Dans la foulée des ONG, le ministère de la Justice veut redéfinir le viol
Le ministère de la Justice a préparé un amendement à la loi proposant qu’à l’avenir, tout rapport sexuel non consensuel soit considéré comme un viol. Cette nouvelle définition du viol inclurait le non-consentement verbal et non verbal, ou les situations où une personne profite de l’absence de défense de son interlocuteur.
Dans la foulée du mouvement #MeToo qui a difficilement pris racine en Tchéquie, de nombreuses personnes, des femmes notamment, ont décidé d’appeler à une redéfinition du cadre juridique du viol. Selon le système juridique actuellement en vigueur dans le pays, les rapports sexuels non consensuels ne sont considérés comme un crime que s’il est prouvé qu’ils ont eu lieu sous la menace ou par l’usage de la violence.
Selon les experts, une telle définition du viol décourage de nombreuses victimes de se tourner vers la justice. Ces deux dernières années, une campagne intitulée Chce to souhlas (Il faut un consentement) s’était efforcée de redéfinir ce qu’est le viol dans la législation tchèque.
Veronika Ježková, de l’association à but non lucratif proFem, fait partie des personnes à avoir appelé à une redéfinition du viol, estimant que l’actuel cadre juridique ne protégeait pas suffisamment les victimes :
« Tout d’abord, le Code pénal tchèque ne prend pas en compte les cas où la victime se trouve dans cette situation définie comme le ‘frozen fright’, la peur qui fige, qui est un moment où elle est incapable d’exprimer adéquatement sa volonté ou de se défendre contre l’agresseur. De même, le Code pénal ne prend pas non plus en compte les pratiques sexuelles sans le consentement de la victime en l’absence de violence, de menace de violence ou de menace d’autres préjudices graves. »
Selon différentes études, environ 12 000 viols sont commis chaque année en République tchèque. Des chiffres qui sont des estimations seulement, car la police ne traite qu'environ 600 cas signalés par an, soit seulement 5% en tout. Pour mieux prendre conscience de la réalité de ce constat accablant, il faut imaginer que tous les jours 34 personnes, en majorité des femmes, sont victimes de viol en République tchèque, mais seuls un ou deux cas arrivent jusque dans les mains de la police. D’après l’association Konsent, une femme sur dix et un homme sur trente sont victimes de viol en République tchèque.
Une chose est sûre, ces dernières années, leur nombre tend à augmenter. En 2022, 880 cas de viols ont été signalés à la police et 535 au cours du premier semestre de 2023. « Le nombre de viols signalés augmente depuis 2021. Cela ne signifie pas nécessairement une augmentation du nombre de ces crimes, mais une confiance accrue dans le travail de la police et des tribunaux et dans leur capacité à traiter ces crimes, » relève le département chargé des droits de l’Homme au sein du gouvernement.
Treize pays européens dont l’Allemagne voisine, le Danemark ou la Suède, disposent déjà d’une définition juridique du viol fondée sur le consentement. C’est d’ailleurs sur l’exemple allemand que s’appuie le ministère tchèque de la Justice pour sa redéfinition du viol, un changement qui fait l’objet d’un consensus trans-partisan.
Selon la nouvelle définition, le crime de viol concernera tout rapport sexuel non consenti ou tout rapport avec un enfant de moins de 12 ans. Le ministère souhaite également créer un nouveau délit d’« agression sexuelle », qui inclurait les pratiques sexuelles sans pénétration telles que les attouchements. L’auteur de l’agression serait passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à cinq ans.
Dans la nouvelle législation, le viol serait toujours passible d’une peine de deux à dix ans de prison. Celle-ci passerait à trois à douze ans dans le cas de viol d’un mineur ou d’un viol collectif impliquant au moins deux personnes. Le viol d’un enfant de moins de 15 ans ou les lésions corporelles graves seraient passibles d’une peine de cinq à quinze ans de privation de liberté. Pour les viols ayant entraîné la mort, le taux resterait de dix à dix-huit ans de prison.
Signe de l’évolution progressive de la société tchèque et du déplacement du curseur de tolérance vis-à-vis des violences sexuelles, cette question de consentement et de redéfinition du viol a redoublé d’actualité après les accusations de violence sexuelle portées en 2021 contre l’ancien député du parti conservateur TOP 09, Dominik Feri, et pour lequel un verdict est attendu à l’automne, ou l’inculpation de Jan Cimický, un psychiatre très médiatique poursuivi dans une trentaine de cas de viol et de chantage.
A noter enfin que les représentants des organisations de défense des droits de l’Homme rappellent régulièrement que si la République tchèque est signataire de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, elle ne l’a toujours pas ratifiée. En novembre 2021, le Parlement européen a appelé le pays à le faire sans délai.
Si le président Petr Pavel s’est clairement prononcé en faveur sa ratification, pas plus tard que mardi une commission sénatoriale a pour sa part recommandé de ne pas la ratifier, estimant qu’il s’agissait là d’ « un document idéologique inutile »…