Après les régionales, « certains électeurs ont le sentiment que ce gouvernement n’est plus à sa place »
En plus d’une faible participation (32 %), les élections régionales qui se sont tenues en Tchéquie, vendredi et samedi derniers, ont d’abord été marquées par la nette victoire du parti populiste ANO d’Andrej Babiš et les résultats majoritairement décevants des différents partis du gouvernement de centre-droit. Directeur du département de science politique à la Faculté des sciences sociales de l’Université Charles à Prague, Michel Perottino analyse en détail quelques-uns des principaux enseignements de ce scrutin qui, à un an des élections législatives, était considéré par beaucoup d’observateurs comme un test pour la coalition du Premier ministre conservateur Petr Fiala.
ANO est arrivé en tête dans dix des treize régions où l’on votait, avec un score global de 35,38 % et la conquête de plus de 40 % des sièges de conseillers régionaux dans le pays. Comment expliquez-vous ce succès si net ?
« Il y a plusieurs explications, et d’abord le fait qu’il s’agit d’élections de second ordre qui explique qu’une partie de l’électorat du gouvernement ne se soit pas déplacée. L’influence des inondations a aussi été évoquée, même si la participation est plus ou moins identique à celle des élections régionales antérieures. En même temps, les résultats des élections sont dans la ligne des sondages que nous avons depuis quelque temps qui placent régulièrement ANO en tête des intentions de vote avec des chiffres qui oscillent entre 30 et 35 %. »
Cette popularité stable d’ANO repose-t-elle toujours essentiellement sur la personnalité de l’ancien Premier ministre Andrej Babiš, qui est le véritable leader de l’opposition au Parlement ?
« C’est vrai qu’il y a toujours cette très forte personnalisation d’ANO autour d’Andrej Babiš, un parti dont il est à la fois le fondateur et le moteur. Mais on voit aussi apparaître deux autres personnalités importantes, Karel Havlíček (premier vice-président d’ANO et ancien ministre des Transports et de l’Industrie et du Commerce) et Alena Schillerová (ancienne ministre des Finances), qui pourraient contribuer à institutionaliser le parti dans les prochaines années. »
À un an des législatives, dans quelle mesure les résultats de ces élections régionales reflètent-elles la situation politique actuelle en Tchéquie ?
« En dépit d’une participation en retrait par rapport à celle des législatives, on peut quand même dire que nous sommes en présence d’une scène politique dominée par ANO avec, assez loin derrière, les partis du gouvernement. Sans oublier la grosse déception pour le Parti des Pirates qui se trouve dans une forme de trou dont il n’arrive pas à sortir (nous évoquerons en détail la crise des Pirates dans nos émissions de ce mardi, ndlr.). »
Concernant justement les résultats des partis de la coalition gouvernementale, qu’il s’agisse du parti conservateur ODS (Parti démocrate civique) ou de la coalition « Spolu » (Ensemble), qui réunit les partis conservateurs ODS et TOP 09 et les chrétiens-démocrates, Petr Fiala a réagi en déclarant qu’il ne s’agissait « ni d’un succès, ni d’un échec fatal ». Néanmoins, il suffit de lire ne serait-ce que quelques commentaires dans la presse tchèque pour comprendre qu’il s’agit bien d’un échec.
« Oui, objectivement, c’est une défaite. On peut jouer sur les mots et présenter ces résultats comme une coupe à moitié pleine plutôt qu’à moitié vide, mais le constat est clair : c’est un revers pour la coalition ‘Spolu’, et ce, même si dans certaines circonscriptions, les résultats ont quand même été un peu meilleurs qu’à une échelle plus globale. »
Là aussi, comment expliquez-vous l’échec de ce gouvernement plutôt stable depuis sa formation en 2021 et épargné par les affaires auxquelles la politique tchèque nous a longtemps habitués ? Que lui reprocher ?
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« Non seulement c’est un gouvernement stable, mais c’est aussi un gouvernement qui est à peu près dans les clous en termes de résultats. Par contre, et cela est souvent ressassé dans les médias, c’est un gouvernement qui n’arrive pas à maîtriser le déficit budgétaire. Même si c’est aussi l’héritage du gouvernement précédent d’Andrej Babiš, les chiffres sont à nouveau dans le rouge. »
« Il y a aussi eu la catastrophe qu’a été la numérisation/dématérialisation des procédures pour les permis de construire et les inondations ont laissé apparaître une critique du gouvernement, auquel il a été reproché notament de ne pas avoir reporté ces élections régionales. C’est donc un ensemble de petits problèmes qui, mis bout à bout, font que certains électeurs ont le sentiment que ce gouvernement n’est plus à sa place. »
Précisions que l’on ne votait pas à Prague pour ces régionales puisque la capitale, bien qu'elle possède le statut de région, est dirigée par le conseil issu des élections municipales. Or, c’est dans les grandes villes, et à Prague plus particulièrement, que se trouve le gros des électeurs des partis conservateurs et libéraux qui forment la coalition gouvernementale. C’est donc là un élément important dans la perspective des législatives...
« Tout à fait. Prague joue un rôle essentiel pour les conservateurs de manière générale et pour ce gouvernement de centre-droit en particulier. Sur ces régionales, il est évident que les résultats de Prague manquent pour compenser un peu. »
Comme on a pu l’entendre de la bouche du Premier ministre Petr Fiala samedi soir, y a-t-il un risque de voir le populisme l’emporter dans un an en Tchéquie et la situation évoluer comme dans Hongrie de Viktor Orban ou la Slovaquie de Robert Fico ? Andrej Babiš ne cache désormais plus sa volonté de s’en rapprocher, mais on voit aussi que les possibilités qu’a ANO pour former des coalitions tant à l’échelle régionale que nationale sont assez limitées. Rappelons qu’ANO était arrivé en tête des dernières élections législatives en 2021, mais qu’il avait ensuite été dans l’impossibilité de former une coalition pour un gouvernement.
« Si on écoute Andrej Babiš, c’est davantage le modèle hongrois de Viktor Orban que celui de Robert Fico en Slovaquie qu’il aimerait suivre. L’inconvénient, pour l’instant, est qu’il ne semble pas en mesure d’obtenir une majorité à la Chambre des députés. Il sera donc contrait d’essayer de former une coalition s’il veut diriger le prochain gouvernement, et là, on peut imaginer une coopération avec le SPD (Liberté et démocratie directe), le parti d’extrême droite dirigé par Tomio Okamura, ou encore avec une partie de l’ODS qui est relativement soucieuse de sa position et qui pourrait accepter ce type d’alliance. Je pense là en particulier à Martin Kuba, le président de la région de Bohême du Sud, qui depuis un certain temps déjà s’efforce de promouvoir cette idée d’un gouvernement ANO-ODS. C’est là une voie possible qui’il faudra suivre. »
Quid des communistes, qui se présentent désormais dans le cadre d’une coalition d’extrême gauche appelée « Stačilo! » (Ça suffit !) et qui ont confirmé lors de ces régionales (mandats obtenus dans onze régions) le succès déjà obtenu lors des élections européennes en juin dernier ? Même s’il ne s’agit pas d’un retour en masse sur le devant de la scène, les revoici néanmoins alors qu’on pensait leur cause perdue. N’oublions pas qu’entre 2017 et 2021, ce sont justement eux, les communistes, avant de disparaître des bancs de la Chambre des députés en raison notamment d’un électorat très âgé, qui avaient permis à Andrej Babiš d’être en mesure de former une coalition gouvernementale minoritaire avec l’ancien parti social-démocrate.
« Et j’ajouterais un autre acteur important que l’on a tendance à oublier en raison de son âge (80 ans) et de son état de santé : l’ancien président de la République Miloš Zeman. Non seulement il est très favorable à ANO, mais il est aussi un grand laudateur de Kateřina Konečná, la députée européenne qui dirige le Parti communiste de Bohême et de Moravie. Pour ce qui est de ‘Stačilo!’, il ne s’agit que d’une pseudo-coalition, car dans les faits, il s’agit d’un maquillage du Parti communiste. »
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