Stéphane Schorderet : « À la tête de l’Institut français de Prague, je suis passé en première division »
Depuis début septembre, l’Institut français de Prague (IFP) a un nouveau directeur. Conseiller culturel de l’Ambassade de France, Stéphane Schorderet est arrivé en Tchéquie après avoir passé quatre ans à la tête de l’Institut français d’Helsinki. Au micro de Radio Prague Int., Stéphane Schorderet compare ces deux missions et dévoile ses projets. Dans cet entretien, il est aussi question de sa rencontre avec Juliette Binoche, de son passé de journaliste sportif ou encore d’une émission musicale que le diplomate avait animée à la radio finlandaise.
Stéphane Schorderet, bonjour. Vous venez de fêter avec les Tchèques le 17 novembre qui a marqué le 35e anniversaire de la révolution de Velours. Quel est votre souvenir de la fin de l’année 1989 et de la chute des régimes totalitaires en Europe centrale et orientale ?
« C’est amusant que vous me posiez la question parce que pour moi, c’est vraiment une symbolique très importante. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi, mais quand j’étais étudiant, le mur de Berlin me dérangeait. Si un jour, j’avais envie d’aller dans la région, ce mur m’empêchait de passer. Il privait ma liberté de circulation. Cela me travaillait. Lorsque le mur est tombé, avec un de mes amis, on a décidé sur un coup de tête de partir pour Berlin. C’était au tout début des années 1990, nous sommes partis en voiture et nous avons roulé toute la nuit. On est arrivés à Berlin dans cette ambiance un peu étrange où l’entrée vers Allemagne de l’Est était libre, mais le pays était dans son état de post-occupation soviétique. C’était une expérience extrêmement intéressante. Je l’ai ressenti comme une délivrance : enfin, j’allais pouvoir passer ce mur qui me hantait depuis mon adolescence. »
Envie de se perdre dans les ruelles de Prague
Je rappelle que vous avez derrière vous une belle carrière au service de la diplomatie française. Votre parcours vous a conduit à Genève, à Lisbonne, à Paris, bien sûr, à Brasilia, à Ottawa, à Helsinki et donc à Prague. Peut-on dire qu’avec Prague, c’est en quelque sorte un nouveau chapitre qui s’ouvre pour vous étant donné que c’est votre premier poste dans un pays d’Europe centrale ?
« C’est effectivement une ville et un pays chargés d’histoire. J’ai encore beaucoup de choses à découvrir sur l’histoire de la République tchèque. L’Institut français a participé à cette histoire. Je me suis aperçu que c’était un bâtiment et une institution qui étaient chers au cœur des Pragois et des Tchèques. Donc, c’est très intéressant de faire partie de cette aventure, de découvrir une ville qui me rappelle par certains côtés Lisbonne, avec ses petites ruelles, avec cette envie de se perdre et de partir sans savoir où on va… »
Il existe une centaine d’Instituts français à travers le monde. Quelle est la place de celui de Prague dans ce réseau ?
« C’est l’un des plus importants. L’IFP est un bâtiment de cinq étages. Nous avons la seule salle de cinéma du réseau des Alliances françaises en Europe ! Nous sommes situés au cœur de la ville, ce qui n’est pas le cas dans les autres capitales, mis à part Berlin. Ce qui nous distingue également, c’est une grande médiathèque et un très beau café français qui a rouvert le 1er octobre, après rénovation. Il faut se rendre compte que Prague est une ville extrêmement riche au niveau culturel. L’objectif de l’Institut français, c’est non seulement d’exister, mais en même temps d’accompagner certains partenaires, de trouver une place en Tchéquie aux artistes français, aux initiatives françaises et aux scientifiques français.
Y a-t-il une comparaison à faire avec l’Institut français d’Helsinki où vous étiez en poste auparavant ?
« Au niveau professionnel, la comparaison est un peu difficile parce qu’Helsinki est un institut plus petit. Pardon pour les Finlandais, mais Helsinki n’a pas une actualité culturelle importante, mis à part la musique classique, car la Finlande forme beaucoup de chefs d’orchestre. A Prague également, vous avez cinq grands orchestres philharmoniques nationaux, mais également des musées et des galeries d’art. On sent que les Tchèques sont très attachés à leur culture, à la musique et aux grands événements musicaux, un peu comme les Autrichiens. Je dirais qu’en arrivant d’Helsinki à Prague, je suis passé de la deuxième en première division. »
Vous m’avez dit hors micro, que vous aviez fait de la radio en Finlande, en animant une émission sur la musique française.
« En fait, c’était une émission sur la chanson française et son évolution à travers les décennies. L’idée était de raconter chaque semaine ce qui a marqué l’actualité de la chanson française dans les années 1920 à 1940, puis dans les années 1950 et 1960. Et comme ça, j’ai emmené les auditeurs jusqu’aux années 2020. C’était en français. Il y avait des journalistes qui traduisaient mes propos en finnois. On avait eu beaucoup d’échos assez positifs sur le fait que sur une radio en Finlande, pays où l’anglais prédomine, on entendait du français. C’est une autre situation qu’en Tchéquie, où le français est une langue très aimée et appréciée. »
Quels sont vos objectifs à la tête de l’Institut français de Prague ?
« Premièrement, je vais essayer de continuer sur l’excellent travail effectué par mes prédécesseurs. Nous sommes en train de préparer la saison 2025. Pour vous citer quelques exemples, dans les prochaines années, il va y avoir un cycle d’opéras qui vont être proposés au Théâtre national. Le projet commence d’ailleurs cette semaine, avec l’opéra ‘Platée’ de Jean-Philippe Rameau. En même temps, on va essayer de développer des résidences d’artistes. On va essayer de continuer de participer aux expositions de la Galerie nationale et d’autres galeries qui sont importantes ici. Défendre la langue française, évidemment, c’est un défi, pas seulement en République tchèque, mais dans beaucoup de pays. La langue française est aujourd’hui la quatrième langue apprise dans les écoles tchèques, en dehors de l’anglais, bien évidemment. Elle est en progression grâce à un réseau dynamique d’écoles bilingues. Il est important d’offrir aux élèves la possibilité d’apprendre une autre langue que l’anglais. On ne défend pas seulement le français, on défend le multilinguisme. Cela permet de diversifier ses sources d’informations. En matière scientifique aussi, nous avons un très beau programme d’échanges scientifiques qui s’appelle le Programme Barrande. Nous allons poursuivre le cycle de débats d’idées, et continuer à proposer les thématiques qui nous sont chères, à savoir l’égalité femmes-hommes, l’éco-responsabilité, l’environnement, la cause LGBT et, de manière générale, la lutte contre toutes les discriminations. Sans oublier l’Europe ! Nous voulons essayer de montrer, avec nos partenaires des ambassades européennes à Prague, que l’Europe est une grande chance pour tous les pays membres et qu’en ces temps difficiles, il est important d’être ensemble. »
De Martina Hingis à Juliette Binoche
En tant que Conseiller culturel de l’Ambassade de France, vous avez et vous aurez encore le privilège de rencontrer certaines grandes personnalités du pays, grandes personnalités de la culture notamment. Qu’est-ce qui vous a marqué jusqu’à présent dans la culture tchèque ?
« Cela paraît anecdotique, mais j’ai commencé ma carrière dans un tout autre domaine : très jeune, de 18 à 25 ans, j’étais journaliste sportif, donc je m’intéressais beaucoup au sport. Mon enfance et mon adolescence, ainsi que mes premiers pas de journaliste ont été marqués par des personnalités comme Ivan Lendl ou Martina Navratilová. Je m’intéressais aussi à Martina Hingis, ancienne joueuse de tennis dont peu de gens savent qu’elle est d’origine tchèque, parce qu’elle était numéro un mondial sous les couleurs de la Suisse. Donc mes premières rencontres avec la République tchèque, c’était à travers le sport. Je vais vous parler aussi d’une autre rencontre. Je suis originaire de Dijon, et un jour, j’avais entendu dire qu’il y avait un tournage d’un film pas très loin de chez moi. J’y suis allé, il y avait Juliette Binoche qui était là, et c’était sur le tournage de l’adaptation de ‘L’insoutenable légèreté de l’être’ de Milan Kundera. Les tournages sont longs, il y a beaucoup de temps mort et les acteurs s’’ennuient parfois un peu, ce qui était aussi le cas de Juliette Binoche. J’ai eu l’occasion de parler un long moment avec elle. Elle m’avait expliqué que le personnage principal était une femme avec beaucoup de complexité et de caractère, ce qui l’avait attirée. Et elle m’a encouragé à lire ce livre. C’est grâce à Juliette Binoche que j’ai découvert ensuite l’univers de Milan Kundera…
C’était si simple de s’adresser à Juliette Binoche ?
« Oui, le tournage se déroulait dans une forêt, il n’y avait pas grand-chose à faire… J’ai pu profiter de cette occasion et parler pendant deux heures et demie avec Juliette Binoche. Elle ne se souvient plus de moi, mais moi je me souviens d’elle ! (rires) »
LIRE & ECOUTER
« Donc Milan Kundera et Franz Kafka étaient mes références. A présent, je me réjouis beaucoup de découvrir d’autres facettes de la culture tchèque. Par exemple, j’ai visité la Galerie nationale de Prague qui possède une collection incroyable de tableaux de peintres français. J’étais vraiment impressionné par la richesse de cette collection, ainsi que par les tableaux de peintres tchèques qui, pour certains, se sont inspirés de la France. Par ailleurs, la Galerie nationale propose actuellement une excellente exposition sur les peintres tchèques et l’Ecole de Paris. »
Vnitroblock et autres lieux insolites à Prague
Avez-vous déjà vos endroits préférés à Prague ?
« Pour moi, Prague est un musée à ciel ouvert. Chaque fois, j’ai l’impression d’avoir trouvé mon endroit préféré et puis la semaine suivante, je découvre autre chose encore qui me plaît, comme par exemple un endroit qui s’appelle ‘Vnitroblock’ : c’est une sorte de grand open space avec un café et des canapés. Encore une fois, je l’ai découvert par hasard, le portail était ouvert. Aussi, j’aime beaucoup le jardin [Wallenstein] qui se trouve dans l’enceinte du Sénat, avec des fontaines et les couleurs d’automne. Enfin, comme tous les Français, partout où je suis, je cherche toujours des restaurants, de petites adresses où l’on peut acheter des spécialités culinaires. Vos auditeurs peuvent me contacter, je suis prêt à livrer mes secrets dans ce domaine-là ! »