Pierre Heilbronn : « Montrer à la Russie que nous n’attendrons pas une hypothétique paix pour soutenir l’Ukraine »

Ukraine

Aide militaire et humanitaire, aide à la reconstruction, soutien des investissements en Ukraine étaient autant de thèmes au programme des différentes réunions de Pierre Heilbronn, envoyé spécial du président Emmanuel Macron pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine, à l’occasion de sa visite à Prague. Au micro de Radio Prague Int., il est d’abord revenu sur le changement de perception et de vision de la France sur la région de l’Europe centrale dans son ensemble :

Pierre Heilbronn | Photo: LinkedIn de Pierre Heilbronn

« Je crois que le président de la République l’a clairement exprimé lors de son discours à Bratislava à Globsec. La France a traditionnellement été tournée davantage vers le Sud, le Maghreb, l’Afrique, des zones qui sont une zone cruciale, mais connaissait moins, par sa géographie et son histoire, les pays du partenariat oriental. Donc cette guerre a fait prendre conscience à tous, et notamment en France, au terme d’un cheminement impressionnant au cours de cette année et demi, qu’une grande partie de notre sécurité et de l’avenir de notre continent dépendait de notre capacité à répondre à la hauteur de l’enjeu de cette agression russe. Une agression qui concerne l’Ukraine, mais qui potentiellement concerne l’ensemble des pays européens et des pays voisins. Une grande partie de l’équilibre du monde se joue en Ukraine. Pour la France, c’est maintenant une conscience très aiguë à la fois des autorités publiques mais aussi de l’opinion publique. »

Je vais vous poser la même question que celle que j’avais posée en février à votre homologue tchèque Tomáš Kopečný : dans quelle mesure est-ce important de participer dès aujourd’hui à la reconstruction de l’Ukraine ? Ce que l’on reconstruit peut être à nouveaux détruit dans quelques jours, semaines ou mois. Pourquoi est-ce important de le faire maintenant même si la guerre n’est pas finie ?

Ukraine | Photo: Martin Dorazín,  ČRo

« Si l’on parle de zone de front, il est très important de montrer à la Russie que nous n’attendrons pas une hypothétique paix pour soutenir l’Ukraine. C’est l’expérience des entreprises françaises qui sont en Ukraine, et le premier employeur dans le pays : être aux côtés des Ukrainiens et servir leurs clients est un des éléments qui permet au pays de rester debout. Il y a d’abord de la reconstruction qui se passe maintenant, de ponts, d’autoroutes, mais également dans le domaine commercial, de magasins, dans le domaine de l’agriculture. Et il y a à préparer la reconstruction plus générale une fois que la situation sécuritaire se sera stabilisée et où des entreprises privées, nouvelles, viendront sur place. C’est le travail que je fais moi-même et que mon homologue tchèque fait ici : mobiliser les entreprises, développer les instruments qui leur permettront de se sentir à l’aise en termes d’export et d’investissements en Ukraine. Les premiers résultats commencent à se faire sentir même si ça prendra du temps. Au fur et à mesure que la situation sécuritaire s’améliorera, davantage de nouveaux investisseurs regarderont l’Ukraine. »

La Tchéquie est certes un petit pays mais avec une longue tradition d’industrie de l’armement et jusqu’à ce jour. Elle est aussi un important donateur à l’Ukraine dans ce domaine. Il est envisagé aussi, plutôt que de donner uniquement, de produire de l’armement, sur place dans le pays. Dans quelle mesure pourrait-on envisager des productions conjointes entre la Tchéquie et la France, alors même que les stocks s’épuisent ?

Le canon automoteur CAESAR | Photo: Nexter

« C’est un domaine dont on parle. Comme vous le savez, c’est déjà une ambition que nous partageons avec des engagements autour des canons CAESAR et une co-production avec des entrepreneurs tchèques. On passe vraiment d’une logique de cession d’équipements à une logique d’industrialisation. D’ailleurs en Ukraine, puisque ça a été clairement indiqué par notre ministre de la Défense la semaine dernière à Kyiv, avec des projets déjà avancés dans le domaine des drones, des chars, mais aussi de formations. Une grande partie des 7 000 soldats que nous avons formés en 2023 en France le sont aussi en Pologne.  On peut imaginer beaucoup de coopérations : sur les équipements, la formation, la maintenance, sur place en Ukraine, mais aussi dans les pays proches de sa frontière. »

Une des priorités du ministère tchèque des Affaires étrangères, c’est l’Afrique, notamment en réaction des campagnes de désinformation de la Russie sur le continent. Quels types d’échanges sont possibles dans ce domaine entre la France et la Tchéquie dans ce domaine ?

Les soldats tchèques au Mali | Photo: Luís Teixeira,  Armée tchèque

« La Tchéquie, historiquement, a un intérêt et une connaissance de l’Afrique qui n’est souvent pas bien connue en France, en tout cas pas autant qu’elle le devrait. Je crois qu’il y a une compréhension des enjeux sur les implications de la désinformation qui est massive en Afrique, organisée par la Russie. Il y a un contre-narratif que nous pouvons développer ensemble. D’un autre côté, il y a aussi l’aide concrète que nous pouvons apporter à ces pays pour désamorcer la perception alimentée par la Russie, selon laquelle nous ne serions pas sensibles à leurs intérêts, à leur sécurité alimentaire… C’est aussi un domaine de coopération forte entre la France et la Tchéquie. »

Quand l’Ukraine rejoindra l’Union européenne, elle représentera un nouveau grand pays dans le domaine nucléaire. On parle beaucoup de ‘dérussifier’ ce secteur. Quel rôle peuvent jouer à cet égard la France et la Tchéquie qui a une certaine expérience en la matière de par son histoire ?

La centrale nucléaire de Zaporijia,  Ukraine | Photo: Maxim Gavriljuk,  Wikimedia Commons,  GFDL

« Il y a une complémentarité à court terme car il y a des équipements dont la Tchéquie dispose car elle avait des réacteurs de type soviétique ce qui n’est pas le cas de la France. Nous avons donc cette contrainte en termes de fourniture d’équipements, même si nous avons fourni tout l’équipement que nous pouvons permettant aux centrales nucléaires ukrainiennes de pouvoir continuer à fonctionner et nous continuerons à le faire dans les prochains mois. Après, il y a des projets industriels de plus long terme : la construction des SMR par exemple. Il y a aussi tout ce que l’on peut faire tout au long du cycle du combustible et où il peut y avoir des coopérations : les acteurs français, EDF, Framatome ou d’autres entreprises de la filière nucléaire sont prêts à s’investir. »

Auteur: Anna Kubišta
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