Un an et demi après l’invasion, les réfugiés ukrainiens en Tchéquie toujours dans une grande précarité
Ce mercredi, une nouvelle enquête sur les conditions d’accueil des Ukrainiens en République tchèque a été publiée par le centre tchèque PAQ Research. Selon les données, près de sept Ukrainiens sur dix vivraient sous le seuil de pauvreté.
Avant même le début du conflit, les Ukrainiens constituaient la première communauté étrangère en Tchéquie. Aujourd’hui, la République tchèque accueille près de 350 000 réfugiés ukrainiens et est, par conséquent, le premier pays d’accueil par rapport à sa population au sein de l’Union européenne. Un an et demi après le début du conflit, les conditions d’accueil des réfugiés ukrainiens demeurent cependant particulièrement précaires. C’est ce que confirment les résultats d’une enquête publiée cette semaine par le centre de recherche tchèque en sociologie PAQ Research, dans le cadre du projet intitulé « Hlas Ukrajinců » (La voix des Ukrainiens). Un projet soutenu par l’UNICEF et le ministère du Travail, mené aussi en coopération avec l’Institut de sociologie de l’Académie des sciences, et dans le cadre duquel les chercheurs ont interrogé près de 3 800 réfugiés ukrainiens en Tchéquie en juin dernier. Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?
Le principal enseignement qui ressort de l’enquête reste l’état de grande précarité dans lequel vivent encore, plus d’un an après le début de la guerre, la plupart des réfugiés ukrainiens en République tchèque. Selon le sondage, 68 % d’entre eux vivraient sous le seuil de pauvreté, et ce alors que deux tiers de ceux âgés de plus de 17 ans ont un travail.
Faibles revenus et emplois sous-qualifiés sont le quotidien de nombreux réfugiés. Ils seraient, en effet, près de deux tiers à gagner à peine 150 couronnes net par heure (6 euros). Près de la moitié des sondés affirment travailler le week-end ou tard le soir.
45 % des réfugiés indiquent exercer un emploi demandant peu de qualifications, alors que la même proportion occupait des postes de spécialistes ou de gestionnaires antérieurement en Ukraine.
Quels sont les obstacles à une pleine intégration sur le marché du travail tchèque soulevés par les sondés ?
Plusieurs obstacles ont été rapportés dans l’enquête. Le premier, et de loin le plus important, reste la barrière de la langue (71 %). Si 44 % des adultes interrogés déclarent à présent pouvoir se débrouiller en tchèque dans les situations de la vie quotidienne, la pleine maîtrise de la langue reste un obstacle à l’obtention d’un meilleur poste.
Hormis la langue, les difficultés pour assurer la garde des enfants en bas âge (29 %) et des enfants après l’école (22 %) constituent des préoccupations majeures pour beaucoup d’entre eux. Rappelons ici que la très grande majorité de ces réfugiés sont des femmes et des enfants. De plus, au vu de la sous-qualification de leurs emplois, les réfugiés souhaiteraient un système de reconnaissance mutuelle des diplômes, similaire à ce qui est déjà en vigueur au sein de l’Union européenne, afin de pouvoir chercher un emploi dans leur milieu professionnel d’origine et plus conforme à leur niveau de formation.
Comment la situation évolue-t-elle depuis un an ? Quelles sont les recommandations formulées par le centre de recherche ?
En comparaison avec les vagues de sondages menées antérieurement, il apparaît que le nombre de réfugiés ayant un emploi en Tchéquie ou à distance en Ukraine ne cesse de croître. Ils étaient 74 % à avoir une occupation professionnelle en juin 2023 contre 53 % en août 2022. De plus, même si leurs salaires restent particulièrement faibles, et souvent inférieurs à ceux des Tchèques à poste égal, leurs revenus tendent néanmoins à augmenter. En août 2022, ils étaient ainsi 80 % à gagner moins de 150 couronnes par heure, contre 67 % actuellement.
Toutefois, la situation pourrait se détériorer pour un certain nombre d’Ukrainiens suite à l’entrée en vigueur, le 1er juillet, de la nouvelle version de la Lex Ukrajina, la « Loi Ukraine ». En vertu d’un nouvel amendement, les réfugiés qui se trouvent dans le pays depuis plus de cinq mois ne seront plus logés gratuitement. L’État continue néanmoins à prendre en charge le logement des mineurs, des étudiants inscrits dans les universités tchèques, des personnes âgées de plus de 65 ans, des personnes handicapées et de leurs soignants, ainsi que des femmes enceintes et des personnes s’occupant d’enfants de moins de six ans. Selon le ministre de l’Intérieur, Vít Rakušan, entre 5 000 et 10 000 personnes pourraient être en difficulté. Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec les résultats de l’enquête qui soulignent la précarité de 45 % des réfugiés ukrainiens qui, en cas de perte de revenus, n’auraient pas assez d’économies pour vivre un mois.
Tous ces éléments à l’appui, le centre de recherche dresse une liste de recommandations à destination des pouvoirs publics. Il insiste sur l’importance de l’offre de cours de langue tchèque, de gardes d’enfants et d’assistance à l’emploi. Le centre recommande également des inspections régulières sur les lieux de travail et une révision du calcul des aides humanitaires.
Qu’en est-il des pays voisins ? La situation y est-elle comparable ?
Le centre de recherche a mené une étude comparative et révèle qu’en Pologne, le taux d’emploi des réfugiés ukrainiens serait de vingt points supérieur à celui observé en République tchèque. Pour faciliter leurs démarches, Varsovie a mis en place un site web spécifique où seraient centralisées actuellement plus de 250 000 annonces, contre 1 500 pour la version tchèque. La Pologne a également fait en sorte d’assouplir la barrière de la reconnaissance des qualifications pour les Ukrainiens, bien que 46 % d’entre eux occupent encore des postes pour lesquels ils sont surqualifiés.
En Allemagne, la priorité a été donnée aux cours de langue. Jusqu’au niveau B2, les cours sont gratuits et obligatoires pour l’obtention d’une aide financière. Ainsi, il apparaît que le nombre de réfugiés prenant des cours de langue est plus élevé en Allemagne qu’en Tchéquie, mais que le taux d’emploi dans le premier pays y est plus faible puisque la connaissance de la langue reste un pré-requis à l’entrée sur le marché du travail.
Selon l’étude, 64 % des réfugiés auraient au moins une fois été confrontés à une forme de discrimination sur le sol tchèque en raison de leur origine…
C’est dans le cadre de la recherche d’un logement (29 %) ou d’un travail (21 %) que les discriminations à l’égard des Ukrainiens seraient les plus visibles. L’étude révèle par ailleurs que 57 % d’entre eux auraient fait l’objet d’attaques verbales et 5 % d’attaques physiques.
Comment les réfugiés ukrainiens voient-ils leur avenir ?
Toujours selon l’étude, 52 % des personnes interrogées envisagent de rester en République tchèque malgré les difficultés énoncées précédemment. Ils étaient 46 % à exprimer le même souhait en juin 2022.
L’intégralité de l’étude peut être consultée sur le site : https://www.paqresearch.cz/post/uprchlici-posun-jazyk-prace-bydleni.