À Lety, le Mémorial de l’holocauste des Roms en Tchéquie « enfin » inauguré
Un mémorial rappelant l’holocauste des Roms et des Sintis sous le Protectorat de Bohême-Moravie pendant la Deuxième Guerre mondiale a été officiellement inauguré à Lety (Bohême du Sud), mardi 23 avril, en présence notamment du président et du Premier ministre tchèques. L’ouverture prochaine au public de cet important lieu de mémoire sur le site d’un ancien camp de concentration transformé en porcherie sous le régime communiste et longtemps resté ignoré par la suite, marquera la fin de près de trente ans de tergiversations de l’État tchèque.
Présent à la cérémonie, mardi, le président Petr Pavel a estimé qu’à travers l’ouverture de ce Mémorial, la société tchèque s’acquittait d’abord d’une dette accumulée pendant plusieurs décennies envers les victimes de l’Holocauste rom et tous ses survivants :
« Ce lieu nous rappellera les crimes contre l’humanité qui y ont été perpétrés. Ce sera un lieu de mémoire pour les générations futures, afin que de telles tragédies ne se reproduisent plus jamais. Il nous rappellera la nécessité de protéger les valeurs humaines fondamentales en toutes circonstances et pour tous, sans exception. »
Situé dans les environs de la ville de Písek, à une centaine de kilomètres au sud de Prague, le Mémorial a été édifié à l’emplacement d’un ancien camp de concentration dans lequel plus de 1 300 Roms ont été emprisonnés pendant la Deuxième Guerre mondiale. Parmi eux, 327 y sont morts, dont 241 enfants, tandis que plus de 500 autres personnes ont été déportées vers les camps de la mort nazis.
Dans les années 1970, sous le régime communiste, un élevage intensif de porcs avait vu le jour sur le site, reléguant ainsi pour de longues années le génocide des Roms sur le territoire de l’actuelle République tchèque dans les oubliettes de l’histoire.
Il aura ensuite fallu attendre 1995 pour voir apparaître une première prise de conscience publique avec l’inauguration par le président de l’époque, Václav Havel, d’un modeste monument à proximité de la porcherie. Sans toutefois encore que le gouvernement n’entreprenne de quelconques démarches pour faire disparaître une exploitation de quelque 13 000 porcs, devenue entre-temps la propriété d’une société privée.
Dans un pays aujourd’hui encore régulièrement critiqué par les institutions internationales pour ses efforts insuffisants en matière d’intégration des personnes issues de la minorité rom, cette porcherie industrielle est ainsi longtemps restée un symbole d’une certaine forme d’« antitziganisme ». Dans son discours prononcé lors de la cérémonie mardi, le Premier ministre Petr Fiala a d’ailleurs lui aussi admis que les autorités tchèques avaient pendant trop longtemps failli à leur devoir de mémoire :
« Avant toute autre chose, si je parle d’ouverture, je dois ajouter le mot ‘enfin !’. Enfin, nous pouvons rendre un hommage digne aux victimes roms de l’idéologie monstrueuse qui s’est emparée de l’Europe dans les années 1930 et 1940. Nous devons reconnaître ouvertement que cela nous a pris trop de temps, alors que la transformation de cet endroit avait déjà été évoquée il y a trente ans. Ce Mémorial aurait dû voir le jour bien plus tôt. »
Après son rachat par l’État tchèque en 2018, la porcherie a finalement été démolie pour laisser place à un Mémorial flambant neuf qui, sur plus de 100 000 mètres carrés, comprend notamment un centre d’accueil avec une exposition permanente et un sentier rappelant aux visiteurs de Lety le sort des victimes. Le site est administré par le Musée de la culture rom, dont Jana Horváthová est la directrice et la cofondatrice :
« Pour la communauté rom, on peut considérer qu’il s’agit là d’un pas de plus vers la reconnaissance par la majorité de la société tchèque d’une histoire longtemps passée sous silence. Bien que les livres et l’enseignement dans les écoles n'en témoignent pas, cette histoire des communautés roms fait pourtant partie de l’histoire des Pays tchèques, et c’est pourquoi je veux croire, moi aussi, que l’inauguration de ce Mémorial marquera le début d’un processus d’acceptation du devoir de mémoire. »
Le Mémorial ouvrira ses portes au public le 12 mai prochain, soit le jour de la cérémonie qui se tient chaque année à Lety en hommage aux victimes de l’Holocauste des Roms et des Sintis. « Enfin », comme l’a si bien dit le Premier ministre tchèque.