Říčany, le « Toulouse » du rugby tchèque
C’est dans une petite ville de 17 000 habitants située au sud-est de Prague que le cœur du rugby tchèque bat le plus fort. Triple champion national en titre, le RC Mountfield Říčany, fort de ses 500 licenciés et d’une histoire riche de près de 80 ans, peut être considéré comme le centre névralgique du petit monde de l’ovale tchèque. Reportage.
Ils s’appellent Maruška, Nela, Oskar, Daniel ou encore Matyáš, ont entre 10 et 12 ans, et tous, filles et garçons qui s’entraînent ensemble, ont pour point commun d’être de petits Tchèques qui jouent au rugby. Une pratique pas si courante dans un pays où les enfants, pour ce qui est des sports collectifs, préfèrent généralement les ballons et balles de forme ronde ou le palet de hockey. Que ce soit « pour l’esprit d’équipe » et parce que c’est « un sport très collectif » pour l’une, « les camarades » ou encore « parce qu’il y a beaucoup d’actions, qu’on y coure beaucoup » ou encore « parce que c’est un sport de contact » pour un autre, aucun d’entre eux n’hésite bien longtemps quand on leur demande ce qui leur plaît dans le rugby.
En ce jeudi de mi-octobre, c’est sous la lumière artificielle des projecteurs que les enfants achèvent leur entraînement. Chose suffisamment rare en Tchéquie pour ne pas être remarquée, et preuve que le rubgy occupe une place importante dans la vie de la commune, à Říčany, c’est sur deux terrains en herbe équipés de poteaux de rugby, qui se trouvent juste à côté du terrain de football, qu’une bonne centaine de jeunes galopent, se passent le ballon et se roulent par terre en cette fin d’après-midi. Comme l’avouent cependant Maruška et Nela, ballon encore entre les mains, si jouer au rugby à Říčany apparaît presque comme une évidence, cela l’est parfois un peu moins aux yeux de leurs copains et copines :
Maruška : « Comment dire ? La plupart sont étonnés. Moi, je fais aussi du piano, alors quand je dis aux autres qu’à côté je fais aussi du rugby, certains me regardent parfois d’un drôle d’air parce que le plus souvent ils ne savent même pas très bien ce que c’est comme sport et comment ça se joue. Mais ça s’arrête là. »
Nela : « Moi, ça ne me fait pas mal, même s’il y a des fois des plaquages qui font quand même un peu mal. Presque toutes mes copines pensent que c’est trop dur, mais je leur dis d’essayer et j’ai même réussi à en convaincre quelques-unes de venir. Certaines sont restées et continuent de jouer, mais d’autres ont arrêté parce qu’elles n’y étaient pas habituées depuis toute petites et trouvaient que c’était trop dur. »
Installée derrière la main courante qui entoure le terrain, Gabina, elle, est la maman de quatre enfants, dont trois jouent au rugby à Říčany, « ville exotique en République tchèque » selon elle :
« Je dirais que la moitié des enfants à Říčany jouent au rugby parce qu’ils adorent ça. Il existe ici une vraie communauté autour du rugby pour les parents comme pour les enfants, qui peuvent commencer dès le plus jeune âge. Certains commencent à 3 ans et restent jusqu’en seniors. J’en sais quelque chose, à part une fille qui préfère la gymnastique, mes trois autres enfants sont inscrits au club... Vous voyez le plus petit là-bas, lui, il a quatre ans, et ça va jusqu’à l’aîné, qui a 15 ans et joue avec les U16 (moins de 16 ans). D’ailleurs, dans deux semaines, il doit partir pour un tournoi en France avec l’équipe nationale... »
Si le meilleur joueur actuellement à Říčany est un demi d’ouverture sud-africain, qui est d’ailleurs le seul étranger figurant dans l’effectif de l’équipe première et un des très rares aussi à ne pas avoir été formé au club, un petit air de France souffle néanmoins à Říčany. Et d’abord par la voix de Miroslav Němeček.
Directeur sportif et entraîneur de Říčany, l’ancien deuxième ligne d’Oyonnax, qui reste un des rares joueurs tchèques à avoir évolué dans le Top 14, est revenu dans sa ville d’origine il y a cinq ans, à la fin de sa carrière en France. Et s’il s’excuse pour son « français un peu rouillé », Miroslav Němeček, qui entraîne également l’équipe nationale tchèque, est ravi des progrès effectués ces dernières années par le club qui l’a vu naître au rugby :
« Oui, pour moi c’est naturel, j’ai commencé le rugby ici, quand j’avais cinq ans. C’est mon père qui m’y a amené. Je suis né à Řičany, c’était donc normal de revenir. Mais avec ma femme, nous allons longtemps hésité entre rester en France et rentrer. Finalement, pour nos enfants et nos parents, nous avons choisi Řičany. »
-Quand on est tchèque et amateur de rugby - vous avez connu le top niveau en France, puisque vous avez joué dans le Top 14, et vous avez aussi évolué dans d’autres grands pays traditionnels du rugby - n’est-ce pas trop difficile de revenir en Tchéquie, où le rugby reste un sport mineur ?
« Pour un joueur, ce n’est pas un problème, mais pour un entraîneur, c’est un vrai challenge. Comme vous l’avez dit, tous les joueurs sont amateurs. Quand je suis revenu, je suis devenu entraîneur à plein temps. Je suis donc professionnel mais je dois travailler avec des joueurs non professionnels ou amateurs, ce qui n’est pas toujours facile, car, pour eux, le rugby passe après les études, le travail ou les filles. Nous essayons de changer les mentalités, mais il faut du temps. »
-Nous sommes là un jeudi soir, il pleut un peu, pour les enfants l’école est finie. On voit devant nous plusieurs dizaines d’enfants, une image peu habituelle en Tchéquie sur un terrain de rugby. Comment expliqueriez-vous cet intérêt pour le rugby à Říčany ?
« C’est un travail qui a commencé il y a une dizaine d’années. Avant cela, il y avait peu d’enfants. Nous savions cependant qu’il fallait commencer avec les tout petits. Nous avons ainsi progressivement construit un club pour les enfants. Il y a dix ans, il y avait ici seulement une quinzaine d’enfants. Aujourd’hui, il y en a près de cinquante ou soixante cet après-midi. »
-Quel est le nombre de licenciés à Řičany ? Avez-vous une équipe pour chaque catégorie d’âge ?
« En ce moment nous avons une équipe pour chaque catégorie et environ 500 licenciés, dont environ 350 enfants. »
Mais le rugby à Říčany, ce n’est pas seulement ces centaines d’enfants licenciés, une équipe première triple championne en titre de Tchéquie ou encore ses nombreux joueurs internationaux. C’est aussi encore, par exemple, une équipe féminine de rugby à 7.
Maillot bleu du XV de France sur les épaules, Thomas Mendes, qui a découvert le rugby tchèque d’abord en tant qu’arbitre, est l’entraîneur de joueuses dont certaines peuvent encore rêver de se qualifier pour le tournoi olympique de Paris l’année prochaine :
« Le groupe est assez hétéroclite. Nous avons entre 12 et 14 joueuses âgées de 17 à 44 ans. Depuis un an, nous travaillons aussi avec un club de Prague, Petrovice, qui a également cinq ou six joueuses afin d’avoir une équipe compétitive pour les tournois, qui se divisent en deux saisons : une partie au printemps – élite – avec quatre tournois et la coupe d’automne, avec quatre tournois également. Actuellement, à une manche de la fin, nous espérons conserver notre deuxième place au classement. Comme toutes, leur motivation reste de faire un sport collectif. Deux ou trois de cette équipe sont en équipe nationale, avec toujours l’objectif d’atteindre les Jeux olympiques. Elles peuvent toujours se qualifier avec quelques tournois cette année et l’année prochaine. »
-Précisons que nous parlons de rugby à sept...
« Oui, absolument, d’ailleurs, ici, tout ce qui est rugby féminin est du rugby à sept. Nous n’avons plus les effectifs pour faire un championnat à quinze. »
-Quand on vient voir un match ici à Říčany de la première équipe. Comment présenteriez-vous l’ambiance autour du rugby ?
« C’est une ambiance très chaleureuse et familiale. Généralement, les tribunes sont bien garnies, tout comme la main courante – la barrière autour du terrain ; une ambiance comparable à celle de clubs en France, avec les enfants qui regardent leurs parents jouer et les familles. C’est quelque chose à voir. Certes, Říčany est un peu hors de Prague, mais l’accès en voiture ou avec les transports en commun reste facile. C’est un endroit idéal pour découvrir un match local à un bon niveau, puisque le club est trois fois champion de suite. »
-Avec, comme dans tout sport tchèque, l’inévitable bière dans une main et saucisse dans l’autre…
« Oui, effectivement ! On y retrouve les grillades et la bière. Je pense qu’il y a aussi d’autres alcools tchèques en réserve. Mais, en effet, il y a tous les ingrédients qu’on retrouve dans le rugby : bière, ballon, saucisse et kofola. »
-Vous êtes le seul à ne pas porter un maillot du club, mais un maillot de l’équipe de France. C’est important de le montrer ?
« J’ai aussi celui du club, mais j’aime bien venir avec le maillot de l’équipe de France, surtout en ce moment, pendant la Coupe du monde. C’est aussi une façon de leur rappeler que, même si j’entraîne les filles ici, que j’ai toujours un côté français, bien qu’il soit difficile de l’oublier avec mon accent et mes connaissances élémentaires de tchèque. »
Et pour les ameturs d’une virée à Říčany, superbe petite ville par ailleurs, et d’une découverte plus en profondeur du « Toulouse tchèque », rendez-vous dès ce samedi avec au programme un tournoi international de U14 (moins de 14 ans) et la demi-finale retour contre le Slavia Prague de la Coupe de Tchéquie.