2014 en émotion(s)
Si le journalisme est un bien beau métier, c’est d’abord parce qu’il permet de rencontrer des gens. Des gens dont l’histoire, l’action, le travail ou le message méritent d’être racontés et transmis au public. Bien souvent, toute la difficulté pour le journaliste est de faire partager aux auditeurs et aux lecteurs l’émotion, l’ambiance ou le contexte dans lequel ces rencontres se sont passées. Cela est vrai notamment pour le monde du sport où, quel que soit le niveau de pratique et au-delà de l’activité physique, l’émotion est une de ses principales raisons d’être. Le sport, et les médias qui le vendent l’ont compris depuis belle lurette, ne se mesure pas seulement en buts, points, secondes et médailles. Pour ces trois dernières rubriques sportives de l’année, nous vous proposons donc non pas de revenir sur les médailles tchèques aux JO de Sotchi, la victoire de l’équipe féminine de tennis en Fed Cup ou encore le renouveau de l’équipe nationale de football, mais plutôt sur certaines des belles rencontres que nous avons faites, le plus souvent avec des sportifs mais pas seulement, en 2014.
« Nous les adorons ! Ce sont deux gars supers, et puis deux joueurs exceptionnels, franchement. Ils sont là depuis très longtemps et ils font partie de notre club et même de notre vie, parce qu’ils sont toujours présents, toujours disponibles. Non, vraiment, ce sont deux joueurs très, très biens. »
« J’ai un peu le même avis. Ce sont des gens dont je dirais qu’ils sont studieux. Ce sont des professionnels, certes, qui pourraient très bien se dire qu’ils ne sont là que pour un an ou deux, mais non, ils sont sérieux, consciencieux et font leur travail. Bien sûr, ils ne sont pas seuls dans l’équipe, mais ce sont deux éléments sur lesquels on peut compter, qui ont fait leurs preuves et, comme on dit dans le milieu professionnel, très compétents dans leur domaine. Je leur souhaite de continuer, avec nous bien sûr. On sait pertinemment qu’ils iront peut-être ailleurs un jour, mais en attendant, ce sont deux joueurs qui ont déjà prouvé leur fidélité depuis qu’ils sont à l’USO. Ils sont aimés et aiment ce club et cette ambiance qu’ils ont contribué eux aussi à créer. »
« Ce sont des joueurs qui jouent pour leur club, pour nous les supporters, pour eux aussi. Ils se donnent toujours à fond, ce sont deux joueurs de très grande qualité. Ouaih ! »
Ce n’est pas tout à fait une déclaration d’amour, mais cela y ressemble fort. Comme Jacqueline et Bernard, que nous avons rencontrés au stade Charles Mathon, les supporters d’Oyonnax, le petit poucet du Top 14 la saison dernière, aiment leur club de rugby, ses deux joueurs tchèques et ils le font savoir. Respectivement pilier gauche et deuxième ligne, Lukáš Rapant et Miroslav Němeček défendent les couleurs des Rouges et Noirs et vivent à Oyonnax depuis 2006 et 2008. Lukáš Rapant et Miroslav Němeček sont les deux seuls joueurs tchèques à évoluer dans le Top 14, une des meilleures compétitions de clubs au monde. Une performance loin d’être anodine, d’autant moins lorsque Miroslav Němeček, beau bébé de près de 2 mètres et de plus de 110 kilos, nous raconte comment un joueur tchèque parvient jusqu’à l’élite du rugby français :
« Vous savez, je suis arrivé à Oyonnax quand le club était en milieu de tableau en Pro D2. Auparavant, c’était un petit club, effectivement, mais je l’ai vu évoluer et grandir. Alors, oui, voir aujourd’hui autant de gens s’investir dans le projet, c’est très important pour moi. Ca fait six ans que je suis là et c’est aussi une partie de mon cœur. Il me reste encore deux ans de contrat et je n’ai pas envie de quitter le club en le laissant en Pro D2. Je veux partir par la grande porte. »-Quel a été votre parcours pour en arriver jusque dans le Top 14 ?
« Cela a été vraiment très difficile. Un joueur tchèque qui a envie de réussir au haut niveau ne peut pas se permettre d’attendre en Tchéquie qu’un club français, même de Pro D2, vienne lui proposer un contrat. En France, j’ai donc commencé en Fédérale 1 (3e division) (Němeček est également passé par Bègles-Bordeaux et Beaurepaire avec des essais en Nouvelle-Zélande, en Angleterre et en Australie), j’ai progressé pas à pas avant d’entrer en contact avec Oyonnax avec qui nous sommes montés dans le Top 14. »
-Jouer dans le Top 14, c’est un rêve qui se réalise ou plutôt un aboutissement, votre progression qui se poursuit ?
« Honnêtement, mon rêve a toujours été de joueur dans le Top 14. Quand j’avais 14 ans, mon rêve était de joueur pour Toulouse. Bon, je crois que cela n’arrivera plus (il rit)… Mais jouer au plus haut niveau possible était mon rêve, peut-être même plus encore pour mon père. Et en Europe, je pense que le Top 14 est ce qui se fait de mieux. »
Si ces mots sont donc de Miroslav Němeček, ils auraient tout aussi bien être pu ceux de son compère en mêlée Lukáš Rapant :
« C’est un rêve… Un rêve qui s’est réalisé. Je suis vraiment content et heureux de disputer ce Top 14, qui est effectivement un des meilleurs championnats au monde après le Super 15 dans l’hémisphère sud. En tout cas, c’est ce qu’il y a de mieux en Europe. »
-Nous sommes là dans votre stade sur le bord de la pelouse et au pied de la nouvelle tribune qui a été montée en début de saison. On voit que derrière les poteaux une autre tribune est en train d’être installée. Oyonnax est une petite ville, mais on sent que son cœur bat pour son équipe de rugby. C’est un club familial, on le voit avec les supporters qui viennent vous voir et vous parlent comme à des amis. Dans quelle mesure cette chaleur et cette proximité entre les gens sont-elles importantes pour vous ?
« Oui, c’est toujours bien, il n’y a pas de grosses différences entre les joueurs et les gens ‘normaux’ au niveau financier. Nous joueurs avons besoin des supporters. C’est pour ça que nous prenons notre temps avec eux. Personnellement, ça me fait toujours plaisir de parler avec eux. L’esprit de famille est aussi très important, car il facilite l’intégration des nouveaux joueurs. Moi, quand je suis arrivé à Oyonnax, j’ai été très bien accueilli par les anciens joueurs. Dans la tête, cela permet de bien travailler tout de suite. Donc oui, cet esprit de famille, c’est vraiment une très bonne chose ! »Le lendemain de ce passage à Oyonnax, et toujours avant ce Lyon-Plzeň de football, nous prenons la direction d’Avignon. Confortablement installés autour d’une bonne table sur une terrasse ensoleillée sur les bords du Rhône, nous rencontrons cette fois Adolf Scherer, avant-centre de l’équipe de Tchécoslovaquie de football finaliste de la Coupe du monde 1962 au Chili contre le Brésil…
« Le football, c’est ma vie. Je ne peux pas l’oublier. Jamais, vraiment jamais. J’ai développé ma carrière et ma vie privée avec le football. J’ai 75 ans et le sport m’a toujours beaucoup donné. Aujourd’hui encore, j’en fais encore beaucoup. Tous les jours. Du vélo, de la gymnastique, de la natation… Minimum trente à quarante minutes. J’ai besoin de ça pour vivre. »
Il est des rencontres dans une vie qui ne s’oublient pas. Des moments privilégiés. Celle avec Adolf Scherer fait partie de celles-là. Adolf Scherer… Malgré son prénom pas facile à porter, comme lui-même s’en amuse, malgré une finale de Coupe du monde et des buts en pagaille durant toute sa longue carrière de joueur, Adolf Scherer reste un nom pratiquement inconnu du public tchèque. La faute en grande partie aux aléas de l’histoire et aux communistes qui ont fait effacer son nom des archives après son émigration illégale en France au début des années 1970. Et pourtant, Adolf Scherer n’était pas n’importe quel joueur.
Plus qu’un joueur, Adolf Scherer était un buteur, un « kanonýr » (canonnier), comme disent les Tchèques, auteur de vingt-deux buts en trente-six sélections, bref un des meilleurs attaquants qu’ait connus le football tchécoslovaque. Quand même… Et un avant-centre qui, dès ses débuts en équipe nationale, a eu le bonheur d’évoluer avec dans son dos un meneur de jeu comme Josef Masopust, élu Ballon d’or France Football en 1962.
1962 justement, et plus précisément le 17 juin, est LE grand jour dans la carrière d’Adolf Scherer. Ce jour-là, la finale de la Coupe du monde, retransmise en direct par la Radio tchécoslovaque depuis Santiago du Chili, oppose le grand Brésil, tenant du titre, à la Tchécoslovaquie, équipe surprise de la compétition. Adolf Scherer raconte…
« Ah, la finale ! C’est une grande fête, mais ce n’est pas un match comme les autres. On nous a fait redescendre de la montagne pour que nous dormions en ville dans une caserne. Le jour de la finale, réveil à sept heures du matin pour aller faire un footing avec les militaires… Vous rigolez, mais bon… Après ça, il y a eu la finale : 100 000 personnes au stade* (il exagère un peu), mais ça ne faisait rien. Nous, on était décontractés, on avait fait 0-0 en match de poule contre le Brésil. Et on menait 1 à 0 à la mi-temps… (Adolf Scherer est un peu trahi par sa mémoire. En réalité, les Brésiliens ont égalisé à la 17e minute par Amaridlo, après l’ouverture du score par Masopust deux minutes auparavant, ndlr) »« Mais l’arbitre, Latyshev qu’il s’appelait, était un Russe. C’était un rigolo. Il y avait un penalty flagrant sur moi, il n’a rien sifflé. S’il avait fait son boulot, j’aurais marqué le penalty, on aurait mené 2 à 0 et ça n’aurait plus été la même affaire… En deuxième mi-temps, on est à un partout quand sur un centre, notre gardien (Viliam Schrojf, élu avant la finale meilleur gardien du tournoi et grand artisan du parcours tchèque) rate sa sortie et ça fait 2 à 1 pour le Brésil (Zito, 69e). Et le troisième but, c’est Vava (78e) qui le marque… Après le match, j’étais tellement… J’ai pleuré. J’ai pleuré (il se répète). La médaille qu’on nous a remise, je l’ai portée là (il montre autour de son cou) pendant cinquante ans. Je ne l’ai jamais quittée. Jusqu’au jour où madame Scherer, comme je nageais beaucoup, m’a dit ‘non, tu ne peux pas, tu vas nager en mer, tu vas la perdre’. Donc, elle me l’a prise et l’a cachée… Mais jusqu’à maintenant, on n’a toujours pas retrouvé cette médaille… (il interpelle sa femme assise à table en face de lui en faisant mine de se fâcher) ‘Elle est où cette médaille ?’ »
(Sa femme lui répond) « Mais arrête… Je ne sais pas où elle est rangée. »
(Il reprend) « Cinquante ans. Je l’ai portée, là, pendant cinquante ans… Jusqu’au jour où elle s’en est mêlée. ‘Tu vas la perdre et patati et patata’… Ah ça, maintenant, cette médaille est à la maison, mais personne ne sait où elle est et il faudrait tout retourner pour la retrouver (il éclate de rire)… »
C’est donc sans sa médaille de finaliste de la Coupe du monde, « rangée » par son épouse française, qu’Adolf Scherer vit aujourd’hui… Mais, on peut vous le garantir, pas moins heureux pour autant… Comme quoi, un homme se remet même d’une finale perdue, fut-elle de Coupe du monde.