Pierre Ronsanvallon : « La nation est redevenue un terme important »

Pierre Rosanvallon

Pourquoi et en quels termes parler, aujourd'hui, de la nation ? Nous avons posé la question à Pierre Rosanvallon, historien et penseur politique, qui a récemment présenté à Prague une conférence sur l'avenir de la nation.

« La nation est redevenue un terme important. Si l'on regarde tous les débats politiques et sociaux des années 1960 - 1970, presque personne ne parlait de la nation. On ne parlait de la nation qu'associée à l'histoire ancienne. Alors qu'aujourd'hui on voit que la nation redevient une question d'actualité. Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que dans un monde dans lequel la mondialisation prend une place de plus en plus grande, chacun a le sentiment qu'il doit être rassuré, protégé. Et donc, le retour de la question de la nation correspond à une demande de protection, à une demande d'identité, dans un monde qui semble à la fois déchiré et dans un monde qui est de plus en plus ouvert et qui est de moins en moins, disons, assuré ».

Comment peut-on définir, aujourd'hui, la nation ?

« Je dirais qu'une nation, c'est une communauté sociale, culturelle et politique. Mais au fond, il y a un peu deux définitions de la nation qui s'affrontent. On peut penser que la nation, c'est simplement le fait d'avoir une même origine, le fait de parler la même langue, le fait de partager une culture et une tradition. Mais en fait, la nation, c'est plus que cela. La nation, c'est faire aussi une communauté citoyenne. Donc, la nation est indissociable de la démocratie. Et la nation, c'est aussi faire corps ensemble, être solidaire. Et en ce sens, la nation est indissociable à mes yeux d'un Etat providence, d'une forme de redistribution, d'organisation de la solidarité sociale. Il serait très dangereux de se contenter de réduire la nation à une simple dimension ethnique ou culturelle. Cela n'est que l'ombre ou la caricature de la nation. Ce qui a fait la force de la nation du milieu du XIXe au milieu du XXe siècle, c'est bien plutôt d'être un espace d'expérience de la démocratie, un espace d'expérience de la solidarité. La nation, c'est une expérience partagée. La nation, c'est une expérience de communauté politique, une expérience de communauté sociale. Bien sûr, il y a une dimension culturelle. Mais il faut que cette dimension culturelle aille avec ces deux autres dimensions ».