Nucléaire : ČEZ investit dans Rolls-Royce SMR tandis que la signature avec KHNP est suspendue

Signature de l'accord de partenariat entre ČEZ et Rolls-Royce SMR

Semaine chargée en actualité dans le domaine de l’énergie nucléaire en Tchéquie, avec mardi la signature d’un accord entre le groupe ČEZ et Rolls-Royce SMR pour la construction d’un petit réacteur nucléaire modulaire d’ici une dizaine d’années dans la centrale de Temelín et puis l’annonce mercredi par l’ l'Office tchèque de protection de la concurrence (UOHS), qui a suspendu la signature de tout contrat concernant la construction de nouveaux réacteurs dans l’autre centrale atomique du pays, celle de Dukovany, après des recours déposés par les groupes français EDF et américain Westinghouse contre le récent appel d’offres remporté par les Sud-coréens de KHNP. Valérie Faudon est la déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN) depuis et la vice-présidente de la Société nucléaire européenne. Elle a répondu aux questions de RPI.

Valérie Faudon | Photo: YouTube/Nuclear for Climate

Que pensez-vous de cet accord conclu entre ČEZ et Rolls-Royce SMR (Small Modular Reactor) pour le développement d’un petit réacteur nucléaire modulaire et de cet investissement tchèque en Grande-Bretagne (ČEZ indique avoir acquis environ 20% du capital de Rolls-Royce SMR) ?

Valérie Faudon : « C'est une bonne nouvelle parce que ça s'inscrit dans la relance du nucléaire dans le monde et en particulier en Europe, avec un investissement qui va permettre aux côtés des renouvelables de continuer à décarboner notre électricité et notre énergie. »

Pourquoi les Tchèques selon vous ont-ils choisi un acteur britannique pour développer ces petits réacteurs nucléaires ?

« Je n'ai pas les détails des raisons du choix. Le fait est qu'aujourd'hui il y a beaucoup de petits réacteurs dans le monde, il y a à peu près une centaine de modèles différents qui sont en développement. Parmi eux, il y en a qui ont des technologiques qui sont plus mûres en particulier. Ils sont assez proches techniquement des gros réacteurs actuels et donc sont plus rapides à déployer puisqu’on a non seulement toute la technologie mais aussi on a des usines pour faire le combustible. »

Photo: René Volfík,  iROZHLAS.cz

Quels sont les principaux acteurs de ce marché des petits réacteurs nucléaires aujourd'hui ?

« Il y en a dans le monde entier, il y a beaucoup d'acteurs aux Etats-Unis, beaucoup d'acteurs en Chine et en Europe aussi. La Commission européenne a lancé en février 2024 une alliance pour les petits réacteurs nucléaires, en identifiant un certain nombre d'acteurs en Europe et dans le monde pour pouvoir développer cette technologie. Donc je crois que le choix de Rolls Royce conforte une technologie mûre comme je l'ai dit parce que c'est une technologie qui fait des réacteurs à eau pressurisée, mais aussi une technologie qui est ‘presque’ européenne. »

SMR : « la taille idéale pour remplacer des centrales à charbon sur des sites existants » 

Pour tous ceux qui ne connaissent pas grand-chose au nucléaire, s’agit-il seulement d’une différence de taille entre un SMR et un réacteur usuel dans une centrale nucléaire, donc du temps gagné pour son installation ou pour sa construction ? Est-ce que les dangers relatifs à ces réacteurs sont, disons, moins importants qu'un réacteur disons normal ?

Illustration d'un petit réacteur nucléaire modulaire à eau légère  (SMR) | Photo: U.S. Government Accountability Office/Wikimedia Commons,  public domain

« C’est un peu de tout cela. En fait, je dirais que le fait qu'ils soient petits permet de les construire en grande partie en usine, c'est à dire de faire des pré-assemblage à assemblages et c'est prouvé – les études économiques le montrent – qu’il est moins cher de pré-assembler en usine que de construire sur place ».

« Le deuxième point est que la taille correspond à peu près celle d'une centrale à charbon. Donc c'est la taille idéale pour remplacer des centrales à charbon sur des sites existants où on a déjà le terrain, où on a déjà les lignes à haute tension qui sont prêtes et où on a aussi des employés. Sachant qu'il y a beaucoup d'emplois qui sont dans les centrales à charbon aujourd'hui qui peuvent se reconvertir facilement pour des emplois dans des centrales nucléaires, c'est un deuxième avantage. »

« Le troisième avantage, c'est que c'est plus flexible, et en particulier je pense que ça correspond aux besoins de la Tchéquie : on peut produire à la fois de l'électricité mais aussi on peut produire de la vapeur d'eau à des températures élevées ce qui permet d'alimenter des réseaux de chauffage urbain. C'est déjà le cas en Tchéquie à partir de la centrale nucléaire de Temelín. On peut donc chauffer les foyers mais aussi utiliser cette vapeur, qui sera donc décarbonée, dans des processus industriels. »

« On peut aussi fabriquer de l'hydrogène en combinant l'électricité et de la chaleur dans des procédés qui s'appellent électrolyses à haute température. Ce sont donc des unités qui vont permettre de répondre aux besoins de décarboner tout un tas d'usages. »

Une mauvaise nouvelle de plus pour EDF ?

Le président du groupe ČEZ indique que ce projet de petits réacteurs pourrait permettre de chauffer jusqu'à 45 000 foyers. Du côté français, on développe également ce genre de petits réacteurs. Est-ce que cet accord conclu entre ČEZ et Rolls-Royce est une nouvelle mauvaise nouvelle pour le groupe français. EDF, qui n'a pas remporté – en tout cas jusqu'à preuve du contraire puisqu'il y a encore des procédures en cours – l’appel d’offres pour la deuxième centrale tchèque de Dukovany ?

« Un accord comme celui-là, c'est d'abord une bonne nouvelle pour le climat puisque ça va permettre de diminuer la consommation d'énergie fossile et qu'il faut fortement maîtriser les gaz à effet de serre. C'est aussi une bonne nouvelle pour l'industrie nucléaire européenne, y compris l'industrie nucléaire française. Le groupe EDF a annoncé cet été qu'il revoyait sa stratégie sur les petits réacteurs puisque son projet comportait un certain nombre d'innovations et on voit que le marché, en particulier la demande de la République tchèque sont plutôt pour des technologies qui sont avec le moins d'innovation possible, c'est à dire avec des technologies qui ont déjà été utilisés. Pour retirer le risque sur les projets qui pourraient être liés à des nouvelles technologies, donc le groupe EDF a décidé revoir son projet. »

La centrale électrique de Dukovany | Photo: René Volfík,  iROZHLAS.cz

« On attend aujourd'hui les annonces sur le nouveau projet vers la fin de l'année ou le début de l'année prochaine. C'est évidemment un projet tchèque sur lequel le groupe EDF ne sera pas présent mais on attend une très forte demande mondiale sur les projets SMR. Donc je dirais qu’il y a de la place pour beaucoup de monde... »

En ce qui concerne le combustible, est-ce que ces projets SMR, donc de petits réacteurs, sont fournis en combustible par les mêmes fournisseurs que les réacteurs de taille plus usuelle, de taille plus grande ?

« Pas tous, mais pour Rolls-Royce, c'est le cas. C’est ce qui permettra justement d'être opérationnel beaucoup plus rapidement et c'est un des avantages de la technologie qu’a choisie CEZ par rapport à d'autres technologies qui nécessitent d'autres types de combustibles, mais apportent aussi d'autres avantages comme le fait de pouvoir recycler le combustible existant. »

Europe centrale et orientale : « une envie de développer le nucléaire »

Rolls-Royce semble avoir ces derniers temps certains succès dans la région puisque le gouvernement polonais a déjà approuvé le plan de construction d'un petit réacteur Rolls-Royce. Comment se fait-il que les pays d'Europe centrale se tournent vers les Britanniques ?

« En ce qui concerne la Pologne, elle a fait beaucoup d'annonces avec beaucoup d'acteurs, donc on attend un petit peu que les choses s’éclaircissent. Parce que c'est quand même compliqué pour la Pologne d'avoir plusieurs technologies différentes. Pour ce qui concerne l'Europe de l'Est en général, elle a encore beaucoup de charbon et une envie de développer le nucléaire. Donc aujourd'hui les pays de la région font des appels d'offres et choisissent les différentes technologies. On a plusieurs technologies qui sont considérées et je pense que c'est trop tôt pour se prononcer sur le sujet. »

Centrale nucléaire de Temelín | Photo: ČEZ

Vous étiez récemment en Tchéquie, où vous avez visité la centrale de Temelín. Étiez-vous également à Dukovany ?

« Non, je suis passée à Temelín seulement et j'ai été vraiment très impressionnée par la taille de la centrale et par le fait qu'elle faisait aussi de la vapeur pour du chauffage urbain. C'est la première fois que je visitais une installation qui avait cette application-là. »

« J'ai été assez fascinée par son histoire puisque c'était une centrale de technologie russe sur laquelle les Américains ont travaillé, il y a eu aussi une implication très forte de l'industrie tchèque. Donc voilà, ça m'a beaucoup impressionnée. »