Prague sous cloche : quand un photographe amateur captait les dernières années du communisme
C’est un véritable trésor photographique que celui retrouvé dans les archives de Karel Bucháček, mathématicien, fils de colonel de la Première république et photographe amateur. Ses centaines de photos ont capturé les dernières décennies du communisme à Prague, comme le montre un livre paru sous le titre « La ville étouffée ».
La vie sans fard des habitants de Prague : qu’il s’agisse des journées dramatiques de l’invasion soviétique d’août 1968, de manifestations interdites en 1988 et 1989 ou de la simple quotidienneté d’une capitale, certes sous cloche, mais qui voit de vieux quartiers comme Žižkov disparaître et de nouvelles zones avec des barres d’immeubles apparaître, Karel Bucháček a, pendant deux décennies durant, photographié la capitale tchèque en silence.
Ce n’est qu’après sa mort en 2008 que son travail photographique amateur a été redécouvert, grâce à son neveu Roman Bucháček et au photographe Martin Vágner, qui ont décidé de numériser les clichés en les publiant sur Facebook.
Aujourd’hui, l’historien de l’art Tomáš Pospěch a décidé de rassembler son œuvre photographique dans un livre à paraître :
« Karel Bucháček a travaillé la majeure partie de sa vie à l’Institut de mathématiques de l’Académie des sciences et ses proches le décrivent comme quelqu’un de très introverti, qui ne s’est jamais marié et qui vivait essentiellement pour son travail. Il était toutefois connu pour être photographe, et était membre d’un groupe appelé ‘Město’, réunissant des photographes documentaires amateurs. Mais ce n’est qu’après sa mort, en 2008, que ses proches ont découvert l’ampleur de son travail. »
L’ampleur, c’est le mot : car si les photos qu’il a développées se comptent par plusieurs dizaines, ce sont quelque 80 000 négatifs qui existent en réalité dans les archives de Karel Bucháček. En grande partie de la photo documentaire, avec une appétence particulière pour certains quartiers de la capitale tchèque et la vie des gens ordinaires :
« Il s’intéressait aux anciens quartiers de Prague tels que Libeň, Holešovice, Smíchov et Nusle, où il retournait régulièrement à la recherche de ses thèmes préférés. Il a photographié des maisons et des rues qui ont disparu ou changé en raison de la construction du métro et a enregistré de manière systématique tout le processus de démolition de Žižkov. Et bien qu’il ait été une personne introvertie, il était obsédé par l’idée de prendre des photos des lieux où un grand nombre de personnes se rassemblaient, qu’il s’agisse de rassemblements communistes officiels ou de manifestations non officielles. »
Outre des rassemblements historiques ou politiques, obligatoires pour la plupart, Karel Bucháček photographie aussi les élections, les fêtes foraines, les anciens abattoirs de Holešovice, mais parvient également à capturer les petites fenêtres de liberté que constituaient des événements sportifs comme des matchs de foot ou des courses de chevaux. Ses photographies plus abstraites, non-figuratives, dénotent un sens du cadrage et de la géométrie des lieux particulièrement aiguisé.
Evidemment, c’est avec un don de documentariste hors pair qu’il a pris ses photographies de l’invasion soviétique de 1968, réalisées notamment dans la rue Vinohradská, près du bâtiment de la Radio tchécoslovaque encerclé par les chars et défendu par les habitants. Autant de clichés impubliables pendant les années de normalisation :
« J’ai été fasciné par le fait qu’il n’ait jamais organisé d’exposition ni publié de livre. Il savait que la plupart de ses photos n’étaient pas publiables à son époque, mais cela ne l’a pas empêché de produire une œuvre aussi vaste. Je pense que ce qu’il a photographié de plus important, ce sont les événements d’août 1968 et la révolution de 1989, mais aussi la vie quotidienne entre les deux. Nous avons donc encadré notre sélection par ces deux événements et nous nous sommes concentrés sur la vie quotidienne à l’époque de la normalisation. »
Il est possible de consulter en ligne les photographies numérisées de Karel Bucháček ou dans le livre qui lui est consacré par Tomáš Pospěch.