Petra Procházková, grand reporter de guerre décorée de la Légion d’honneur
Grand reporter de guerre et travailleuse humanitaire, Petra Procházková, 58 ans, s’est fait un nom grâce à ses reportages en zones de conflit, dans les républiques du Caucase nées de la chute de l’URSS. Elle a commencé sa carrière au début des années 1990 en tant que correspondante du quotidien Lidové noviny en Russie. Expulsée du pays par le régime de Vladimir Poutine suite à ses activités humanitaires en Tchétchénie, où elle a fondé un orphelinat, Petra Procházková a ensuite vécu et travaillé en Afghanistan. De cette expérience est né son livre « Frišta » qui a inspiré le film d’animation « Ma famille afghane » sorti en France et primé aux Césars cette année.
Au micro de la rédaction russophone de Radio Prague Int., la journaliste et écrivaine a évoqué ce film très remarqué à l’international, mais elle a d’abord parlé de son engagement humanitaire et de ce que la guerre en Ukraine, qu’elle couvre pour le quotidien tchèque Deník N, a de particulier pour elle.
« Je suis l’évolution de la situation en Ukraine depuis 2014, depuis les manifestations organisées par le mouvement prooccidental de Maïdan. Déjà à l’époque, j’étais surprise par la force de ce mouvement populaire, par l’activité de la société civile. Les Ukrainiens ont alors démontré qu’ils voulaient avoir une réelle influence sur la gouvernance de leur pays. Et lorsque, l’année dernière, celui-ci a été envahi par la Russie, ce mouvement populaire s’est réactivé très rapidement. Une fois de plus, j’ai été étonnée de cette immense solidarité, de la coopération qui s’est mise en place spontanément et qui n’est gérée par personne. »
« Tout le monde, ou presque, y est impliqué : les gens aident dans les hôpitaux, des bénévoles transportent du matériel près de la ligne de front, changent des pneus crevés, réparent des appareils de vision nocturne.... L’aide apportée à l’Ukraine à l’échelle internationale est extrêmement importante, mais elle ne suffit pas. L’armée ukrainienne ne peut pas se passer des bénévoles qui transportent les blessés du front par exemple. Parmi ceux qui organisent cette aide figurent mes amis, un réalisateur, un ancien directeur de cirque… Avant cette guerre, je n’aurais jamais pensé que les civils pouvaient s’impliquer autant dans un conflit militaire. »
En 2000, vous avez co-fondé l’association humanitaire Berkat qui a apporté son aide aux femmes et aux enfants notamment en Tchétchénie et en Afghanistan. Quelles sont ses activités actuellement ?
« Berkat existe toujours. Notre équipe est composée uniquement de femmes qui travaillent de manière bénévole. Quand je vivais en Afghanistan, nous avons en effet mené de nombreux projets destinés à soutenir les femmes afghanes. Depuis le retour au pouvoir des Talibans, notre aide est à nouveau sollicitée. Nous soutenons plusieurs familles afghanes, nous les approvisionnons en nourriture, en médicaments… »
« Depuis un an, nous avons élargi notre champ d’action à l'Ukraine. Notre aide se concentre sur un groupe spécifique de personnes qui ne sont pas dans le viseur des autres organisations humanitaires, non pas parce qu’elles ne veulent pas s’occuper d’elles, mais parce qu’elles ont besoin d’une approche individuelle : ce sont des personnes âgées, des alcooliques aussi par exemple. Ils sont les oubliés de cette guerre. Nos moyens financiers sont limités, mais nous pouvons quand même apporter une aide à des gens concrets : par exemple, avec le concours des lycéens de la ville de Chrudim, nous avons pu acheter un ordinateur à une jeune fille orpheline, pour qu’elle puisse suivre ses cours en ligne. »
« Ou nous avons acheté un déambulateur à une femme âgée, originaire de la partie occupée de la région de Kherson. Elle s’était cassée la jambe il y a quelques années, mais personne ne s’est occupé d’elle, elle n’a suivi aucun traitement et est restée handicapée. Grâce à ce déambulateur, elle peut marcher et aller chercher de l’aide humanitaire. »
En avril dernier, l’Etat français vous a décoré de la Légion d’honneur, vous récompensant justement pour votre action humanitaire, votre engagement en faveur des droits de l’homme, pour votre contribution au journalisme de guerre évidemment et aussi pour votre œuvre littéraire. Que représente cette distinction pour vous ? Avez-vous un rapport particulier avec la France ?
« J’ai d’abord été très surprise. Justement, je n’ai aucun lien particulier avec la France, je ne parle pas français et je n’ai jamais travaillé pour les médias français. Mais il est vrai qu’à l’époque de la guerre en Tchétchénie, j’avais des amis parmi les journalistes français. Ils ont tourné un film sur l’orphelinat que j’ai ouvert à Grozny et il est passé à la télévision française. J’ai aussi travaillé sur de nombreux reportages et films avec la journaliste et cinéaste géorgienne Nino Kirtadzé qui a épousé un Français. »
« Enfin, il y a ce film d’animation ‘Moje slunce Mad’, ‘Ma famille afghane’ en français, que la réalisatrice Michaela Pavlátová a tourné en coproduction avec la France et la Slovaquie et qui a reçu plusieurs prix en France, notamment le César du meilleur film d’animation. »
« Le fait de recevoir cette Légion d’honneur m’a donné envie de passer quelques jours à Paris, une ville que je ne connais absolument pas. Cette idée a plu à mon fils, alors nous irons ensemble cet été pour découvrir l’une des plus belles villes au monde, paraît-il. »
Le film d’animation « Moje slunce Mad », sorti en France sous le titre « Ma famille afghane », est donc inspiré de votre roman « Frišta » publié en 2004. Le film raconte l’histoire d’une jeune Tchèque qui épouse un Afghan et part vivre avec lui à Kaboul. Or, l’héroïne de votre livre est une Russe aux origines tadjiks. Cela ne vous a pas gênée ? Avez-vous participé à la réalisation du film ?
« Je suis partie vivre en Afghanistan après avoir passé dix ans en Russie. Je ne savais pas parler les langues locales, juste le russe. Et je me suis liée d’amitié avec une femme tadjik, avec laquelle je pouvais parler russe, qui a épousé un Afhgan. Elle m’a ouvert la fenêtre sur la société afghane. Grâce à elle, j’ai pu rencontrer de nombreuses femmes et écouter leurs histoires. C’est à partir de leurs témoignages que j’ai construit mon livre. Le film me plaît beaucoup, mais j’ai laissé la réalisatrice faire ce qu’elle voulait, je ne suis pas intervenue lors du tournage. Pour que le film soit compréhensible pour le public occidental, il a fallu changer certaines choses. Voilà pourquoi, par exemple, le personnage principal est une Tchèque. L’histoire a été adaptée pour le cinéma comme il le fallait et c’est très bien comme ça. »