Obama et Medvedev à Prague: l'UE absente

Barack Obama et Dimitri Medvedev, photo: Štěpánka Budková

Retour sur la venue de Barack Obama et Dimitri Medvedev avec Christian Lequesne. Universitaire français, directeur du Centre d'études et de recherches internationales (CERI) et professeur de politique européenne à Sciences Po, Christian Lequesne connaît bien la République tchèque pour avoir passé quelques années à Prague où il a dirigé le CEFRES.

Christian Lequesne bonjour, qu’y a-t-il selon vous à retenir de ce sommet et de ces rencontres diplomatiques qui se sont déroulées ces denières heures à Prague ?

Toutes les manifestations de confiance provenant de Washington sont importantes pour rassurer le personnel politique, qui reste encore – avec des nuances d’un pays à un autre – convaincu que la présence américaine est un garant de la sécurité, notamment vis-à-vis d’une Russie qu’on considère comme pas encore tout à fait stabilisée. Il faut nuancer : je pense qu’il y a davantage de craintes dans les Pays baltes ou en Pologne qu’en République tchèque ou en Slovaquie. »

Barack Obama
« Je crois que ce qui est important, c’est autant la signature du traité avec les Russes que la rencontre avec les chefs d’Etat et de gouvernement d’Europe centrale. Il est clair que depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche il y a quand même un sentiment en Europe centrale et orientale que l’implication des Etats-Unis n’est plus tout à fait la même qu’à l’époque de George W. Bush. Je crois qu’il y a eu une série d’événements qui ont marqué cette partie de l’Europe : le fait qu’Obama ne participe pas aux cérémonies du 20è anniversaire de la chute du Mur de Berlin et la décision de l’administration américaine de ne pas poursuivre l’installation du bouclier antimissile en République tchèque et en Pologne. Tout ça a marqué, peut-être pas tant les sociétés d’Europe centrale et orientale que les élites politiques. C’est plutôt du côté des élites politiques qu’il y a à mon avis des soupçons d’un éventuel retrait américain.

L’Union européenne a été « omniabsente » de ces joutes diplomatiques qui se sont déroulées à Prague cette fin de semaine, même si sur les onze pays représentés à cette rencontre il y en a 10 qui sont membres de l’UE et un, la Croatie, qui devrait le devenir bientôt. Est-ce un vrai problème que l’UE n’ait pas du tout été impliquée ? Quelques voix se sont d’ailleurs élevées à Bruxelles, notamment l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt pour lequel cette rencontre est du « perdant-perdant », pour ces pays et pour l’UE.

Le Premier ministre polonais Donald Tusk et Barack Obama au cours de la rencontre de 11 pays d'Europe centrale et orientale,  photo: CTK
« C’est vrai qu’on a le sentiment que ça a été une affaire très largement américano-russe. Ceci étant, c’est assez normal que l’UE en tant que telle n’ait pas été visible puisqu’il s’agissait de questions stratégiques et nucléaires sur lesquelles l’UE en tant qu’institution n’a pas de compétences. Donc je crois qu’il y a une raison institutionnelle. Maintenant cela n’empêche pas qu’effectivement, on a le sentiment peut-être d’un manque de présence politique de l’UE, car après tout il y aurait pu y avoir plus de déclarations ou de visibilité de la part de la présidence espagnole de l’union. Ça n’a pas été le cas. Je pense qu’effectivement c’est une erreur politique parce qu’on a quand même le sentiment qu’aujourd’hui dans le domaine des questions extérieures, l’UE a plus de crédibilité dans les sociétés voire chez les élites d’Europe centrale qu’elle n’en avait encore il y a trois ans.
Photo: Commission européenne
C’est la conséquence de la perception d’un ‘retrait’ américain depuis l’arrivée d’Obama. Si on prend par exemple un pays comme la Pologne, il y a aujourd’hui très officiellement un vrai intérêt pour la politique extérieure et de défense de l’UE, ce qui n’était pas vraiment le cas il y a trois ans. L’UE aurait pu capitaliser davantage sur cette nouvelle situation... »

Un traité américano-russe signé dans la résidence du chef d’un Etat de l’UE qui refuse de hisser le drapeau européen : c’est un signe ? un pied-de-nez ?

Barack Obama et Dimitri Medvedev,  photo: Štěpánka Budková
« Je ne sais pas ce qui a amené les deux parties à demander à la République tchèque plutôt qu’à un autre Etat comme la Slovaquie ou la Hongrie. Il se trouve que ça a eu lieu à Prague, dans la résidence d’un président de la République qui est très officiellement anti-européen. Peut-être aurait-on dû penser au moins du côté américain davantage à la symbolique. Mais est-ce que les Etats-Unis comme la Russie ont véritablement envie de promouvoir l’UE ? Je n’en suis pas certain du tout. Quant à dire que c’est un acte délibéré, je ne m’y risquerais pas. »

Est-ce que la position de la République tchèque en Europe peut changer après ces derniers jours ?

Václav Klaus
« D’abord je pense que la République tchèque n’est globalement pas eurosceptique. Le problème de la République tchèque c’est un peu que l’image de son président lui colle à la peau. Le gouvernement actuel n’a pas de position anti-européenne déclarée, au contraire. Il y a quand même une sorte de déstabilisation au sein des élites tchèques, particulièrement à droite – proches de l’ODS – qui comprennent que l’UE a plus d’importance aujourd’hui, parce que justement il n’est pas certain du tout que les Etats-Unis aient un intérêt à vie pour défendre la sécurité de l’Europe. C’est un point important chez des gens qui étaient des atlantistes convaincus comme M. Vondra et d’autres. A mon avis, il y a une interrogation aujourd’hui sur le rôle des Etats-Unis et peut-être que cela les ramènera à plus d’intérêt ou plus de soutien pour l’intégration européenne. Donc oui, on peut penser que la République tchèque a un rôle à jouer en Europe, plus important que jusqu’à présent. Et qu’elle rattrapera ainsi à la fois la mauvaise image que donne en Europe son président et aussi une présidence de l’UE qui n’a pas été très réussie puisque le gouvernement est tombé avant la fin de cette présidence. »