Patrik Banga, un écrivain rom qui ouvre les portes
« Je suis sincère et pas politiquement correct, » dit Patrik Banga, auteur du roman autobiographique intitulée Skutečná cesta ven - La vraie voie pour s’en sortir. Ce livre qui retrace la vie mouvementée d’un enfant et adolescent rom dans l’effervescence des années1990, a valu à son auteur le prix Magnesia litera du premier roman.
Les désarrois du petit Patrik
C’est le quartier de Žižkov à Prague qui est le théâtre de la vie de l’enfant terrible qu’est alors le petit Patrik Banga. Né en 1982 dans une famille rom, il se retrouve, dès son enfance, dans une situation sociale compliquée et dans une société qui rechigne à l’accepter. Assumer dans cette situation son identité rom est une tâche difficile et pénible. Les vicissitudes de son enfance et de son adolescence que Patrik Banga raconte dans son livre, ressemblent donc à un roman picaresque.
Déjà, sa famille n’a rien de conventionnel. Sa mère est une femme au grand cœur mais souvent dépassée par les événements et son père est un ouvrier mais aussi un musicien de talent qui cherche souvent à noyer les revers de sa vie dans l’alcool. Patrik Banga considère cependant cette famille comme une base solide qui lui a permis de surmonter les coups du sort et les épreuves de sa vie :
« On pourrait avoir l’impression que nous étions une famille désagrégée, mais je ne le pense pas. J’ai grandi dans une famille de musiciens où chacun savait jouer d’un ou de plusieurs instruments. Je ne me rappelle d’aucun membre de ma grande famille qui ne serait pas musicien. »
Les malheurs d’un enfant doué
Les enfants de la famille jouissent donc d’une grande liberté et évoluent rapidement dans un milieu qui leur est souvent hostile. L’école de la rue fait office de premier lieu d’apprentissage. Le petit Patrik est plein d’idées et se lance dans plusieurs activités. Enfant, il gagne déjà de l’argent en vendant des légumes sur le marché, il joue bien du piano et se découvre un don pour l’informatique au moment où c’est encore une discipline inconnue pour la majorité de la population tchèque. Il est un des rares enfants à posséder déjà dans les années 1990 son propre ordinateur. Garçon doué qui s’ennuie à l’école, il est indiscipliné, tape sur les nerfs de ses instituteurs et devient souvent la cible de leur racisme inavoué :
« J’étais vraiment un élève terrible. J’étais désobéissant, je me bagarrais souvent. Si mon enfant se comportait de la même façon, je l’étranglerais peut-être. En cela, notre famille était divisée. Mon frère Radek et ma sœur Sylvie étaient depuis le début des élèves excellents et sages. Ma sœur est aujourd’hui diplômée de deux écoles supérieures. Par contre Gyula, mon frère aîné, et moi, nous préférions la guitare, et plus tard les prestations publiques et les femmes. Nous menions la vie de la rue. Je crois que c’était dû au fait qu’à la différence de Radek et de Sylvie, nous penchions plus vers les Roms et que nous partagions davantage leur vie. »
Quand les skinheads passent à l’attaque
Le petit garçon rom n’échappe donc pas à la réticence, et même à l’hostilité des « gadjos » c’est-à-dire de la société majoritaire. Le livre déborde d’exemples réunis par Patrik Banga pour illustrer les préjugés raciaux profondément enracinés dans la société et qui dénaturent et enveniment la vie du petit gitan. Le pire advient cependant lorsque les militants racistes commencent à se mobiliser et à former des groupes des skinheads. Les crânes rasés se mettent à semer la panique dans les rues et cela aboutit souvent à des bagarres violentes entre eux et les jeunes Roms qui refusent de se laisser terroriser. Et Patrik Banga démontre dans son livre que les skinheads et leurs activités jouissaient d’appuis dans diverses couches de la société tchèque, et même chez certains membres de la police.
Cette atmosphère d’intolérance, d’insécurité, de méfiance et de mépris est selon Patrik Banga une des raisons pour lesquelles beaucoup de Roms se croyaient sans perspectives, sombraient dans la passivité, dans l’alcool et la drogue. Et ce qui leur manquait, n’était pas seulement la motivation pour s’en sortir. Patrik Banga constate :
« La motivation, c’est super, quand vous voulez faire quelque chose, c’est très bien, mais quand vous n’avez pas la moindre chance, ça ne suffit pas. J’ai eu la chance de vouloir sortir de ma situation, de sortir de la case dans laquelle j’ai été automatiquement relégué par la société. Ce n’était pas mon choix. C’était un stéréotype selon lequel devait se dérouler le scénario de ma vie. Je devais devenir maçon, mécanicien ou faire un autre métier de ce genre et c’était justement ce que je ne voulais pas. »
Dans un camp de réfugiés au Monténégro
Adolescent, Patrik Banga cherche donc une issue à cette vie qui le prédestine à la passivité, à l’alcoolisme, à la drogue ou à la prostitution comme beaucoup de garçons roms de son âge, ou bien à la révolte et à la criminalité. Il cherche sa place dans le monde et commence à collaborer avec des organismes qui viennent en aide des toxicomanes. Devenu travailleur de rue, il est choqué par les ravages de la drogue parmi les jeunes dont quelques-uns sont des amis d’enfance. Cette activité difficile et déprimante ne le satisfait pas et ce n’est finalement que sa décision de participer à un projet caritatif à l’étranger qui apporte un tournant dans sa vie :
« J’avais surtout envie de voyager et j’ai eu l’idée de parcourir les Balkans. Et tout à coup je me suis retrouvé dans un camp de 25 000 réfugiés et c’était quelque chose d’inimaginable. Imaginez que vous êtes Rom pragois et que vous êtes convaincu que tout ce qui vous arrive est exécrable et que les choses ne peuvent pas être pires. Et soudain vous arrivez dans un endroit où tout est mille fois pire que tout ce que vous avez vécu. C’est à ce moment que j’ai commencé à écrire des textes qui ont été publiés dans divers médias et que je me suis mis à collaborer entre autres avec la Télévision tchèque et le journal Mladá fronta Dnes. Et d’un jour à l’autre, je suis devenu journaliste. »
Ouvrir les portes
Et c’est là où s’arrête le roman autobiographique de Patrik Banga devenu par la suite un journaliste renommé, un blogueur très suivi, un musicien jouant de plusieurs instruments et désormais aussi un écrivain. Marié et père de deux enfants, il montre par sa vie et ses activités que la coexistence entre les Roms et les « gadjos » est tout à fait possible et même tout à fait nécessaire. Il constate que cette coexistence s’est améliorée depuis sa jeunesse mais que la véritable tolérance est encore loin, ce qui, selon lui, n’est pas que la faute de la société majoritaire mais aussi celle des Roms eux-mêmes. Son livre peut ouvrir les yeux à ceux qui ne savent pas grand-chose de la vie et de problèmes de la communauté rom mais il peut être profitable aussi pour tous ceux qui se croient sans perspectives. Le lauréat du prix Magnesia litera Patrik Banga leur démontre qu’ils peuvent s’imposer même sur la scène littéraire :
« J’espère que cela pourra encourager les gens qui pensent qu’on ne publiera pas leurs livres et qu’on ne les achètera pas parce qu’ils sont Roms. Et tout à coup ils se disent: ‘Voyons, Banga a reçu un prix.’ Et ils se mettront également à écrire. C’est peut-être trop optimiste, mais je suis quand même convaincu que nous avons ouvert cette porte... »