Le Sénat tchèque bloque la ratification de la Convention d’Istanbul

Le Sénat tchèque bloque la ratification de la Convention d’Istanbul

Le processus de ratification de la Convention d’Istanbul, un traité qui a pour objectif de prévenir les violences sexistes et domestiques, a échoué en Tchéquie : mercredi soir, à l’issue un long débat, le document qui suscite la controverse dans le pays a été rejeté, à deux voix près, par le Sénat.

Source: Conseil de l'Europe

Adoptée en 2011 et entrée en vigueur en 2014, la Convention d’Istanbul est un traité international du Conseil de l’Europe - organisation paneuropéenne regroupant 46 pays. Elle oblige notamment les gouvernements à adopter une législation réprimant la violence à l’égard des femmes, le harcèlement sexuel, les mutilations génitales féminines, le mariage forcé, et à prévoir des refuges pour les victimes de violences.

L’Union européenne l’a signée en 2017 mais a tardé à la ratifier, en raison d’une absence de consensus au sein de ses Etats membres. Au printemps 2023, l’UE a finalement adhéré à la Convention, la Tchéquie s’étant, pour sa part, abstenue lors du vote.

En 2016, le gouvernement tchèque d’alors avait pourtant signé la Convention, mais pour entrer en vigueur, elle doit être ratifiée par les deux chambres du Parlement et signée par le président de la République. Avant le vote du Sénat, Petr Pavel s’est clairement prononcé en faveur de l’adoption du traité :

Petr Pavel | Photo: La Chambre du Sénat du Parlement de la République tchèque

« Nous sommes l’un des derniers pays en Europe qui n’a pas pris cet engagement. Je ne vois aucune raison pour ne pas ratifier la Convention. »

34 des 71 sénateurs présents lors du vote de mercredi soir se sont prononcés pour l’adhésion à la Convention ; il manquait ainsi deux voix pour que la Tchéquie rejoigne 22 pays de l’UE (et 37 Etats en tout) prêts à offrir davantage de protection aux victimes du harcèlement sexuel.

Le sujet divise la scène politique tchèque : si, en juin dernier, le gouvernement de Petr Fiala a donné son « accord à la poursuite du processus de ratification », celle-ci a ensuite été soutenue par une seule commission du Sénat : celle des droits de l’Homme. Les adversaires dénoncent entre autres la mention du mot « genre » dans ce traité, et l’incitation à promouvoir dans les programmes d’enseignement « les rôles non stéréotypés des genres ».

Selon le sénateur chrétien-démocrate Jiří Čunek, l’adoption d’un tel traité est inutile dans une société fondée sur les valeurs chrétiennes, tandis que le sénateur sans parti et président de la commission constitutionnelle Zdeněk Hraba a qualifié la Convention de « pomme pourrie » qui cache « des choses insidieuses ».

Pour sa part, le vice-président du Sénat Jiří Oberfalzer du parti ODS, membre de la coalition gouvernementale, a prôné la « famille traditionnelle » qui serait menacée d’après lui, tout en critiquant le fait que le traité international serait supérieur au droit tchèque. D’autres voix se sont élevées contre le renforcement du rôle des ONG ou encore contre le GREVIO, organe de surveillance de la Convention d’Istanbul.

La sénatrice Adéla Šípová du Parti pirate s’est dite choquée par le nombre de de « mythes, mensonges et contre-vérités » prononcées au cours du débat houleux à la Chambre haute.

Sa collègue Hana Kordová Marvanová du club ODS et TOP 09 a expliqué que « la Convention n’était dans aucun cas « contre la famille traditionnelle », tandis que le sénateur indépendant Václav Láska a déclaré :

Václav Láska | Photo: Michaela Danelová,  ČRo

« La Convention définit et propose des outils efficaces pour lutter contre les violences faites aux femmes, mais pas seulement contre les violences de genre. Quand j’ai lu le document pour la première fois, j’ai été persuadé que nous allions l’adopter automatiquement. Je n’aurais jamais pensé que nous étions au début d’une guerre des cultures. »

« C’est un jour triste pour les droits de l’Homme dans notre pays. Les hommes et femmes politiques qui ont rejeté la Convention ont pleinement démontré qu’ils négligeaient le sort des victimes de violences sexuelles. Celles-ci ne reçoivent pas un soutien adéquat en raison des lacunes dans notre système d’aide », a déclaré Hana Stelzerová, directrice du Lobby tchèque des femmes, une organisation qui regroupe 37 associations de défense des droits des femmes en Tchéquie. Le Lobby estime par ailleurs que le rejet de la Convention risque de nuire à la renommée du pays à l’étranger. Hana Stelzerová s’est récemment expliquée pour RPI sur le débat tchèque à propos de la Convention :

« Il s’est passé tellement de choses depuis 2016... Il y a d’abord eu une vague migratoire qui a été reliée à la Convention d’Istanbul. Le discours était que si nous ratifions le document, il y aurait plus de migrants, et cela a suscité une certaine peur. Le fait que cette Convention soutienne les ONG qui aident les femmes victimes de violence a également posé problème avec un discours anti-ONG en toile de fond. Puis, il y a un mouvement sur la question du genre qui se positionnait contre l’égalité entre les hommes et les femmes mais aussi contre les personnes LGBTQIA+ et valorisait l’idée des familles dites ‘traditionnelles’. Toutes ces questions ont été intégrées au débat alors que la Convention vise uniquement à aider et à résoudre le problème des violences faites aux femmes dans la société. »

Hormis la Tchéquie, la Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Lituanie et l’Arménie  n’ont pas ratifié la Convention d’Istanbul, tandis que l’Azerbaïdjan n’a pas encore signé le traité. Après le rejet du Sénat, le processus de ratification a donc été reporté indéfiniment. Chargée gouvernementale des droits de l’Homme, Klára Šimáčková Laurenčíková estime que celui-ci devrait être renouvelé dès que possible, probablement après les prochaines élections législatives de 2025.