Philippe Val : « Le procès des caricatures a fait jurisprudence »
Lundi, la salle du Lucerna à Prague projetait le film « C’est dur d’être aimé par des cons ! » du réalisateur français Daniel Leconte. Présenté dans le cadre du festival One World, le film retrace le procès intenté en 2007 au journal satirique Charlie Hebdo qui avait publié les douze caricatures de Mahomet parues dans un quotidien danois quelques temps auparavant. Un documentaire rondement mené et qui ne pâtit pas de sa longueur (deux heures), qui pose la question de la liberté d’expression et du droit à critiquer les religions. Philippe Val, le directeur de Charlie Hebdo était présent également, Radio Prague lui a demandé comment il avait ressenti les réactions du public.
« Ce que j’ai trouvé agréable, c’est une souplesse d’esprit du public. Il a tout de suite compris que même dans la préparation et le déroulement du procès, qui était grave, on n’a pas cessé de rire et de plaisanter là-dessus. Quitte à essayer d’être contagieux pour la partie adverse ! J’ai l’impression que le public – peut-être est-ce culturel ici, à Prague – a tout de suite compris qu’il y avait cette distance. »
Pourquoi pensez-vous que c’est Charlie Hebdo qui a été assigné en justice alors que d’autres journaux avaient publié les caricatures ?
« Parce qu’on est symboliques, c’est nous qui avons déclenché en quelque sorte le scandale. Et on n’est pas dans un grand groupe de presse. On est symboliques d’une certaine liberté de la presse. On est un paratonnerre... »
Il y a quand même aussi le Canard enchaîné dans le même genre...
« Oui, mais le Canard enchaîné, qui est un journal que j’aime, s’intéresse plutôt aux affaires purement politiques. Il ne débat pas tellement des grands principes. Il ne débat pas de philosophie politique. C’est un journal satirique, et nous au final on est peut-être plus politiques que le Canard. »
S’est-il positionné par rapport au procès ?
« Oui, ils ont fait de très bons compte-rendus. De très bonne qualité, vraiment. C’est un formidable journaliste au Canard enchaîné qui a rendu compte du procès. »
On est en mars 2009, ça fait quasiment deux ans jour pour jour depuis la relaxe pour Charlie Hebdo. Au bout de ces deux années, et de ce marathon qu’a été le procès, comment évaluez-vous cet événement avec le recul ?
« On a établi une jurisprudence importante, pas seulement en France. Je pense aux juristes ailleurs en démocratie, les gens qui s’intéressent à la liberté d’expression que ce soit aux Etats-Unis, au Japon etc. L’autre chose, c’est que ça a déclenché des choses positives et des choses négatives. Mais ce n’est pas de notre faute, on nous a fait ce procès, pas l’inverse. La partie de l’extrême-gauche qui se sent, de façon plus ou moins avouée, proche des islamistes, par haine de l’Amérique et antisionisme, a accumulé de la rancune. Ils n’ont rien dit pendant ce procès, mais ils n’en pensaient pas moins. Le peu qu’ils ont dit était très hostile. Je pense que cette rancune accumulée s’exprime ces temps-ci très fort sur des tas d’autres sujets. Il y a une rage d’avoir perdu, il y a une haine qui a décider de s’exprimer, pas forcément une haine religieuse. Ca a révélé que quelque chose était là, en colère et que cette rancune coléreuse est beaucoup plus sensible qu’on ne le pense. »