Fondation Bouriatie libre : une aide à Prague pour les Bouriates opposés à la guerre en Ukraine
Même si les données restent évidemment très difficiles à obtenir en Russie, le nombre d’Asiatiques qui servent dans l’armée pourraient être six fois supérieur à celui des Slaves, selon la Fondation des Asiatiques de Russie. La région de Bouriatie, située en bordure du Lac Baïkal et de la Mongolie, a été particulièrement touchée par la mobilisation – et la mort sur le front – de ces derniers mois. C’est une des raisons pour lesquelles la Fondation pour la Bouriatie libre a été initiée, d’abord aux Etats-Unis puis aussi avec une antenne à Prague, cofondée par Daria Ivanyk. Il s’agit notamment d’assister administrativement les mobilisés qui ne souhaitent pas aller combattre en Ukraine.
« Nous ne pouvons rien faire jusqu'à ce qu'ils le veuillent eux-mêmes. Ils peuvent s'adresser à nous. Je m’occupe moi d’un réseau de volontaires qui peuvent aider, essayer de faire quelque chose à travers nos pages sur les réseaux sociaux, en trouvant une potentielle aide juridique et en faisant savoir que cette personne a besoin d'aide ».
Sur des images filmées par des chaînes occidentales, on peut voir un nombre conséquent de nouvelles tombes récemment creusées pour des soldats morts sur le sol ukrainien dans des cimetières de Bouriatie.
« Nous ne pouvions tout simplement pas ne rien faire. Lorsque la guerre a commencé, les premières vidéos "Bouriates contre la guerre" sont apparues, dans lesquelles des Bouriates ont déclaré leur attitude face à ces événements. Quand on est seul, il est très difficile de faire quoi que ce soit, mais maintenant nous sommes nombreux à travers le monde. Jusque-là, je ne m'intéressais pas à la politique, mais quand la guerre a éclaté, j'ai pensé qu'il fallait faire quelque chose, car c'est avec un consentement tacite que tout s'est passé. Notre bureau principal est situé aux Etats-Unis, et ici, à Prague, nous avons une succursale, mais nous travaillons ensemble ».
Installée à Prague depuis une quinzaine d’années, Daria Ivanyk est mariée à un Ukrainien. Selon elle, bien que ce fait ait joué un rôle important, son empathie de manière générale envers le peuple ukrainien a été primordiale, avec des conséquences sur sa vie personnelle. La décision de fonder avec la journaliste Aleksandra Garmazhapova une branche de la « Fondation Bouriatie libre » à Prague signifiait pour Darya l'impossibilité de retourner dans son pays natal.
« Ce n'était pas si difficile pour moi. Parce qu'en tant que mère, je ne peux pas regarder comment les enfants meurent. C'est douloureux et effrayant. Maintenant, en Ukraine, il n'y a pas d'électricité, ce qui signifie qu'il est impossible de cuisiner. Et un petit enfant a besoin d'être nourri pour grandir. C'est très effrayant et je ne comprends pas pourquoi les gens en Russie ne croient pas qu'il y a une guerre ».
Récemment, les femmes de Bouriatie ont pris une part active aux actions de protestation liées à l'annonce de la mobilisation sur le territoire de la Russie, et elles avaient auparavant organisé des manifestations exigeant le retour de leurs maris d'Ukraine. Selon des données récentes, plus de 2000 personnes ont été arrêtées lors de rassemblements contre la guerre fin septembre. Pour Daria Ivanyk, avec le soutien de l'Union européenne et en particulier de la République tchèque, il serait possible d'accorder l'asile aux Bouriates qui ne sont pas d'accord avec la politique russe.
« La propagande du Kremlin est très forte et les gens, malheureusement, y croient. Ils ne voient tout simplement pas de lien de causalité. On dit que les Bouriates votent avec leurs pieds. Cela signifie qu'ils émigrent, partent pour d'autres pays. Maintenant, beaucoup de Bouriates sont partis pour l'Amérique, heureusement, cela offre une opportunité ».
A l'heure actuelle, il devient de plus en plus difficile de quitter la Bouriatie. Il existe des listes de personnes qui ne peuvent quitter la Russie. De nombreux Bouriates tentent toutefois de partir pour la Mongolie voisine, avec laquelle ils sont proches ethniquement, culturellement et linguistiquement.
« Notre langue ressemble beaucoup au mongol. Si vous regardez l'histoire, la Bouriatie était autrefois sur le territoire de la Mongolie, et il a fallu 80 ans avant que nous soyons « envahis ». Malheureusement, malgré le fait que je sois bouriate, je ne connais pas ma langue, ma culture, mon histoire. La langue bouriate n'était pas enseignée dans nos écoles. J'ai ressenti cette solitude et ce vide quand j’ai visité l’Ukraine. C'était encore avant la guerre quand nous y sommes allés pour Noël. C'était très beau, j'ai vu comment ils se rendaient visite, chantaient des chansons, parlaient dans leur langue maternelle, et je voulais la même chose. J'ai vraiment apprécié et, en même temps, j'étais très triste de ne pas pouvoir avoir la culture bouriate à transmettre de mon côté à notre enfant. Je suis allée plusieurs fois en Ukraine, et étant une femme bouriate, je n'ai jamais rencontré ni nationalisme ni mépris parce que je parle russe. Je dis à mes amis en Bouriatie qu'il n'y a pas de nazis en Ukraine, je n'ai jamais rien rencontré de tel. Ce sont de très bonnes personnes qui essaient toujours d'aider ».