Effectifs et investissements : malgré des menaces concrètes, une Armée tchèque insuffisamment prête
Confrontée à une pénurie de soldats, tant professionnels que de réservistes, et à des dépenses militaires très insuffisantes dans un contexte sécuritaire particulièrement incertain, l’Armée tchèque se trouve à la croisée des chemins. Mardi, à l’occasion de l’assemblée annuelle des commandants, la ministre de la Défense et le chef d’état-major des armées ont une nouvelle fois tiré la sonnette d’alarme.
L’Armée tchèque a besoin d’effectifs plus importants, et ce, malgré les difficultés récurrentes de recrutement, a d'abord souligné son chef d’état-major général. Selon Karel Řehka, le nombre de soldats professionnels s’élève actuellement à environ 24 000, alors que selon les plans stratégiques, l’Armée souhaiterait pouvoir compter, d’ici 2030, sur au moins 30 000 soldats conscrits et quelque 10 000 réservistes opérationnels.
Selon le chef des armées, alors que sa sécurité dépend depuis désormais vingt-cinq ans de son appartenace à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), la Tchéquie est également confrontée au défi crucial de se préparer à de nouveaux engagements en matière de défense collective, précisément dans le cadre de ses engagements internationaux. À ses yeux, il s'agit là d’une priorité absolue :
« Notre modernisation s’opère à grande échelle et à un rythme aussi soutenu que possible. Mais le paradoxe est que cela ne suffit plus. Ce n’est un secret pour personne que les effectifs de certaines unités sont à un niveau critique, surtout dans les unités de combat, ce qui a un impact direct sur leur capacité de défense. C’est un problème stratégique qui nous concerne ici et maintenant. »
Critiquant « un processus de recrutement désespérément lent et décourageant », Karel Řehka a regretté que l’Armée n’enrôlait qu’un faible nombre des quelque 7 000 candidats annuels prêts à s’engager dans la défense du pays et de ses alliés. Ainsi, le recrutement cette année ne permettra peut-être même pas de compenser les départs.
Et alors que « la Russie intensifie sa politique agressive vis-à-vis de l’Ukraine et du monde occidental », toujours selon le chef d’état-major, avec le soutien de l’Iran, de la Chine ou de la Corée du Nord, il a également rappelé la nécessité de reconsidérer le rôle et la place de l’armée dans les priorités du pays :
« La guerre en Ukraine est un signal d’alarme pour tout le monde. Il est temps de nous poser la question de notre capacité de résilience et de notre vulnérabilité stratégique. En tant que soldats, nous devons nous poser les bonnes questions comme celles consistant à savoir si nous disposons de réserves de matériel et d’installations de stockage suffisantes ou de chaînes d’approvisionnement sûres sur lesquelles nous pouvons compter en cas de crise. Si les réponses à ces questions sont négatives, cela signifie que nous ne sommes prêts qu’à moitié à faire face aux crises potentielles. »
Depuis l’Australie, où il est actuellement en visite, le président de la République, Petr Pavel, lui-même ancien chef d’état-major général (2012-2015) et président du comité militaire de l’OTAN (2015-2018), s’est lui aussi exprimé via un message vidéo. Selon le chef de l’État, la Tchéquie doit non seulement se doter d’une armée compétente, opérationnelle et réactive, mais aussi disposer d’une économie suffisamment résiliente tout en préparant également les Tchèques à la nécessité de consacrer « suffisamment de moyens » à la défense, et même un peu plus encore :
« Il ne s’agit pas seulement de consacrer les ressources dans la mesure que nous avons promise à nos alliés, car respecter ses engagements est une évidence absolue. Nous nous devons aussi de dépenser autant que nécessaire pour faire en sorte que l’armée et les forces de sécurité disposent de toutes les capacités qu’elles sont censées avoir. Sans garantie de sécurité, nous serons dans l’incapacité d’assurer les autres aspects de la vie de notre société dans son ensemble. »
En 2025, pour la première fois depuis son adhésion à l’OTAN en 1999, la Tchéquie consacrera 2 % de son produit intérieur brut (PIB) aux dépenses militaires. Une nouvelle réalité qui fait suite non seulement à l’évolution de la guerre en Ukraine, avec une Russie qui a mis son économie littéralement sur le pied de guerre, mais aussi à l’adoption d’une loi spéciale qui contraint désormais le gouvernement à respecter cet engagement découlant du principe de solidarité entre les États membres de l’OTAN.
Toutefois, selon le ministère de la Défense, bien que la valeur des marchés publics lancés par le gouvernement depuis sa formation en 2021 s’élève à quelque 350 milliards de couronnes (environ 14 milliards d’euros), et malgré une industrie de l’armement qui tourne à plein régime depuis le début de la guerre en Ukraine, la Tchéquie ne fait que compenser l’important retard pris en la matière sous les anciens gouvernements, quand les investissements militaires sont longtemps restés limités au strict minimum.
Mardi, la ministre Jana Černochová a d’ailleurs rappelé que ces 2 % du PIB si souvent évoqués « ne constituaient pas un plafond, mais un plancher » et qu’avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, la pression pour que les pays membres de l’OTAN, que le futur président américain a qualifiés de « mauvais payeurs » durant sa campagne électorale, revoient encore à la hausse leurs budgets de défense sera d’autant plus forte :
« Il est question d’un objectif de 3 % du PIB, voire peut-être même un peu plus, et nous concernant, nous sommes prêts à répondre à cette demande. La question est plutôt de savoir dans quelle mesure les Tchèques sont prêts eux aussi, car nous voyons bien que le débat autour de cette question des 2 % est toujours d’actualité. »
Besoin d'une plus grande attractivité pour attirer de nouveaux soldats et renforcer les effectifs ou encore, donc, investissements plus conséquents, les défis auxquels l’Armée tchèque est confrontée, sont ainsi multiples. Mais comme l’ont aussi rappelé certaines voix critiques mardi, l’exemple de la Pologne voisine, qui consacrera, elle, 4,7 % de son PIB à la défense en 2025, montre qu’y répondre, à condition de le vouloir et d'en faire une priorité, est possible.