Totalement amateurs ou la dure condition des joueurs de rugby en Tchéquie

Tchéquie - Pologne

Pour les amateurs de rugby en Tchéquie, la semaine dernière aura été une bien belle semaine avec notamment la tenue à Prague des championnats d’Europe U18 et U20 (pour les joueurs âgés respectivement de moins de 18 et 20 ans) ou encore l’annonce de la nomination d’un entraîneur français, Lionel Perrin, à la tête de la sélection féminine tchèque de rugby à sept avec pour objectif de se qualifier pour les prochains Jeux olympiques de Los Angeles. La seule petite ombre au tableau aura été la courte et douloureuse défaite concédée par l’équipe A à la dernière minute de son match contre la Pologne (15-22), samedi soir, toujours à Prague.

Un revers, le deuxième déjà en trois matchs, qui laisse la Tchéquie à la troisième place du Rugby Europe Trophy 2024-2025, une compétition qui, après le Tournoi des VI nations et le Championship (que disputent des pays comme la Géorgie, la Roumanie, l’Espagne ou le Portugal), peut être considérée comme la troisième division européenne, et ce, alors que l’ambition à moyen terme du rugby tchèque est précisément de monter d’un niveau afin de pouvoir se frotter à quelques-unes des sélections européennes qui ont disputé la dernière Coupe du monde en France.

« Sans argent, nous n’avons rien à proposer aux jeunes joueurs quand ils arrivent à 18-20 ans »

Bien que très déçu par l’issue finale de la rencontre, avec un essai décisif de la Pologne inscrit sur sa dernière attaque, quelques minutes seulement après que son équipe est parvenue à égaliser, l’entraîneur tchèque et ancien deuxième ligne d’Oyonnax en Top 14 Miroslav Němeček a confié, en français, ses impressions sur ce match et nous a fait part des difficultés auxquelles lui et ses joueurs amateurs sont confrontés pour progresser davantage :

Miroslav Němeček | Photo: Guillaume Narguet,  Radio Prague Int.

« Je n’ai pas parlé aux joueurs tout de suite après le match mais, à la mi-temps, nous nous sommes dit qu’il fallait faire preuve de plus de discipline. Nous avons concédé huit pénalités, contre deux seulement pour les Polonais. Cela nous a contraints à défendre pendant l’essentiel du temps en première mi-temps, et contre une équipe bien préparée et bien en place comme la Pologne, c’est très dur et c’est aussi ce qui explique que l’on ait manqué un peu de physique sur la fin de match. »

« Le problème est que nous n’avons eu que deux entraînements avant le match avec les joueurs, alors que les Polonais ont eu une semaine de stage en Espagne. Il faudrait donc que l’on puisse se voir et s’entraîner ensemble plus souvent. Se réunir deux à trois jours avant un match ne suffit pas, et ce manque de préparation saute aux yeux ensuite pendant les matchs. Nous commettons trop de petites fautes qui nous coûtent très cher au bout du compte. »

« C’est vrai, notre ambition est de monter en Championship, mais avec deux défaites lors des trois premiers matchs, c’est déjà fortement compromis. On voit bien que nous ne sommes pas loin d’équipes comme la Suède et la Pologne, qui nous ont battus cet automne, mais encore une fois, il faudrait que l’on puisse se préparer davantage ensemble pour nous en rapprocher davantage encore. Mais cela a un coût et pour ce qui est des moyens financiers, c’est une question qu’il faudrait poser aux dirigeants de la Fédération tchèque de rugby. Moi, ce que je sais, c’est que si l’on pouvait passer plus de temps ensemble avec, par exemple, un stage de temps en temps, cela nous permettrait de progresser davantage. »

« [Depuis que je suis à la tête de l’équipe nationale], je vois des progrès. Chaque saison, nous avons de nouveaux jeunes joueurs qui arrivent. Cette semaine, par exemple, les U18 tchèques ont battu le Portugal, et c’est une performance qui confirme que l’on progresse dans le travail avec les jeunes. Mais on en revient toujours au même problème : il faut ensuite pouvoir travailler avec eux pour continuer à les faire progresser, car le talent ne suffit pas. »

« Je reste positif, parce que je suis d’un caractère optimiste, mais la réalité est que nous n’avons rien à offrir et à proposer à ces jeunes joueurs. Pour ce qui est du rugby, ils n’ont pas d’avenir en Tchéquie. Tout simplement parce qu’il n’y a pas d’argent pour ce sport dans ce pays. Que fait un joueur quand il arrive à 18-20 ans ? Puisqu’il n’a pas de perspective de carrière sportive, et même s’il a un potentiel intéressant, il donne généralement la priorité aux études ou à un métier plutôt qu’au rugby… »

« Tant que je pourrai continuer à jouer au rugby, je resterai en France »

Parmi les vingt-trois joueurs retenus par Miroslav Němeček pour affronter la Pologne, en figurait un qui évolue en France depuis quelques années. Dans une langue d’Antoine Dupont qu’il maîtrise désormais particulièrement bien, Vojtěch Vomáčka, talonneur du club de Saint-Marcellin, commune de l’Isère, et donc de la « česká Reprezentace », s’est lui aussi confié au micro de Radio Prague International sitôt le coup de sifflet final :

« Bien sûr, je suis déçu, mais seulement du résultat, pas de notre performance. Nous avons tout donné et je suis heureux d’être là avec mes coéquipiers. C’est une fierté de porter ce maillot et je suis convaincu que, malgré la défaite, ce match contre la Pologne nous servira pour les prochains matchs. »

Vojtěch Vomáčka  (à gauche) | Photo: Martin Flousek,  České ragby

« La Pologne est une équipe qui descend du Championship et même si elle était favorite ce soir, je pense que nous avons su faire jeu égal, et parfois même mieux encore, car nous avons dominé certains passages du match. Alors, oui, nous avons perdu, mais il y a beaucoup de bonnes choses à retenir. »

« S’il me faut vraiment retenir un aspect négatif, je pense que c’est dans la conservation et l’utilisation du ballon. Il y a eu parfois de situations de jeu où nous avions des espaces et où nous avons fait de mauvais choix de passes ou de conservation. Ce sont des décisions individuelles qui nous coûtent cher à la fin. »

« Mon parcours ? Je suis arrivé en France en 2017. Mon idée au départ était de passer un an au centre de formation de Macon, avec les U18, avant de revenir en Tchéquie pour poursuivre mes études. Mais à la fin de la saison le FC Grenoble, qui évolue en Pro D2, m’a contacté pour me proposer de jouer avec les Espoirs. Je suis donc resté là-bas pendant trois ans, mais malheureusement je n’ai pas été retenu au final. Le FCG m’a néanmoins aidé à trouver un club dans la région et c’est comme ça que je me suis retrouvé à Saint-Marcellin, un club qui évoluait alors encore en Fédérale 2 (équivalent de la 4e division en France) avant de descendre en Fédérale 3… »

« À côté du rugby, je travaille comme animateur jeunesse à la mairie de Saint-Marcellin. Je travaille donc avec les enfants de l’école élémentaire. Je m’occupe de leur accueil le matin, puis le midi pendant le temps de cantine et l’après-midi après les cours, et aussi le mercredi. Ce n’est pas tout à fait le parcours que j’avais prévu, car j’avais envisagé de faire des études pour devenir géomètre. Mais je dois avoir le travail avec les enfants dans le sang puisque mes parents travaillent déjà dans l’éducation et étaient pédagogues. »

« J’essaie d’introduire le rugby auprès des enfants, mais ce n’est pas l’objectif. Le plus important est qu’ils passent du bon temps avec nous, qu’ils aient plaisir à être avec nous et qu’ils gardent de bons souvenirs. »

« C’est vrai, venir joueur avec l’équipe de Tchéquie n’est pas simple depuis la France. Pour cette fois d’ailleurs, il m’a fallu prendre un congé sans solde de quelques jours. Du coup, j’ai déjà tout prévu au niveau de l’organisation pour l’année prochaine. Mais je n’ai pas à me plaindre d’un manque de soutien de la mairie de Saint-Marcellin, bien au contraire. Je pense qu’ils sont contents d’avoir un joueur international dans leur équipe de rugby. Je pense que c’est du gagnant-gagnant, car les matchs avec l’équipe nationale sont aussi l’occasion de voir la famille. »

« Comment j’envisage la suite ? La seule chose dont je suis sûr, c’est que tant que je pourrai jouer au rugby, je continuerai à le faire et j’irai au bout de ma ‘carrière rugbystique’. Je croise les doigts, si je pouvais jouer encore cinq ou six ans jusqu’à mes 30 ans, ce ne serait déjà pas mal. Et après qui sait ? Peut-être aurai-je alors une famille ou un boulot qui me feront rester en France… Cela fait déjà trois ans que je suis installé à Saint-Marcellin, j’y ai créé des relations et j’y ai mes amis. Je ne dis pas que je ne rentrerai pas un jour en Tchéquie, mais actuellement ce n’est ni mon plan A, ni le B ou le C… »

« Le problème lorsque l’on joue en Fédérale 3, ce sont les règles puisqu’il est interdit de plaquer au-dessus de la ceinture et de pousser en mêlée. Comme je suis talonneur, c’est aussi une des raisons pour lesquelles j’apprécie venir en équipe nationale, car on y joue avec les ‘vraies’ règles. »

« Bien sûr, le rugby est beaucoup plus reconnu en France. En Tchéquie, certaines personnes confondent rugby et football américain… En France, je n’ai parfois même pas besoin de me présenter, car les gens reconnaissent d’eux-mêmes que je suis rugbyman. Cela fait plaisir de voir des gens qui connaissent un sport que je pratique depuis maintenant dix-huit ans. Et puis, c’est bien aussi d’avoir les avantages et la reconnaissance du club. Un club, c’est un réseau, et pour le boulot et d’autres à-côté, c’est intéressant. De ce point de vue, en tant que joueur de rugby, c’est donc mieux d’être en France. C’est une chance, mais c’est aussi un sacré défi lorsque l’on est un jeune joueur, car ce n’est pas facile de partir à l’étranger en laissant tout en Tchéquie. Il faut ensuit se débrouiller seul et pour moi, cela a jusqu’à présent été le plus grand challenge que j’ai eu à relever dans ma vie. »