Pâques, une fête toute en couleurs
Pâques, la fête la plus importante de tous les chrétiens, est aussi la fête du printemps. Pour beaucoup l'aspect religieux de Pâques s'estompe avec le temps. Cette fête n'évoque plus pour eux la Résurrection du Christ mais la résurrection de la nature qui se réveille du sommeil hivernal. Comment nos ancêtres célébraient-ils les fêtes de Pâques ? Quelles sont les coutumes qu'ils observaient et qui ont sans doute laissé des traces dans notre mémoire collective ? Nous vous proposons de revenir dans le passé et de partir à la recherche avec nous les rituels printaniers dans la campagne tchèque et morave.
Une tradition plus ancienne que le christianisme
Nous oublions parfois que les fêtes de Pâques font le lien avec une tradition encore plus ancienne que celle de la religion chrétienne. En célébrant le retour du printemps, nous renouons avec les rites païens de nos ancêtres qui vivaient en symbiose avec la nature et qui, en chassant symboliquement l'hiver, chassaient aussi les ténèbres, la maladie et la mort. Aujourd'hui encore beaucoup d'entre nous conservent des coutumes dont nous ne connaissons pas l'origine et dans lesquelles les traditions chrétiennes et païennes se confondent.
Une semaine bariolée
Dans le passé chaque jour de la Semaine sainte précédant le Dimanche de Pâques était associé à une couleur différente. Dans le calendrier pascal figurent donc le Lundi bleu, le Mardi gris ou jaune, le Mercredi noir ou laid, le Jeudi vert, le Vendredi saint et le Samedi blanc. Les historiens et les ethnographes ne sont pas unanimes pour expliquer la signification symbolique de ces couleurs. Selon les uns, le bleu et le gris symbolisaient le martyre du Christ, d'autres estiment cependant qu’il s’agissait des couleurs des étoffes exposées pendant les jours de fête à l'église. Le Mercredi noir ou laid est le jour des besognes de ménage et du ramonage des cheminées. Le vert qui est la couleur de jeudi symbolise le printemps et les plantes vertes qu'il fallait manger ce jour-là pour se maintenir en bonne santé.
Le silence des cloches
C'est dans la soirée de jeudi que commencent les offices liturgiques marqués par le deuil. Dès ce moment-là, il faut se taire, se recueillir et s'adonner à la prière. L'ethnographe Martin Šimša constate qu'on ne pouvait même pas faire sonner les cloches. On disait que les cloches étaient parties à Rome :
« Nous considérons les cloches comme une partie normale des sonorités de la ville ou de la campagne. Mais le son des cloches annonçait surtout la joie. Les cloches marquaient non seulement l'écoulement du temps et les heures mais aussi tous les événements importants. Et par contre, lorsque les cloches étaient réduites au silence, cela accentuait encore le sentiment de tristesse. Jeudi soir, au moment où commencent les offices de Pâques, les cloches se taisent pour souligner la tristesse du moment. »
Le Vendredi saint, un le jour de deuil et de prière
De même, le Vendredi saint, jour où les chrétiens commémorent le martyre de Jésus-Christ sur la croix, est une journée de silence et de deuil. On observe le jeûne, on se rend à l'église et on prie. Le silence général n'est perturbé de temps en temps que par le bruit de crécelles. Ces instruments de musique rudimentaires appellent les gens à la messe et évoquent par leur sonorité désagréable les phénomènes horrifiants qui se sont produits au moment de la mort de Jésus. L'ethnographe Martin Šimša évoque les coutumes liées à la journée la plus triste de toute l'année liturgique :
« Dans les milieux populaires à la campagne, le Vendredi saint était accompagné de coutumes radicales. Dès le matin on devait s'asperger d'eau courante parce que l'homme devait se renouveler et il fallait se laver donc dans un ruisseau. Et puis on devait se recueillir dans le silence et respecter également certaines interdictions. On s'interdisait de faire des travaux agricoles parce qu'on disait qu'il ne fallait pas retourner la terre pour ne pas trouver le corps du Christ enseveli. »
Le Samedi blanc et la Vigile pascale
Le Vendredi saint est aussi un jour mystérieux qui donne lieu à de nombreuses légendes. On raconte entre autres que c'est le jour où les rochers et les montagnes s'ouvrent et où l'on peut trouver des trésors cachés. Mais déjà on se prépare au Samedi blanc qui apportera un changement complet de climat général. C'est la fin du jeûne, on achève les derniers travaux de ménage et les cuisinières préparent des plats typiques. Les jeunes filles peignent et ornent des œufs et les jeunes gens confectionnent des « pomlázky », ces longues baguettes tressées de brins d'osier frais décorées de rubans. Et Martin Šimša ajoute que toutes ces occupations ne faisaient pas oublier aux gens les rites religieux :
« Le Samedi saint, les gens allaient à l'église avec un bouquet pour vénérer la Croix et les fleurs étaient utilisées ensuite pour orner l'église. Il y avait donc des éléments qui donnaient à cette journée l'atmosphère et le rythme d'une fête. »
Dans la soirée du samedi commence la Vigile pascale considérée comme la cérémonie la plus importante de l'année liturgique. C'est une veillée qui dure jusqu'au lever du soleil de dimanche. Devant l'église, le prêtre bénit le feu et les gens sont invités à venir avec des bougies pour recueillir le feu sacré et l'emporter dans leurs maisons.
Les joies du Dimanche de Pâques
La joie et le bonheur éclatent le Dimanche de Pâques. Les restrictions des jours de la semaine sont levées et on se sent libre et prêt à célébrer la Résurrection du Christ et l'espoir de la Rédemption. Martin Šimša souligne que dans les siècles passés les cérémonies de ce jour-là étaient des manifestations sociales d'une grande importance pour toute la communauté :
« Le Dimanche des Pâques on célébrait la grande messe solennelle suivie d'une procession eucharistique. On s'arrêtait devant quatre autels. Le prêtre portant l'eucharistie sous un baldaquin était précédé par une personne qui portait le cierge pascal. La cérémonie était accompagnée de la musique de cuivres, et il y avait aussi de petites demoiselles d'honneur. C'était donc une occasion pour tous les membres de la communauté pour se présenter. Et puis, de retour à la maison, on se mettait à table et on mangeait des plats de la saison, du chevreau, de l'agneau, etc. Et les enfants recevaient de petits agneaux de pâtisserie. C'était un cadeau spécial de Pâques que les parrains offraient à leurs filleuls. »
Pomlázka, la fête du fouet
Le Lundi de Pâques est le jour réservé à la « pomlázka », c'est à dire le fouet symbolique effectué par une baguette tressée de brins d'osier. Les formes de cette coutume varient selon les régions, mais partout elle est censée donner la santé, la fraîcheur et la beauté à la personne qui est fouettée. Ce sont en général les femmes, mais il y a des régions où les femmes prennent leur revanche et fouettent les hommes le mardi suivant. Considéré comme barbare par les uns et défendu ardemment par les autres, le fouet de Pâques n'est pas prêt à disparaître même au XXIe siècle. Martin Šimša raconte comment cette coutume insolite se présentait dans le passé :
« Y prenaient part soit les tout petits garçons qui ne fouettaient en général que les femmes de leur famille et puis aussi les jeunes gens qui visitaient les jeunes filles de leur âge, donc les filles à marier. Nos ancêtres étaient très réservés en ce qui concernait les manifestations de leurs sentiments. Souvent, pour exprimer son affection, un jeune prétendant se permettait de fouetter sa potentielle fiancée plus que les autres jeunes filles. Mais la jeune fille ne s'y trompait pas et si le soupirant lui était sympathique, elle lui donnait un œuf peint, un don muet et pourtant éloquent, pour exprimer le fait que les avances du jeune homme étaient acceptées. Le Lundi de Pâques était donc une des premières occasions pour les jeunes de manifester leurs sentiments. »
La « pomlázka », cette coutume très ancienne mentionnée déjà dans des documents datant du XIVe siècle, n'est donc pas prête à disparaître même aujourd'hui. A la campagne et même dans des villes moraves, il y a encore beaucoup de petits garçons, d'adolescents et mêmes d'hommes adultes qui observent cette coutume et qui, le Lundi de Pâques, rendent visite aux femmes de leur connaissance.
Les jeunes filles et leurs mères accueillent aimablement ces visiteurs armés de baguettes de brins d'osier ou de branches de genièvre, et se laissent fouetter symboliquement et même asperger d'eau pour être en bonne santé et belles pendant toute l'année. Pour récompenser leurs visiteurs, elles leur offrent des friandises, de l'eau-de-vie et des œufs peints, ces symboles du printemps et de la vie nouvelle. L'ethnographe Martin Šimša estime qu’il s’agit là un phénomène curieux et spécifique :
« Ce sont des coutumes préchrétiennes que nous avons en commun avec toute l'Europe de l'Est. Ce qui est spécifique chez nous, c'est que ce genre de coutumes s'est conservé ici pendant longtemps. Si longtemps qu'elles ont eu le temps de prendre l'aspect d'événement social, de sortir du milieu agricole et de devenir l’affaire de l'ensemble de la société. Cela n'est arrivé dans aucun autre pays de l'Europe slave. »