En Tchéquie, les Slovaques se mobilisent pour la présidentielle
Samedi, les Slovaques sont appelés aux urnes pour élire leur nouveau président, l’actuelle cheffe de l’Etat, Zuzana Čaputová, a décidé de ne pas briguer de second mandat. En Tchéquie, où, histoire commune oblige, vit la plus importante communauté slovaque à l’étranger, on suit évidemment ce scrutin de très près : nombre de ces ressortissants vont faire le déplacement, au moins pour le plus que probable second tour. Pour les Slovaques vivant bien plus loin, impossible par contre de voter à distance. Depuis plusieurs années, une initiative appelée Srdcom doma s’efforce de mobiliser les Slovaques de l’étranger pour les différents scrutins et plaide pour une généralisation du vote à distance. Pour en parler, Radio Prague Int. a discuté avec un de ses membres, Samuel Zubo.
« Cette initiative est née en 2017 et a été créée par des Slovaques vivant à l’étranger. L’idée était de les impliquer et qu’il puissent participer à faire de la Slovaquie un pays moderne où il fait bon vivre. Nous avons donc voulu les mobiliser pour les différents scrutins électoraux. Les Slovaques de l’étranger ont la possibilité de voter à distance pour les législatives. En communiquant avec l’administration et en plaidant auprès des partis politiques, nous essayons de faire augmenter la participation des citoyens qui voyagent, qui sont en déplacement, qui étudient et qui travaillent à l’étranger. En 2023, le ministère de l’Intérieur a enfin facilité les possibilités de vote par la poste depuis l’étranger. »
Combien d’électeurs slovaques vivent à l’étranger et quel pourcentage global souhaiteriez-vous mobiliser pour les faire venir aux urnes ?
« Nous estimons que 10 % de la population slovaque vit à l’étranger : tous ne sont évidemment pas des électeurs car il y a aussi des enfants. On compte 350 000 personnes qui ont le droit de vote et qui vivent à l’étranger. Et puis il y a des dizaines de milliers de personnes qui sont à l’étranger mais de manière temporaire : ils peuvent être en voyage touristique ou d’affaires, mais sont absents au moment du scrutin. Pour tous ces électeurs, nous voudrions que soient encore simplifiées les possibilités de voter à distance. Dans le cas de la présidentielle de ce mois de mars, nous essayons de les mobiliser surtout pour le deuxième tour : d’après les sondages actuels, les résultats devraient être assez équilibrés, et aucun des candidats n’obtiendra 50 % dès le premier tour. Or, si un électeur slovaque de l’étranger décide de participer au scrutin et de rentrer voter, il ne le fera que pour le deuxième tour, c’est assez clair. Personne ne va faire le déplacement deux fois, pour le premier et le deuxième tour. Donc nous allons mobiliser les gens essentiellement dans l’entre-deux-tours. »
Combien d’électeurs slovaques vivent en Tchéquie et quelle est, selon vous, la probabilité qu’ils se joignent à l’initiative ? La communauté slovaque en République tchèque est-elle soudée ?
« On estime à environ 100 000 le nombre de citoyens slovaques vivant officiellement en Tchéquie. Ce sont des gens qui sont enregistrés auprès de l’administration et qui ont un lieu de résidence permanent officiel. Seulement, dans le cadre de l’UE, cette démarche n’est plus obligatoire, donc le chiffre réel oscille probablement autour de 200 000 personnes. Le passé nous montre que les Slovaques vivant en Tchéquie sont impliqués et veulent voter lors des scrutins électoraux dans leur pays d’origine. Comme ces scrutins sont organisés pendant les week-ends, ils en profitent pour planifier un séjour en Slovaquie. Il est fréquent également que les Slovaques se rendent en train dans le village le plus proche de la frontière tchèque, Kúty. D’ailleurs à chaque scrutin, il y a des reportages sur ce phénomène ! C’est un point de vue très intéressant qui montre combien les Slovaques vivant en Tchéquie se sentent concernés par ce qui se passe dans leur pays d’origine. »
Contrairement à la République tchèque, où il n’est pas encore possible de voter par correspondance, même si un projet de loi allant dans ce sens est en discussion, les Slovaques peuvent voter à distance pour les élections législatives, mais pas pour les élections présidentielles. Comment expliquez-vous cela ?
« C’est en effet une situation très particulière. A l’échelle de l’UE, seuls les Slovaques, les Irlandais et les Chypriotes peuvent voter aux présidentielles à distance, de quelque façon que ce soit. Il est intéressant de noter que, par le passé, les deux principaux candidats ont soutenu, au moins de manière formelle, le vote par correspondance pour ce scrutin. Quand il était Premier ministre, Peter Pellegrini avait demandé au ministère de l’Intérieur de préparer un projet de loi visant à élargir le vote par correspondance au scrutin présidentiel. Le deuxième candidat, Ivan Korčok, a été ministre des Affaires extérieures et aurait pu agir en ce sens aussi. Il a même reconnu à Prague, lors d’une rencontre avec des Slovaques de Tchéquie, qu’il regrettait que ce ne soit pas possible. »
Bien que la présidente sortante Zuzana Čaputová ne soit plus candidate, elle a appelé depuis Prague, en début de semaine, les Slovaques de Tchéquie à aller voter. Plus précisément, comment peuvent-ils voter en Slovaquie s’ils n’y ont plus de résidence permanente ?
« Zuzana Čaputová soutient notre initiative et a même signé une pétition que nous avons lancée pour soutenir l’idée d’un vote élargi par correspondance depuis l’étranger. Lors de son séjour à Prague, elle a remercié les Slovaques qui sont actifs dans ce sens, que ce soit notre initiative ou d’autres organisations de Slovaques à l’étranger qui font la même chose. Nous avons appelé les Slovaques de l’étranger à se faire établir une carte électorale afin de pouvoir voter dans n’importe quel bureau de vote en Slovaquie. Il suffit ainsi de se rendre dans le village le plus proche pour voter. Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs fait leur demande de carte en ligne. Les autres doivent se rendre dans le bureau de vote de leur domicile en Slovaquie. »
Comment pensez-vous que les Slovaques de Tchéquie perçoivent cette élection après la victoire de Robert Fico il y a quelques mois ? Comment perçoivent-ils les candidats actuels et quel est, selon vous, le favori des Slovaques de l’étranger ?
« Les perceptions sont assez claires et sont liées notamment à la façon dont les candidats se sont intéressés à leurs compatriotes vivant à l’étranger et à leur vote. Peter Pellegrini n’a même pas jugé bon de faire le déplacement, ne serait-ce qu’à Prague. Il se concentre sur la Slovaquie, sur des rencontres avec des citoyens sur place parce qu’il sait qu’il peut pâtir de son lien avec Robert Fico. Ivan Korčok, lui, s’est déplacé à l’étranger, à Prague notamment, où, malgré le fait qu’il ait fallu acheter des billets pour le voir, le théâtre où la rencontre se déroulait était pleine à craquer. Il est clair qu’une bonne partie des Slovaques de l’étranger le favorisent. Même lors des dernières législatives, on a bien vu que les Slovaques de l’étranger qui ont la possibilité de vivre dans des Etats qui fonctionnent bien, des pays occidentaux libéraux où l’état de droit est la règle, perçoivent bien la différence avec ce qui se passe en Slovaquie, leur pays d’origine. Ce sont donc des gens prêts à se déplacer pour voter à la présidentielle et qui, a priori, iront voter pour Ivan Korčok. »
Comment les Slovaques avec lesquels vous avez pu discuter perçoivent-ils les relations actuelles entre le gouvernement de Petr Fiala et le gouvernement slovaque ? Pensez-vous que la décision d’annuler les réunions intergouvernementales était judicieuse ?
« Merci pour cette question. Pour nous, Slovaques qui vivons à Prague, en Tchéquie, nous nous sentons très concernés par la rhétorique employée par le gouvernement slovaque. Cela nous fait honte. Nous sommes dans une situation où les prises de position du gouvernement tchèque nous sont bien plus proches, nous pouvons nous y identifier contrairement à celles du gouvernement slovaque. Nous sommes donc très reconnaissants au gouvernement tchèque de faire ce qu’il fait, même de cette façon. C’est une manière de signaler à la coalition au pouvoir à Bratislava qu’elle s’éloigne des intérêts des citoyens slovaques. Je pense que le gouvernement Fiala a bien fait. Il est très important que les pays occidentaux fassent savoir ce qu’ils pensent du gouvernement slovaque. Robert Fico ignore par principe la société civile, il réprime les organisations qui essayent d’améliorer les choses en Slovaquie, mais les pressions venues de l’étranger peuvent fonctionner sur lui. Toutes les dernières décisions du gouvernement comme la dissolution du Bureau du procureur spécial chargé de la corruption, vont à l’encontre des intérêts des Slovaques. Donc nous avons absolument besoin que les pays occidentaux s’érigent contre cela, le fassent savoir, pour que la Slovaquie ne finisse pas en Etat autoritaire comme la Hongrie de Viktor Orbán. »