Désinformation : le deuxième front russe toujours dans le viseur des services de renseignement tchèques
Une conférence sur la désinformation à la Chambre des députés tchèques a rappelé que loin des tranchées d’Ukraine, la Russie de Vladimir Poutine n’avait pas cessé d’être active sur le deuxième front qui l’intéresse : celui de la désinformation avec des tentatives très concrètes de diffuser en Tchéquie des récits soutenant les intérêts russes.
Une société polarisée, fragmentée, divisée, cible privilégiée d’une campagne de désinformation russe massive qui pourrait conduire à un tournant politique majeur avec l’arrivée à la tête du pays d’un dirigeant populiste.
Ce n’est pas de la Tchéquie dont il est question mais de la Slovaquie voisine, à quelques jours d’élections législatives cruciales : cela ne signifie pas pour autant que la Tchéquie n’est pas concernée comme le rappelait déjà en juin dernier Michal Koudelka, le chef du service de contre-espionnage tchèque (BIS), à l’occasion d’un séminaire sur la désinformation organisé à la Chambre des députés.
C’est à l’occasion d’une autre conférence de ce type, organisée lundi, que le chef du BIS n’a pas mâché ses mots et en a appelé, en filigrane, à la responsabilité individuelle, notant qu’au lieu d’utiliser le terme de « désinformation », il serait plus précis de parler de « mensonge » et de « propagande » :
« Quiconque dit aujourd’hui ne pas savoir ce qu’est la désinformation russe, alors qu’elle cherche brutalement à saper les fondements de la démocratie en Tchéquie, est aveugle et sourd. »
Ainsi, les efforts de la part d’entités russes pour établir des relations avec l’un des organisateurs des manifestations antigouvernementales de l’automne 2022, n’ont pas échappé à la vigilance du BIS. Des manifestations qui ont vu fleurir les drapeaux russes au milieu des tchèques, les discours appelant à la paix et condamnant l’OTAN et les Etats-Unis, peu éloignés de ceux que l’on peut entendre dans la bouche de représentants russes.
Les services de renseignement tchèques notent tout de même l’aspect, pour l’heure, désorganisé, de la scène de désinformation en Tchéquie : une galaxie parallèle qui fonctionne principalement de manière spontanée, n’est pas contrôlé de manière centralisée et est principalement inspirée par des récits qui profitent à la Russie, plus que directement téléguidé par Moscou.
Ce qui relève davantage du travail ciblé, c’est par exemple celui mené par un des agents russes actifs depuis longtemps sur le territoire tchèque qui, selon le BIS, a organisé la diffusion de la propagande russe sur la guerre en Ukraine, par l’intermédiaire de personnalités connues rémunérées par la Russie :
« A la demande de l’une des plus hautes instances du pouvoir d’Etat russe, cet agent d’influence a veillé à ce que les propos soutenant les intérêts de la politique étrangère russe en rapport avec la guerre en Ukraine soient diffusés dans l’espace public en Tchéquie. Des personnalités publiques ont été utilisées à cette fin », a déclaré le directeur du service BIS, précisant que ces personnalités tchèques, dont les noms n’ont pas été rendus publics, ont touché pour cela des pots-de-vin s’élevant à des dizaines de milliers d’euros.
Autre source de diffusion de la désinformation en Tchéquie : le Centre russe pour la science et la culture dans le VIe arrondissement de Prague, alors même que l’institution russe qui le chapeaute figure sur la liste des institutions sous sanctions européennes. Officiellement fermé au public, le centre n’ouvre ses portes pour des événements ponctuels que quelques fois par mois et est principalement actif sur Internet.
Le ministre de l’Intérieur Vít Rakušan (STAN) a reconnu que la République tchèque n’était pas suffisamment préparée à cette guerre hybride qu’est la désinformation. Le cabinet de coalition avait un temps envisagé d’adopter une loi pour lutter contre la désinformation, mais y a pour l’instant renoncé. De même, en février dernier, le gouvernement avait annoncé supprimer le poste de chargé de la lutte contre la désinformation qui avait été créé en mars 2022, en réaction à l’invasion de l’Ukraine. Cet agenda est désormais assuré par le conseiller à la sécurité nationale, Tomáš Pojar.
Le BIS a également fait part de tentatives d’influence venue de la Fédération de Russie lors de la campagne présidentielle de janvier dernier : la chaîne de médias d’État russe Sputnik avait alors publié une fausse vidéo du candidat Petr Pavel laissant entendre que ce dernier souhaitait que la République tchèque s’implique directement dans la guerre en Ukraine.
A la suite de cette conférence sur la désinformation, certains observateurs n’ont pas manqué de rappeler que jusqu’à l’arrivée à la tête de l’Etat tchèque du nouveau président Petr Pavel, aux positions claires sur l’Ukraine et la Russie, Moscou avait bénéficié de relais complaisants auprès de nombreux politiciens et ce, jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat : dans leur ligne de mire notamment, l’ancien président Miloš Zeman qui, au cours de son double quinquennat, n’a jamais dissimulé son tropisme russe. Celui-là même qui a toujours refusé d’élever l’actuel chef du contre-espionnage au rang de général, chose désormais faite par son successeur, alors même que ses services avaient pourtant dévoilé l’implication des services russes dans des actes sur le territoire tchèque pouvant relever du terrorisme d’Etat.