Olivier Dejours : « Le caractère tumultueux et fantastique de Perutz n’est pas éloigné de l’enfance »
A partir du 29 février, l’Opéra du Rhin à Strasbourg propose plusieurs représentations dans toute l’Alsace d’une adaptation du roman La nuit du pont de pierre, de Léo Perutz, auteur pragois contemporain de Kafka. Un livre qui évoque l’histoire de l’amour impossible entre l’empereur alchimiste Rodolphe II et une jeune femme juive mariée. Un opéra chanté par des enfants mais qui s’adresse à un large public. Radio Prague a demandé à Olivier Dejours, auteur de l’opéra baptisé Le pont des ombres, l’origine de ce choix d’adaptation.
« L’Opéra du Rhin m’avait fait la commande d’un opéra qui serait chanté par des enfants, mais m’avait laissé carte blanche. J’avais d’abord pensé à prendre un librettiste, et puis finalement j’ai choisi le sujet, et j’ai eu envie d’écrire le livre moi-même. Je n’ai pas eu envie de choisir un sujet spécifiquement pour enfants, et La nuit sous le pont de pierre a été un livre qui a été une des révélations de ma vie. Quand je l’avais lu, à un moment donné j’ai pensé à cette phrase de Malebranche quand il lisait Descartes, que ‘les battements de son cœur l’obligeaient parfois à interrompre sa lecture’. »
Perutz est un écrivain juif, de langue allemande, originaire de Prague. Comme Kafka. Mais contrairement à Kafka, il est resté assez longtemps méconnu. Est-ce une façon de faire connaître cet auteur ?
« Je ne sais pas si c’est pour le faire connaître, mais en tous cas j’estime qu’il mérite d’être connu. En tout cas, autour de moi, j’en avais parlé à tout le monde, à tous les gens que j’ai rencontrés. J’ai offert le livre de Perutz, et d’autres encore. »
Justement, c’est un roman, vous en faites un opéra. Comment passe-t-on de l’un à l’autre ?
« A la lecture du roman, je trouvais déjà qu’il y avait comme une allégorie de la musique, dans le sens où c’est un roman très polyphonique. Il fait entendre plusieurs voix en même temps et même plusieurs époques en même temps. Presque tout se passe sous le règne de Rodolphe II à Prague, mais ce n’est pas par ordre chronologique. Les idées s’enchevêtrent tellement que quand j’ai commencé le livre, j’ai cru lire une suite de nouvelles. Cette façon de découvrir à travers différents tableaux un fil conducteur me paraît d’une certaine manière assez proche de l’idée que je me fais de la musique.
J’ai donc été assez fidèle à l’esprit et à la lettre du roman. J’ai travaillé directement à partir de l’allemand car je trouve que c’est une langue, de façon générale, et la langue de Perutz en particulier, très belle. Je suis parti de son texte, en suivant sa chronologie à lui qui n’est pas celle de la ‘réalité’. La seule chose, c’est que j’ai été amené à enlever deux tableaux : en écrivant un opéra pour un jeune public, c’est déjà une histoire très compliquée. Enlever ces deux tableaux a permis de resserrer l’action.
Mais en même temps, j’ai l’impression qu’il y a une forme de complexité que les enfants redoutent moins que les adultes. Pour eux, le fait de changer d’époque, ça leur paraît normal. Leur imaginaire est plus vif que le nôtre. En tout cas le caractère tumultueux, fantasque, et fantastique ne me paraît pas si éloigné que cela de l’enfance. »
Suite de cet entretien vendredi.