Petr Lom : « En tant que jury, on cherche les films qu’on aurait rêvé de faire soi-même »
Le 14e festival du film sur les droits de l’homme, One World bat son plein. Parmi les invités, Petr Lom, réalisateur tchéco-canadien, dont le film Back to the Square a inauguré le festival mardi dernier. Petr Lom fait également partie cette année du jury principal. Ce n’est pas la première fois que Petr Lom présente ses films au festival. Venu du monde universitaire, Petr Lom a changé de voie il y a quelques années afin de se consacrer au documentaire. Rencontre.
« Beaucoup de choses en fait. Je suis arrivé en Egypte le 1er février 2011, dix jours avant la chute de Moubarak. Je suis venu en Egypte pour suivre Mohamed el-Baradeï. Quand je suis arrivé, j’ai changé le thème du film pour me concentrer sur les gens. Ce qui m’a surpris, c’est le courage des jeunes Egyptiens qui se battaient encore après la révolution. »
Un passage du film montre une jeune fille qui a été accusée à tort de prostitution, qui vit dans un petit village. Visiblement votre présence a causé des problèmes. Cela arrive-t-il souvent pendant des tournages que vous soyez ainsi confronté à l’hostilité des gens ?
« Oui, on a beaucoup de problèmes quand on veut tourner en Egypte. Malheureusement, le pays souffre toujours d’une xénophobie qui est créée par le gouvernement pour justifier la répression et pour créer un ennemi : en gros les étrangers sont ceux qui causent des problèmes. Donc, c’est difficile de tourner là-bas. Dans le village, où je tournais avec Salwa, la jeune fille, le problème était que nous sommes arrivés moi et mon assistant, donc deux hommes, pour faire un entretien dans une famille où il n’y avait que des femmes. Ce n’était pas bien vu par les gens du village qui pensaient en outre que j’étais un espion. C’était au mois de juin où un espion israélien avait été arrêté. Après cela, beaucoup de gens pensaient que les journalistes étaient forcément des espions. »Vous évoquez le fait qu’être un homme peut poser des problèmes dans certaines situations. Il y a quelques années vous avez réalisé un film au Kirghizstan sur les enlèvements d’épouses. Est-ce que le fait d’être un homme n’a pas été un problème dans ce cas précis ?
« Au Kirghizstan, c’était complètement différent car la culture est beaucoup plus ouverte aux étrangers. En Asie centrale, on a un sens de l’hospitalité et de l’accueil des étrangers. J’étais toujours logé chez les gens que j’ai filmés. J’ai été accepté par toutes les familles. C’était beaucoup plus facile qu’en Egypte. »A propos de ce sujet de l’enlèvement des épouses par leur futur mari, comment avez-vous découvert cette réalité ?
« A cette époque, j’était professeur de philosophie à l’université de Budapest fondée par George Soros. J’ai eu beaucoup d’occasions de voyager dans toute l’Asie centrale. J’ai passé quelques mois au Kirghizstan en faisant des recherches sur un autre sujet, l’extrémisme musulman, qui n’existait auparavant pas du tout au Kirghizstan. A chaque fois que j’attendais de faire des entretiens avec quelques ‘extrémistes’ qui n’étaient pas du tout extrémistes, je passais du temps à bavarder avec les gens dans la cuisine, on parlait de choses et d’autres. Je demandais par exemple ‘Comment avez-vous rencontré votre mari ?’ et je recevais une réponse fréquente : ‘J’ai été enlevée par mon mari’. C’est comme cela que j’ai trouvé ce sujet. J’étais étonné de voir que c’était un thème pas du tout traité par les médias ni même par les organisations de défense des droits de l’homme et des femmes. »
C’est une pratique encore courante ?
« Oui, très courante toujours. Il y a huit ans, quand j’ai fait le film, 40% des femmes vivant hors de la capitale, étaient ainsi enlevées. »Comment vivent-elles cet enlèvement ?
« C’est compliqué. Ces enlèvements sont une coutume : dès qu’un homme décide de se marier, il enlève la fille, car pour se marier au Kirghizstan il faut payer la famille de l’épouse. Mais si tu l’enlèves, ça coûte moins cher ! Donc ce sont beaucoup des raisons économiques. »
Vous disiez que vous aviez enseigné à Budapest. Mais vous avez aussi enseigné sur outre-Atlantique. Vous venez du monde universitaire. Comment en êtes-vous arrivé au documentaire ?
« C’était pour des raisons personnelles : je ne me sentais pas complètement réalisé à l’université. Je passais trop de temps en bibliothèque et je voulais faire quelque chose de plus engagé dans le monde réel, quelque chose de plus créatif. Je me sens beaucoup plus moi-même maintenant. »
Comment prépare-t-on des films tels que ceux que vous tournez ? Vous êtes allé au Kirghizstan, en Iran, en Egypte. Pour les deux derniers notamment, il s’agit de pays dont on pourrait dire qu’il n’est pas facile d’exercer son métier. La preuve, c’est que vous y avez rencontré des problèmes…
« En fait on ne prépare rien, en général, on part juste et on voit sur place. Pour faire un film, il faut surtout avoir du temps car pour suivre des personnages et avoir leur confiance, ça prend du temps. »Vous n’êtes pas seulement réalisateur, mais aussi producteur et monteur de vos films. Vous vouliez avoir le contrôle sur vos films ?
« Je suis aussi le caméraman. Je suis un peu ‘control-freak’ en effet ! Mais c’est surtout dû à mon envie d’être indépendant. Quand une révolution commence, on ne peut pas attendre ad vitam aeternam les financements etc. Il faut partir. A l’heure actuelle, je pense que dans ce métier, il est mieux de maîtriser toutes fonctions. Cela rend les choses plus faciles. »
Qu’est-ce que selon vous un bon film sur les droits de l’homme et un bon film indépendant ?
« Quand on se rend à des festivals sur les droits de l’homme, on se retrouve confronté parfois à des films un peu trop dogmatiques, un peu trop pédagogiques, qui oublient que la forme est la chose la plus importante pour créer un film qui a comme ambition d’être une œuvre d’art. Il ne s’agit pas seulement de faire un reportage mais de créer un film, des histoires et suivre des personnages, des situations intéressantes, et qu’on espère poétiques. Quant au film indépendant, c’est un film qui n’insulte pas le public sûr de son intelligence (rires). »Vous êtes d’origine tchèque mais vous avez grandi au Canada. Est-ce que vous pensez que votre double culture peut vous aider dans votre travail ?
« Cela aide je crois. J’ai eu la chance d’avoir plus qu’une seule perspective, un seul point de vue. Peut-être que ce qui aide aussi, c’est le fait que je sois né en 1968 juste avant l’invasion russe en Tchécoslovaquie. Ma famille a été touchée par l’injustice, comme toute cette génération de 1968. Peut-être est-ce pour cela que je m’intéresse à des sujets similaires. »
Dans le cadre du festival, vous êtes membre du jury. Quels sont vos critères de jugement des films ?« C’est toujours subjectif évidemment. Mais aussi une question de goût. On cherche en général des films qui vous inspirent. Peut-être surtout, on cherche les films qu’on aurait rêvé de faire soi-même. »
Et on les trouve ?
« Parfois oui bien sûr ! En fait c’est pour cela que c’est un plaisir d’être dans un jury, parce qu’on peut y trouver des films qui nourrissent l’âme. Pour continuer ce métier, cela sert d’inspiration. J’espère toujours de trouver des films qui restent en moi. »
Allez-vous repartir sur les routes ? Avez-vous un projet de film ?
« Avec ma compagne qui a passé toute l’année avec moi en Egypte, on est en train de monter un deuxième film sur l’Egypte qui sera sur cinq jeunes femmes artistes où on essaye de montrer comment leur identité a changé, deux ans après la révolution. »