Strašnická : la station du quai 9 ¾ d’Harry Potter (ou presque)

La station Strašnická

Le métro de Prague a 50 ans ! A cette occasion, nous vous invitons à découvrir quelques-unes des stations emblématiques du réseau métropolitain de la capitale tchèque. Dans ce nouvel épisode, nous nous arrêtons à Strašnická, sur la ligne A, pour parler des curiosités et des légendes qui entourent le métro de Prague, en compagnie de notre guide Martin Karlík de l’organisation Prague City Tourism.

La station Strašnická est une station intrigante. Quiconque y a déjà mis les pieds s’est forcément demandé pourquoi les escaliers côté nord étaient  inaccessibles depuis de nombreuses années. Pour quelle raison alors sont-ils condamnés ? Que se cache-t-il en haut de ces marches ?

Entrée de la station Strašnická | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« Ces escaliers sont, en effet, la source de toutes sortes de théories et légendes. Pour certains, en haut de ces marches, il pourrait même y avoir quelque chose de comparable au quai 9 ¾ dans Harry Potter [un quai de gare secret, situé derrière un portail magique, d’où partent les jeunes sorciers pour rejoindre l’école de Poudlard]. La réalité est cependant tout autre. A l’époque où la station de métro a été construite, il était convenu qu’un bon socialiste vivrait dorénavant dans de belles et modernes barres d’immeubles et que, pour ce faire, les vieilles bâtisses construites au XIXe siècle ou sous la Première République seraient rasées. Le quartier de Staré Strašnice aurait donc dû être démoli. Mais cela ne s’est finalement jamais produit car, comme à Žižkov, les habitants de Strašnice ont refusé de céder leurs maisons. Puis, dans les années 1980, il a été admis que ces bâtiments anciens avaient, tout compte fait, plus de charme que les barres d’immeubles. Le régime ne pouvant pas complètement faire la sourde oreille, les vieilles maisons de Strašnice ont donc finalement été préservées. Le second vestibule n’a ainsi jamais vu le jour et c’est pourquoi ces escaliers débouchent aujourd’hui étrangement sur un mur. »

Les escaliers de la station Strašnická | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

Le nom du quartier de Strašnice sonne comme l’adjectif tchèque strašný, que l’on pourrait traduire en français par « affreux » ou « effrayant », un nom qui, de prime abord, ne fait pas forcément rêver. Quelle est l’origine exacte du nom de ce quartier ?

« Oui, le nom de Strašnice sonne, en effet, de façon atroce. Plusieurs localités en Tchéquie portent pourtant un nom similaire, comme Nové Strašecí, sur la route de Karlovy Vary ou Strašín, dans la Šumava. Cette racine ‘straš’ est fréquente en Bohême. Cependant, elle ne renvoie pas tout à fait à ‘strašný’, mais plutôt à ‘Strašen’, un nom donné aux fondateurs présumés de ces localités et qui désigne une personne capable de repousser les dangers ou de chasser les démons. Il y a donc bien un lien avec la notion de peur, mais pas dans le sens où il fallait s’inquiéter si l’on fréquentait ces lieux. »

« Il y a quelques années, une carte amusante du métro de Prague avait d’ailleurs circulé sur Facebook. Tous les noms des stations avaient été traduits en anglais de façon littérale et Strašnická était ainsi devenue Scareville (rires). »

Un tunnel qui ne sert à rien

Autre élément intrigant, entre les stations Strašnická et Skalka, les rames tremblent et s’inclinent sensiblement lors de leur passage dans le tunnel. Est-ce là l’œuvre des détraqueurs, pour reprendre la comparaison avec Harry Potter, ou existe-t-il une explication plus rationnelle ?

La station Strašnická | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« Juste après Strašnická, en effet, le métro s’incline étrangement et sursaute. Ce n’est pas là l’œuvre de forces obscures propres à Strašnice, mais plutôt parce que c’est l’endroit où les trains avaient l’habitude de tourner ou de faire demi-tour auparavant. Le métro emprunte ce qui était la voie de manutention d’origine qui menait au dépôt. Il sort à ce niveau-là de la voie principale qui devait initialement continuer tout droit vers Zahradní město. La voie que nous empruntons aujourd’hui n’était là que pour permettre l’accès au dépôt, une fonction qu’elle assure effectivement encore de nos jours, mais en desservant également les quartiers de Skalka et Hostivař. La voie principale, quant à elle, n’a finalement jamais été construite et n’a pas vocation à l’être à court-terme. De ces projets avortés ne restent aujourd’hui que des tunnels vides de 80 mètres de long, inutilisables donc pour stationner des rames, en cas d’accident ou de panne sur la ligne, puisque ces dernières mesurent 100 mètres. Elles ne pourraient donc pas rentrer. Par conséquent, ces tunnels ne remplissent actuellement aucune fonction. »

Existe-t-il, dans le métro de Prague, d’autres bizarreries ou curiosités comparables aux escaliers de la station Strašnická ?

La station Strašnická | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

« Des bizarreries comparables à ces escaliers, non, vous n’en trouverez pas ailleurs. Cependant, il existe quelques curiosités. Par exemple, une bifurcation des voies, comme après Strašnická, existe également au niveau de Pražského povstání, sur la ligne C, en direction de Háje. Si vous regardez par la fenêtre du métro, vous apercevrez cet embranchement qui alimente, là aussi, beaucoup de rumeurs. C’est en réalité un espace qui était utilisé pour stationner des rames. Il est d’ailleurs possible de découvrir ces lieux lors de visites guidées nocturnes spéciales. »

Dépôt de Kačerov | Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

« Des tunnels spéciaux, il y en a également après Náměstí Míru sur la ligne A, après Florenc sur la ligne B et entre I.P. Pavlova et Muzeum sur la ligne C. Ce sont là des tunnels secondaires qui connectent les différentes lignes entre elles car à l’origine, chaque ligne ne disposait de son propre dépôt. Seul celui de Kačerov existait et il couvrait alors en rames l’ensemble du réseau. »

Des connexions secrètes vers la télévision ou les services de renseignement ?

Le métro de Prague n’est certes pas très ancien, mais des légendes le concernant ont-elles déjà émergé ?

Construction de la station Pražského povstání | Photo: Archives de DPP

« Des légendes existent bel et bien. Très souvent, elles sont liées aux tunnels, comme à Pražského povstání où il existe un embranchement qui passe plus ou moins sous la rue qui mène à la Télévision tchèque. Or, dans la mesure où la télévision est une institution stratégique, certains soutiennent qu’il y aurait très certainement une connexion secrète entre le métro et la télévision pour que celle-ci puisse être ravitaillée ou évacuée en cas de conflit. »

La station Letňany | Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

« D’autres théories conspirationnistes notent que le métro dessert pratiquement tous les quartiers généraux des services secrets, comme le siège du BIS à Hůrka, le Bureau des relations extérieures et de l’information à Kobylisy, l’Etat-major de l’Armée à Dejvická ou encore l’aéroport militaire de Kbely à Letňany. Cette théorie postule qu’en cas de menace, tous ces agents secrets et militaires pourraient converger en métro vers l’aéroport de Kbely d’où ils seraient en mesure de s’envoler. »

« Il y a également une légende selon laquelle Prague pourrait être traversée par des convois militaires souterrains. Cette théorie trouve son origine dans le fait que dans les années 1950, l’idée avait été effectivement avancée, mais les tunnels auraient dû être plus grands pour permettre le passage de matériel militaire sur les rails. »

Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

« Et puis, il y a cette théorie selon laquelle nous aurions un second métro, secret lui, qui relierait tous les sites d’intérêt stratégique. Il y aurait sous nos pieds une ville qui fonctionnerait de façon totalement autonome et qui enlèverait de façon sporadique des individus en surface pour les conduire sous terre… »

Le saviez-vous ?

Le métro de Prague, ce sont 61 stations, 65 km de voies, trois lignes en service, une ligne en construction et 361 millions de voyageurs par an, soit près d’un million d’utilisateurs par jour.