Présidentielle slovaque : « Le soutien d’Orban à Pellegrini a été plus décisif que celui de Babiš et Zeman »

Peter Pellegrini

L'élection présidentielle slovaque a été remportée samedi par le candidat de la coalition gouvernementale aux tendances pro-russes Peter Pellegrini face au candidat de l'opposition libérale pro-européenne et pour le soutien à l'Ukraine, Ivan Korčok. 

« Nous n'avions pas de soldat slovaque dont la photo avec sa mère était aussi authentique ». Cette phrase, prononcée sur la télévision Markíza par la ministre slovaque de l’Économie, membre du parti Hlas de Peter Pellegrini, pourrait peut-être résumer à elle seule la campagne et le résultat de l’élection présidentielle du week-end au pays des Tatras.

Denisa Saková répondait à une question sur une photo utilisée par le camp Pellegrini juste avant le vote – et malgré le moratoire en vigueur –, sur laquelle on voyait une dame âgée étreindre un soldat, avec dessus écrite l’injonction « Venez voter, pour ne pas que les fils et petits-fils slovaques meurent à la guerre ! ».

Le problème, relevé par la presse locale encore indépendante, est que cette photo, repostée sur les réseaux par plusieurs ministres notamment, a été retouchée de manière à effacer le drapeau ukrainien de l’uniforme du soldat en question.

« Nous n'avions pas de soldat slovaque dont la photo avec sa mère était aussi authentique », a donc expliqué la ministre membre de la coalition dirigée par Robert Fico, qui a ajouté pendant l’entretien ne pas vouloir, « en tant que mère d’un fils, que le conflit en Ukraine continue » et vouloir « des négociations de paix », tout en réfutant que le gouvernement slovaque puisse ainsi aider l’agresseur russe.

Robert Fico et Peter Pellegrini | Photo: Václav Šálek,  ČTK

Comme Andrej Babiš l’avait tenté sans succès contre Petr Pavel, Peter Pellegrini a réussi à convaincre une nette majorité de votants (plus de 53%) en faisant notamment de son adversaire Ivan Korčok le candidat va-t-en-guerre.

L’ancien Premier ministre tchèque était d’ailleurs venu soutenir le candidat Pellegrini pendant la campagne, tout comme l’ancien président Zeman, toujours proche de Robert Fico.

« Le Premier ministre tchèque ne veut pas avoir à faire avec un gouvernement qui affiche une telle orientation »

Dans le camp libéral pro-européen et pro-Ukraine, la défaite est lourde à encaisser, comme indiquait le fondateur du parti Progresívne Slovensko, Ivan Štefunko, juste après l’annonce des résultats dans le vieux marché couvert de Bratislava où s’étaient réunis les partisans d’Ivan Korčok et au moment où les chaussettes à son effigie paraissaient déjà bien démodées :

Ivan Štefunko | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

Ivan Štefunko : « Pour la Slovaquie cela signifie la continuité de ce gouvernement, qui n’est pas très pro-européen et qui favorise la corruption. C’est dommage pour le pays. Nos partenaires européens vont voir que nous ne nous sommes pas exprimés pour un candidat pro-européen et atlantiste. »

« Pour sa campagne, Peter Pellegrini a fait beaucoup de concessions à des partis et courants politiques qui sont très conservateurs et nationaliste – il va leur devoir quelque chose désormais. »

MM. Babiš et Zeman sont venus soutenir le candidat Pellegrini, cela a-t-il pu avoir une influence sur le résultat selon vous ?

Ivan Štefunko : « Non je ne pense pas. Je pense que le soutien le plus important a été celui de Viktor Orban à Peter Pellegrini : quand vous regardez la carte des résultats du vote, les territoires du sud de la Slovaquie où se trouve la minorité hongroise du pays ont beaucoup voté pour Pellegrini. »

Les relations avec la Tchéquie peuvent-elles pâtir du résultat de cette présidentielle selon vous ?

Petr Fiala | Photo: Michal Krumphanzl,  ČTK

Ivan Štefunko : « Pas au niveau des relations interpersonnelles, mais c’est vrai que le Premier ministre tchèque Petr Fiala a donné des signaux - il ne veut pas avoir quelque chose à faire avec un gouvernement qui affiche une telle orientation. »

« En Slovaquie, l'influence de la désinformation pro-russe est plus grande qu’en Tchéquie »

Peter Pellegrini a déjà indiqué que son premier voyage à l’étranger se ferait, conformément à la tradition, en Tchéquie. L’ambiance au Château de Prague sera vraisemblablement moins cordiale que lorsque Petr Pavel a reçu la présidente sortante, Zuzana Čaputová.

Kúty | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

La presse tchèque de ce début de semaine tente d’analyser ce qui découle pour Prague de cette élection, après avoir évoqué la potentielle influence des nombreux électeurs slovaques résidant en Tchéquie et votant entre autres à Kúty, la première ville après la frontière.

« Cela ne signifie pas automatiquement la rupture de la coopération avec Bratislava, mais un examen plus attentif des intérêts communs et des projets conjoints, compte tenu également du fait que Robert Fico se présente comme un allié de la Russie et que le nouveau président Pellegrini parle intensément de la nécessité d'instaurer la paix en Ukraine à tout prix », avance un éditorialiste du quotidien Hospodářské noviny, qui prévient que « dans le même temps, nous pouvons nous attendre à un coup dur de la part de la majorité au pouvoir à l'égard des médias et des ONG, qui sont souvent très étroitement liés aux organisations tchèques ».

« En Slovaquie, l'influence de la désinformation pro-russe est plus grande qu’en Tchéquie », peut-on lire sur le site denik.cz, qui estime qu’un candidat avec le profil de Petr Pavel, ancien responsable de l’OTAN, « n’aurait aucune chance de devenir président à Bratislava ».

Andrej Babiš et Viktor Orbán | Photo: Bureau du Gouvernement tchèque

Le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Respekt rappelle qu’Andrej Babiš, dont le mouvement ANO domine tous les sondages, a ouvertement déclaré son soutien à Fico, Pellegrini et Orban dans leurs dernières campagnes électorales : « de cette manière, il dit clairement qu'il est proche de leur relation à la démocratie, aux institutions, à la Russie, aux médias et à l'Union européenne ».

Après les européennes dans deux mois, la prochaine échéance électorale nationale est prévue en 2025 en Tchéquie, avec le scrutin législatif pour renouveler la Chambre des députés.