Presse au bout du rouleau : derniers tirages du journal Lidové noviny
À partir de septembre, le plus vieux journal tchèque encore édité, Lidové noviny, cessera définitivement d’être tiré. Le quotidien sera désormais exclusivement disponible en version numérique.
Apprécié par les uns pour ses éditoriaux souvent railleurs, boudé par les autres pour l’évolution de son positionnement politique, une chose est sûre, la fin de l’impression du journal Lidové noviny ne laissera pas les Tchèques indifférents et son absence dans les rayons presse à partir de lundi ne passera pas inaperçue.
Ce samedi 30 août marque, en effet, le dernier jour de la vente en version papier du plus vieux journal tchèque, fondé il y a 131 ans, en 1893. Dans un communiqué daté du 16 juillet dernier, le groupe médiatique Mafra, propriétaire de Lidové noviny, avait annoncé vouloir mettre un terme à la version imprimée du quotidien à la fin du mois d’août, « en raison de l’évolution du marché ». Plus concrètement, le « développement des technologies modernes » ainsi que le « coût du papier et de la distribution » auraient achevé de convaincre la société de passer au tout numérique.
Pour le rédacteur du journal concurrent Deník N, Petr Koubský, interrogé par la Radio tchèque, la fin de l’impression du quotidien revêt une dimension émotionnelle mais était néanmoins prévisible :
« Lidové noviny n’est pas n’importe quel journal. Il s’agit d’un phénomène du journalisme tchèque qui a jalonné notre histoire, joué différents rôles et toujours tenu une place extrêmement importante. Par conséquent, la fin du tirage papier de Lidové noviny a une signification un peu différente de n’importe quel autre titre confronté à la même situation. Cependant, les réalités du marché ont changé. Le coût de production et surtout de distribution des journaux papier ne cesse d’augmenter. Et les personnes intéressées par cette forme de lecture des journaux sont de moins en moins nombreuses. L’évolution est donc parfaitement logique, d’un point de vue des coûts, mais, et j’insiste, elle ne signifie en rien une détérioration du contenu journalistique. »
En cinq ans, le lectorat de Lidové noviny a chuté de 43 %
Selon les statistiques de l’Union des éditeurs, le nombre de lecteurs de Lidové noviny n’a cessé de baisser au cours des dernières années. En cinq ans, il a chuté de 43 % pour s’établir à 114 000 lecteurs par numéro, dont 18 500 pour la version papier. Lidové noviny se range désormais à la 5e place des quotidiens tchèques les plus lus, derrière le tabloïd Blesk (543 000 lecteurs), Mladá Fronta Dnes (357 000), Právo (138 000) et Sport (134 000).
La baisse du nombre de lecteurs n’est, cependant, pas propre à Lidové noviny. Tous les titres de presse écrite suivent la même tendance en Tchéquie. Ce constat pousse l’analyste des médias, Jan Potůček, à croire que d’autres quotidiens pourraient suivre la même voie que Lidové noviny à l’avenir et cesser l’impression de leur version papier.
Cet avis n’est cependant pas complètement partagé par le rédacteur de Deník N, Petr Koubský. En plus de dégager d’importants revenus de la location des encarts publicitaires, le journaliste voit un autre avantage pour les éditeurs à poursuivre le tirage de leurs titres de presse :
« Il y a un autre aspect, dont on parle peu, mais tout aussi important, c’est le taux d’imposition. Tant qu’un titre de presse écrite est publié simultanément en version papier et en format numérique, il peut être classé dans un taux d’imposition inférieur à celui d’un média uniquement en format numérique. Il peut donc y avoir un intérêt à continuer à publier en version papier, même avec une fréquence moindre, pour bénéficier d’un taux d’imposition plus bas et obtenir un prix de vente final lui aussi plus faible. »
Le journaliste admet néanmoins que la baisse du nombre de lecteurs des versions imprimées est un « processus irréversible ».
Lidové noviny, le plus vieux journal tchèque
Fondé en 1893 à Brno sous l’Empire austro-hongrois par Adolf Stránský, Lidové noviny - littéralement le journal populaire - est le plus vieux journal tchèque encore publié. Le quotidien au format berlinois connaît son âge d’or durant l’entre-deux-guerres, sous la Première République tchécoslovaque, grâce aux contributions régulières de grands écrivains de l’époque, à l’image des frères Čapek, Karel Poláček, Rudolf Těsnohlídek ou Ferdinand Peroutka. Dans les années 1920, le petit journal local devient un quotidien réputé d’envergure nationale.
La prise du pouvoir par les communistes en 1948 marque néanmoins la fin du journalisme libre en Tchécoslovaquie. Lidové noviny, comme tous les autres médias, est soumis à la censure. Face à la baisse du nombre de ses lecteurs, la publication est finalement arrêtée en 1952. Il faudra attendre la fin des années 1980 et l’assouplissement relatif du régime communiste, pour qu’un petit groupe d’intellectuels, mené par Jiří Ruml, reprenne la publication du journal en samizdat. La gazette connaît alors un nouvel élan, une prouesse à une époque où aucun journal officiel ni magazine politique n’échappe au contrôle de l’État. Le pari s’avère néanmoins gagnant, puisque dès le lendemain de la révolution de Velours et le renouveau démocratique, à partir du printemps 1990, Lidové noviny est à nouveau publié quotidiennement.
Autre tournant dans l’histoire du quotidien, l’année 2013, lorsque l’homme d’affaires - qui deviendra plus tard ministre puis Premier ministre - Andrej Babiš, achète, par le biais de son groupe Agrofert, la société Mafra à laquelle appartient Lidové noviny. Bien que le chef du mouvement ANO s’engage à ne pas s’immiscer dans les choix éditoriaux de la publication, le contenu du quotidien change radicalement et des proches du milliardaire sont placés à la tête du journal. Résultat, en 2016, est adoptée la loi dite « Lex Babiš », qui interdit aux responsables politiques la possession de médias. Le renforcement de cette même loi en 2023 pousse finalement l’ancien Premier ministre à se défaire du groupe Mafra.
Désormais entre les mains du groupe Kaprain, Lidové noviny tente de faire peau neuve. Le quotidien promet, à partir de septembre, d’élargir son contenu en ligne et de proposer davantage de « commentaires » qui sont « une tradition importante dans l’histoire du journal ». Pour le quotidien né il y a 131 ans, c’est donc une nouvelle page qui se tourne, mais une page qui sera dorénavant numérique.