien pendue, » dit Michael Žantovský et il en apporte un témoignage convaincant dans son livre intitulé S prominutím řečeno - Je m’excuse de le dire. Dans cet ouvrage sorti aux éditions Prostor et qui porte le sous-titre Ma vie parmi les célébrités et les puissants, l’auteur évoque d’innombrables épisodes de sa carrière diplomatique et joue à cache-cache avec le lecteur.
Une brillante carrière diplomatique
Qui est Michael Žantovský (1949) ? On pourrait dire que c’est un homme de plusieurs professions et de plusieurs carrières. Après des études de psychologie à Prague et à Montréal, il travaille pendant sept ans dans une clinique psychiatrique tchèque. Dès 1980, il choisit la liberté et exerce plusieurs professions libérales. Il est interprète, traducteur, parolier et journaliste. Le grand tournant dans sa vie arrive en 1989 lorsqu’il devient un des fondateurs du Forum civique, la force politique principale de la révolution de Velours qui amènera la chute du régime communiste. Propulsé sur le devant de la scène politique, Michael Žantovský devient porte-parole et conseiller du président Václav Havel puis, entre 1992 et 1997, ambassadeur aux Etats-Unis. C’est le début d’une brillante carrière diplomatique car il sera encore ambassadeur en Israël et au Royaume Uni.
Entretemps, il revient sur la scène politique, devient chef du parti ODA (Aliance civique démocratique) et entre au Sénat. Plus récemment, entre 2015 et 2023, il a été directeur de la Bibliothèque Václav Havel. Interrogé sur ses activités diplomatiques qui ont rempli une grande partie de son existence, il s’explique :
« Je ne suis certainement pas un diplomate né et je ne suis même pas bien muni pour exercer cette profession parce que les gens savent que j’ai la langue bien pendue et que parfois aussi je suis même fort en gueule ce qui n’est pas un bon bagage pour un diplomate. Mais il y a aussi une opinion plus générale que chaque profession, chaque métier peut être exercé de différentes manières et j’ai donc adopté une approche un peu originale de la diplomatie. J’étais peut-être plus éloquent et plus assertif qu’il est courant chez les diplomates. Et dans les milieux diplomatiques qui sont hautement concurrentiels ma langue bien pendue m’a peut-être parfois bien servi. »
Les œuvres littéraires d’un diplomate
Parmi les nombreuses activités de Michael Žantovský, il y a cependant aussi la littérature. Le livre Je m’excuse de le dire n’est pas le premier qu’il ait écrit. Sur la liste de ses œuvres figure entre autres une biographie de Václav Havel et aussi un thriller intitulé Ochlazení - Le refroidissement. Parmi les nombreux auteurs dont il a traduit les romans en tchèque, citons Baldwin, Doctorow, Heller, Mailer, Stoppard et Allen, mais il est également le traducteur des œuvres de Madeleine Albright et de Henry Kissinger. Une personnalité de cette envergure est supposée de rédiger à partir d’un certain âge ses mémoires. Le livre qui porte le sous-titre Ma vie parmi les célébrités et les puissants peut sembler au premier abord comme le simple recueil de souvenirs d’un diplomate qui a côtoyé les personnalités importantes de ce monde. Michael Žantovský dément cependant une telle interprétation de son livre :
« Les mémoires politiques et diplomatiques sont, dans leur majorité, ou prétendent être une littérature documentaire. Mais je n’ai pas écrit un livre documentaire. Certes, c’est basé sur une réalité mais elle est interprétée par l’imagination ce qui en fait une réalité un peu différente. »
Entre la réalité et la fiction
Dès les premiers chapitres, le lecteur se trouve donc sur un terrain incertain entre la réalité et la fiction, dans un univers où les faits réels alternent avec les épisodes fictifs. L’auteur s’amuse à nous raconter ses rencontres avec différentes célébrités et aussi à semer le doute dans l’esprit de son lecteur qui se demande à chaque nouvel épisode si cela s’est réellement passé ou si ce n’est encore que le fruit d’une imagination débridée. C’est peut-être aussi un des charmes de ce livre qui joue avec le lecteur et ne révèle jamais tout à fait son secret. Et Michael Žantovský se plaît à accroître encore cette incertitude :
« Tous ces récits ont un fond de vérité. Je n’ai pas inventé mes rencontres avec ces personnalités connues. Mais la présentation définitive de ces histoires est souvent colorée par la fiction. Parfois c’est exagéré et presque toujours je renchéris. Parfois je lâche la bride mais le lecteur pourra facilement identifier ces passages dans le texte. J’imagine comment un épisode pourrait évoluer différemment de son évolution réelle et je travaille avec le contraste entre ce qui est imposant, majestueux et d’une importance mondiale et ce qui, dans ces épisodes, est en réalité normal, ordinaire, humain et parfois même tout à fait ridicule et absurde. »
La crème de la crème
Avec Michael Žantovský, nous entrons donc dans la proximité et parfois même dans l’intimité de Václav Havel mais aussi de George Bush, François Mitterrand, Margaret Thatcher, Michael Gorbatchev ou la reine d’Angleterre. Parmi les grands de ce monde qu’il a rencontrés ne manquent ni le pape Jean-Paul II ni le dalaï-lama ni tout une série de stars d’Hollywood dont Jack Nicholson, Sylvester Stallone ou Woody Allen. Il se promène nonchalamment parmi les personnages de cet Olympe de notre civilisation et le regard qu’il jette sur cette crème de la crème de l’humanité est irrespectueux, désillusionné, ironique, drôle et indiscret. Et c’est de la même façon et avec une forte dose de désillusion qu’il décrit aussi les grands événements politiques de la fin du XXe siècle comme l’élargissement de l’OTAN, les tergiversations autour du processus de paix au Moyen Orient ou l’évolution de l’Union européenne. Et il est vrai qu’il ne s’épargne pas non plus et jette ce même regard railleur également sur lui-même :
« Le lecteur comprendra peut-être que je me moque dans ce livre de beaucoup de gens mais surtout de son auteur. Je me moque beaucoup de moi-même mais quand on écrit, on cherche surtout péniblement les meilleures expressions et les phrases les plus pertinentes et on s’efforce de formuler un texte qui serait le plus drôle et amusant possible. Et cela m’a tourmenté jusqu’au dernier moment avant la parution de ce livre. »
L’essence humoristique des situations graves
Quel est donc le genre de ce livre qui désacralise en quelque sorte la politique mondiale ? C’est un ouvrage dans lequel l’auteur cherche et souvent réussit à tirer l’essence humoristique de situations qui sont plutôt sérieuses et même graves. Il permet au lecteur d’entrevoir aussi les dessous de la diplomatie qui restent normalement cachés à la curiosité du monde, mais il ne va pas plus loin :
« Le lecteur qui cherchera dans mon livre des secrets d’Etat sera déçu parce que j’observe la discipline diplomatique, bien que je n’occupe pas de poste diplomatique depuis huit ans. Alors les histoires délicates qui sont sans doute bien intéressantes, ne figurent pas dans ce livre, et si je les évoque quand même, je ne fais que les aborder superficiellement et je ne révèle pas leur fond. »
Les indiscrétions d’un diplomate chevronné
Le livre n’est cependant pas si innocent comme son auteur le prétend. Il présente les dignitaires politiques, les têtes couronnées et les célébrités sous une lumière qui n’est pas alléchante et dans des situations qu’ils n’aimeraient sans doute pas voir dans leurs biographies. Et on en vient à se demander si l’oscillation entre la réalité et l’imagination qui est la particularité de ce livre, n’est pas au fond une astuce de Michael Žantovský lui permettant de publier des souvenirs indiscrets et embarrassants sans s’exposer à la riposte de leurs acteurs. A ceux qui pourraient éventuellement protester, il répond : « Ce n’est pas un livre de mémoires, c’est de la littérature. »