Plus discrète, la mafia russe n’est toutefois jamais partie de Tchéquie
C’est une affaire qui replongerait (presque) la République tchèque dans les sombres années 1990 de ses transformations économique et politique, quand la mafia russophone (plus généralement appelée « mafia russe » et qui regroupe les organisations criminelles de l’ensemble des pays de l’ex-URSS) était omniprésente dans le pays. La République tchèque va extrader vers les États-Unis Polad Omarov, une figure relativement haut placée dans le milieu criminel qui aspire à devenir un « Voleur dans la loi » (« Vor v zakone » selon le nom russe de la célèbre caste). Explications avec la journaliste Pavla Holcová, fondatrice du site d’investigation Investigace.cz, interrogée par la Radio tchèque et qui décrit le contexte de l’arrestation par la police tchèque de Polad Omarov en janvier dernier.
Le ministre tchèque de la Justice, Pavel Blažek, a donné son feu vert, mardi 18 juillet, à l’extradition vers les États-Unis de Polad Omarov, un Azerbaïdjanais de nationalité géorgienne soupçonné d’être le chef d’une branche de la mafia russophone et d’avoir participé à la tentative de meurtre, en juillet 2022, de la journaliste et militante américaine d’origine iranienne Masih Alinejad.
Polad Omarov a été arrêté par la police tchèque le 4 janvier dernier sur la base d’un mandat d’arrêt international délivré par les autorités américaines. La décision du ministre a confirmé celle prise précédemment par le tribunal municipal de Prague, qui avait jugé la demande recevable.
D’abord, Pavla Holcová, qui est cet homme du nom de Polad Omarov, présenté donc par certains médias tchèques comme un « Voleur dans la loi » ?
« Pour commencer, je dirais qu’il n’est pas un ‘Voleur dans la loi’. Polad Omarov aspire à ce statut, mais il n’a pas été couronné. Il suffit de regarder ses tatouages pour en avoir la confirmation : il n’a pas deux étoiles à huit branches, qui est le symbole des ‘vori v zakone’, tatouées sur le devant de ses épaules, mais une seule. »
« Il ne pourra être couronné qu’à compter de 2026. Les couronnements de ceux que l’on appelle les ‘Voleurs dans la loi’, c’est-à-dire les chefs de la mafia russe, ont été suspendus jusqu’en 2026. Il était nécessaire de clarifier certaines règles de fonctionnement et de renforcer le contrôle de leur respect, qui est une sorte de code de déontologie de la mafia russe. »
« Polad Omarov a commencé comme garde du corps de l’un des membres beaucoup plus influents d’une organisation criminelle. Il a progressivement gravi les échelons jusqu’à devenir un ‘Vor’ aspirant. Il serait le bras droit de Namik Salifov, qui était chargé de faire chanter des hommes d’affaires azerbaïdjanais en Ukraine et en Russie. »
Pourquoi Omarov se trouvait-il en République tchèque et pour quels motifs la police tchèque l’a-t-elle arrêté au début de l’année ?
« Selon nos informations, Omarov rendait visite à sa famille en République tchèque, mais il a été arrêté. Au départ, il ne voulait même pas venir ici, mais il s’est laissé convaincre. Il considérait que cela était dangereux, mais tout le monde lui a expliqué que s’il était en possession d’un passeport ukrainien, il n’y aurait aucun problème. »
« La police l’a arrêté dans le cadre d’une opération internationale et à la demande des États-Unis, qui ont fait savoir qu’Omarov était soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire dans la tentative d’assassinat d’une dissidente iranienne aux États-Unis. »
« Toutefois, selon les États-Unis, c’est lui qui a été approché pour savoir s’il connaissait quelqu’un en mesure de commettre le meurtre. Omarov connaissait un type de ce genre à Brooklyn et l’a donc envoyé. Cependant, le meurtre n’a jamais eu lieu. L’homme qui en était chargé a été arrêté au hasard d’un contrôle routier. »
« Le tueur à gages avait des armes, des munitions et de l’argent dans la voiture. Comme il pensait être simplement arrêté, il a commencé à écrire des messages au sujet du meurtre, et c’est sur cette base qu’il a ensuite été condamné. Une fois cela dit, on ne sait pas exactement quel rôle Polad Omarov a joué en tant qu’intermédiaire dans la préparation de cet assassinat. »
Outre les États-Unis, qui en avaient fait la demande, Omarov aurait pu être extradé aussi vers la Géorgie ou le Kazakhstan si le tribunal municipal de Prague en avait décidé ainsi, même si c’est le ministre de la Justice qui a le dernier mot. Les raisons pour lesquelles le ministre Pavel Blažek a finalement choisi les États-Unis sont-elles connues ?
« C’est une question qui s’adresse davantage au ministre qu’à moi. Je suppose que la diplomatie joue un rôle à cet égard. Les raisons pour lesquelles Omarov aurait pu être extradé vers la Géorgie ou l’Azerbaïdjan sont qu’il est soupçonné d’avoir préparé ou d’avoir été impliqué dans les meurtres d’autres membres de groupes criminels organisés, ainsi que d’avoir fait chanter des hommes d’affaires, de les avoir intimidés et kidnappés. »
Vous avez mentionné le fait qu’Omarov était venu rendre visite à sa famille en République tchèque, et il est bien connu que dans les années 1990, la République tchèque était une base paisible pour les chefs de gangs russophones en Europe. Peut-on donc parler de leur retour aujourd’hui dans le contexte de l’agression russe en Ukraine ?
« Je ne parlerais pas de retour, car ils ne sont jamais partis. Ils se sont simplement retirés et se sont fait plus discrets. Ils étaient beaucoup plus visibles dans les années 90. On a beaucoup parlé à l’époque, par exemple, de Semyon Mogilevitch, qui est vraiment une figure emblématique du crime organisé russe et qui jouit d’une reconnaissance internationale au sein de la communauté mafieuse, mais bon nombre des ‘Voleurs dans la loi’, et j’en connais au moins quatre ou cinq, sont là depuis les années 1990 et ne sont jamais partis. »
Et peut-on encore affirmer que la République tchèque est une sorte de havre de paix où les gangs ne commettent pas directement de crimes et dont ils servent comme base paisible ?
« Je m’attends à ce que la violence s’installe aussi en Europe centrale »
« Pour l’instant, c’est le cas, mais je pense que cela va changer dans les années à venir. La mafia mexicaine, le cartel de Sinaloa, qui est bien connue pour sa brutalité et son agressivité, est arrivée en Europe et nous savons déjà qu’elle transfère certaines de ses pratiques en Europe, en particulier en Espagne et aux Pays-Bas. »
« Ils transportent avec eux des chambres de torture provisoires qui ont été découvertes et installent des laboratoires pour la production de méthamphétamine. Ils s’emparent progressivement d’une partie du marché de la drogue et je pense que d’autres groupes criminels organisés s’opposeront à leur monopolisation du marché de la cocaïne et de la méthamphétamine. Je m’attends donc à ce que la violence s’installe aussi en Europe centrale. »
