Pavel Hak : « Kundera est un écrivain tchèque, moi un écrivain tchèque d’expression française »

Pavel Hak et l'éditeur Milan Hodek à l'Institut français de Prague, photo: Oskar Helcel

Écrivain tchèque d’expression française, Pavel Hak se consacre à tout sauf à la « littérature de réconfort ». Dans ses romans, il explore en effet des thèmes tels que la destruction de la planète, l’exploitation des êtres humains et les mouvements de population. Ses récits se déroulent souvent dans des environnements extrêmement hostiles où les personnages luttent pour survivre. À l’occasion de la sortie de la version tchèque de son roman Warax, Pavel Hak a parlé à Radio Prague International du fait d’écrire dans une langue autre que sa langue maternelle, de l’émigration en tant que décision radicale et de son exploration du chaos pour en faire naître un récit.

Pavel Hak et l'éditeur Milan Hodek à l'Institut français de Prague,  photo: Oskar Helcel
« Pour moi, écrire, c’est quasi existentiel. Quand on est jeune, on veut devenir poète… maudit, on le devient de toute façon très vite ! Parce qu’avec les conditions d’artiste, quelque part on est toujours maudit… »

Mais avant d’en arriver à l’écriture, Pavel Hak, qui est né en 1962 en Tchécoslovaquie et dont le père n’était pas communiste, a dû passer par un bac technique et par les ateliers de l’usine Tesla. Une expérience formatrice, mais Pavel Hak avait un appétit intellectuel que ses lectures personnelles ne suffisaient pas à combler. Et lorsqu’il a pu entamer des études supérieures, cette expérience n’a été que de courte durée, car Pavel Hak n’a pu passer qu’un semestre sur les bancs de la faculté de journalisme de l’université Charles de Prague. Il a ensuite décidé, en 1985, de quitter son pays en passant par la Yougoslavie. Une expérience de l’émigration qu’il qualifie de « belle, forte et dangereuse » :

« C’était mon choix, découvrir le monde… On devient émigré sans savoir à quoi on s’engage. On devient émigré, et si ça ne vous tue pas, c’est une position intéressante, je trouve. Je suis en quelque sorte toujours émigré. Cette position, cette dimension me semble intéressante. A l’époque, c’était une décision radicale qui impliquait des conséquences, comme le non-retour. Car comme tout le monde, j’étais condamné à la prison par le régime tchécoslovaque. La chute du mur, personne ne la prévoyait. »

Ce qui ne tue pas rend plus intéressant

Édition tchèque de Warax,  photo Éditions Paper Jam
« À l’époque, c’était donc un choix personnel avec des conséquences inévitables. Mais j’étais aussi très jeune, et dans cette jeunesse, on vit différemment. C’est beau, fort et dangereux, bien sûr. On ne prévoit pas, on ne peut pas prévoir ce que ça implique. Quand on se découvre émigré, vraiment, ça peut être très dur. Ne serait-ce qu’apprendre la langue. Vous êtes toujours étranger, en fait. L’accent, en français, j’en ai toujours un. Il faut trouver une sorte d’équilibre, parce que ça peut être destructeur ou vous amener à vivre de façon marginale, totalement exclu de la société. Ce sont des positions difficiles, car on peut aussi accumuler de la haine, du ressentiment, de l’amertume, de la rage… »

Le thème de l’émigration est quelque chose que l’on retrouve dans plusieurs des œuvres de Pavel Hak. Ainsi, dans Warax, roman post apocalyptique fait de quatre trames qui se succèdent dans un rythme de plus en plus frénétique, on suit, entre autres, un groupe d’immigrés clandestins qui cherche à passer un mur-frontière. Le désert qu’ils traversent pourrait faire penser à l’Amérique du Nord, mais Pavel Hak insiste sur le fait qu’il s’agit bien d’une fiction, née d’une envie de faire un travail littéraire d’exploration du monde contemporain. Le choix des quatre histoires aux personnages multiples est « volontaire et représentatif de la complexité de ce monde d’aujourd’hui » :

« Warax est aussi né dans un contexte où je voulais faire quelque chose de différent, et non pas enchaîner un roman tous les deux ans comme ça se faisait à l’époque, mais plutôt regarder le monde, m’y confronter, faire un travail d’exploration. Donc ça part dans tous les sens, c’est la confusion, le chaos, et c’est intéressant. Au moment où vous n’avez pas de repères, où vous êtes perdu, c’est là que ça devient intéressant. C’est à ce moment qu’il faut commencer à travailler et faire quelque chose. Explorer dans tous les sens et chercher une forme pour en faire un roman. Choisir les histoires et trouver les équilibres entre ces différentes trames romanesques. On verra si je donne suite à ce genre de travail sur le monde globalisé, qui est justement la conséquence du de la chute du mur de Berlin. C’est ce qu’il m’intéressait d’explorer au moment où j’ai conçu Warax. Et bien sûr, les émigrés, les flux migratoires sont des phénomènes inévitables, incontournables. »

Couverture de l'édition française de Warax,  photo Éditions du Seuil
Dans Warax, donc, Pavel Hak joue avec la forme pour rendre compte de l’état de destruction du monde. Au fur et à mesure du récit, le rythme est de plus en plus haletant, la syntaxe de plus en plus hachée, la lecture entrecoupée par des mots isolés par des typographies inhabituelles et inattendues. Passant ainsi sans transition des réflexions du patron d’une industrie d’armement aux tentatives carriéristes d’un jeune homme du milieu des médias, de l’avancée désespérée d’un humain qui ne sait plus qui il est à celle d’une « meute » d’immigrés qui s’organise pour survivre, le lecteur se retrouve pris dans un tourbillon d’histoires violentes, dont certains passages sont même carrément repoussants. Un récit à la troisième personne, froid et souvent angoissant, dans lequel on ne trouve un semblant d’humanité qu’avec la prise de position du neveu de l’industriel Ed Ted Warax, à la toute fin du roman.

À l’Institut français de Prague – où la sortie de la version tchèque de Warax, aux éditions Paper Jam, a récemment été célébrée – Pavel Hak a choisi de lire le début du roman. Nous vous proposons d’écouter le premier passage qui décrit l’avancée d’un groupe d’immigrés.

Mais revenons au parcours de Pavel Hak, qui après un an en Italie, vient s’installer à Paris en 1986, pour y faire des études de philosophie à la Sorbonne. Une fois celles-ci terminées, il revient vers son vieux rêve : l’écriture. Pavel Hak explique que le fait qu’il écrive en français est le résultat du contexte personnel et politique dans lequel il est arrivé :

« À l’époque, c’était une situation historique car lorsque je suis arrivé à Paris, en 1986, personne ne pouvait envisager la chute du mur ni l’effondrement de l’Union soviétique. Les études de philosophie m’ont permis cette transition, car je me suis consacré exclusivement à la philosophie, à l’université, aux examens écrits et oraux… J’ai abandonné totalement la littérature pendant cette période. J’ai arrêté de lire en tchèque, ce qui est très important pour moi dans ce parcours, car quand on arrête de lire dans une langue, c’est considérable. J’ai arrêté aussi car il n’y avait pas de livres en tchèque autour de moi, et je n’étais pas en contact avec le tchèque. Il y a donc eu cette décision, les études, mais après mes études, le mur n’était toujours pas tombé, donc il n’y avait pas de perspective de retour. Donc la coupure s’est faite comme ça. »

« Je suis toujours en difficulté avec le tchèque »

Photo: Verdier chaoid
« Ma situation par rapport à Milan Kundera est très différente, car Kundera est un écrivain tchèque : il a écrit ses premiers romans en tchèque, avant d’émigrer en 1975. Puis, à partir d’un certain moment, il a écrit en français. Mon parcours à moi est très différent, car je n’ai jamais publié de roman en tchèque. Il y a aussi une différence de génération. »

À la différence de Milan Kundera, donc, Pavel Hak ne souhaite pas faire lui-même la traduction en tchèque de ses propres romans Après avoir travaillé avec la traductrice Jovanka Šotolová pour la traduction tchèque de Vomito negro (Torst, 2013), il a cette fois-ci, pour la publication de Warax, révisé et corrigé la traduction de Zdeněk Huml. Pavel Hak explique qu’il n’envisage pas ce travail personnel de traduction, non seulement parce qu’il évolue depuis trente-cinq ans dans un monde francophone, mais aussi parce qu’il n’a pas suffisamment appris le tchèque littéraire :

« Je suis d’une certaine manière toujours en difficulté avec la langue [tchèque]. Je n’ai jamais vraiment connu le tchèque, à cause de mon parcours, l’usine n’est pas l’endroit idéal pour apprendre : il faut faire un bon lycée, ou être issu d’une famille très cultivée, car la langue c’est quelque chose de difficile à apprendre, à manier… Aujourd’hui encore je n’envisage pas de faire la traduction de mes romans. »

Pavel Hak | Photo: Archives personnelles de Pavel Hak
Et que peuvent espérer les lecteurs tchèques pour la suite ? Pavel Hak confie qu’il espère que la sortie de Warax en tchèque n’est pas la dernière de ses œuvres à être publiée dans son pays d’origine. D’autant que ces publications lui ont permis de faire de belles rencontres dans le milieu littéraire tchèque :

« La situation a évolué, il s’agit d’un beau moment dans ma vie, un peu comme ma jeunesse, dans la mesure où la littérature a amené des rencontres humaines. Cela crée quelque chose qui va au-delà de la littérature, et à la fois on est tous là pour faire de la littérature. On veut tous faire quelque chose d’absurde, parce que bien sûr, la littérature n’a aucune place dans le monde, vous ne gagnez pas votre vie avec la littérature… Mais c’est très fort et très beau, il y a du savoir, des visions, des univers qui circulent. C’est ça, la richesse de la littérature, qui à part cela est hors-jeu socialement, personne ne s’y intéresse, sauf à la littérature commerciale ou de réconfort. Alors que la littérature, ça peut être extrêmement puissant. Il y a des gens qui vivent pour la littérature, comme autrefois, qui s’y intéressent, et j’ai rencontré ce type de personnes ici à Prague. C’est comme ça qu’on a décidé de publier Warax. On va voir comment les choses vont se passer ensuite. »