Pour Alain Resnais, le cinéma est toujours documentaire
Largement connu pour son œuvre de fiction, le cinéaste Alain Resnais, décédé en mars dernier, a également participé à la réalisation de nombreux documentaires et ses films sont souvent marqués par l’influence de ce genre. Il n’en fallait pas plus pour que le Festival international du film de Jihlava, dont la 18e édition s’est achevée le 28 octobre, consacre une rétrospective à cet artiste majeur du septième art. Avec l’universitaire David Čeněk, qui se cache derrière ce projet, Radio Prague revient dans cette rubrique historique sur ces films méconnus de la carrière du réalisateur.
« Le film de mon cœur s’appelle Cœurs et il est réalisé par Alain Resnais avec une distribution formidable. C’est véritablement une joie pour le cœur. Il s’agit d’un film sur les destins croisés de plusieurs couples de personnes. Avec cette œuvre, Alain Resnais montre que même à son âge, à plus de 80 ans, il reste un réalisateur majeur. »
Alain Resnais utilise dans le film Cœurs une distribution qu’il affectionne depuis le début des années 1980. Au générique, on trouve ainsi pêle-mêle Sabine Azéma, Pierre Arditi, Lambert Wilson ou encore André Dussollier, autant d’acteurs qui ont contribué à nombre de ses succès récents, qu’on pense à Pas sur la bouche ou au très populaire On connaît la chanson.Paradoxalement c’est sa mort, survenue le 1er mars 2014, alors qu’Alain Resnais, qui affichait 91 ans au compteur, sortait de la promotion de son dernier film, Aimer, boire et chanter, qui a rendu possible cette rétrospective. Historien du cinéma à l’Université Charles, spécialisé sur la cinématographie française, David Čeněk, le coordinateur du projet, explique :
« Pour faire une rétrospective, on avait déjà pensé à Alain Resnais mais il ne voulait pas voyager. Or c’est un peu la politique des festivals, on ne fait pas de rétrospective si le réalisateur ne vient pas. Malheureusement cela fonctionne comme cela. Mais avec sa mort, on peut organiser une rétrospective sans se soucier de sa venue. »
Les Archives nationales du film tchèque s’en sont données à cœur joie puisque une rétrospective dédiée à Alain Resnais était proposée au cinéma PonRepo à Prague au début de l’automne. Le directeur de cette institution Michal Bregant se dit d’ailleurs un grand fan du film Mon Oncle d’Amérique, une fable philosophique sortie en 1980, qui entremêle fiction et divers extraits à vocation documentaire, avec la brillante participation de Gérard Depardieu.Car avant même Nuit et Brouillard en 1955, son film documentaire sur la déportation et les camps d’extermination, Alain Resnais s’est intéressé à ce format d’expression cinématographique. Aussi, David Čeněk a réalisé une rétrospective qui se consacre plus spécifiquement, mais pas seulement, aux travaux précoces du cinéaste, ceux qui ont impulsé sa carrière futur.
« Grâce à Myriam Borsoutsky, qui était la monteuse du film Paris 1900, il a été recommandé à la réalisatrice Nicole Védrès et il a alors commencé à travailler au cinéma. C’est aussi grâce à elle qu’il a passé l’examen d’entrée à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) »
Bien que non titulaire du baccalauréat, le jeune Alain Resnais parvient à intégrer l’école de cinéma parisienne en 1943, tout juste créée, et qui deviendra plus tard la FEMIS. Proche du milieu artistique de Saint-Germain-des-Prés, l’étudiant, armé de sa caméra 16 mm, aiguise sa curiosité auprès des nombreux peintres dont il filme le travail.
« Les visites dans les ateliers de peintre se déroulaient ainsi, il demandait à chaque peintre de peindre un tableau et il suivait son travail. »
Alain Resnais a longtemps refusé de montrer ces courts-métrages, œuvres de jeunesse, dont il doutait de la qualité. A tort selon David Čeněk, qui a pu les montrer au festival de Jihlava du fait du décès du réalisateur. Les festivaliers pouvaient également découvrir un long-métrage réalisé en 1947 par Nicole Verdès et auquel a collaboré Alain Resnais. Il s’agit de Paris 1900, présenté ainsi par l’universitaire :« Le concept du film est de montrer la Belle Epoque comme une époque où tout semble aller bien, où on vit bien, et qui finit par le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Il montre d’abord Paris qui s’amuse, avec des parcs d’attractions, etc., le changement du rôle de la femme… Petit à petit, on voit qu’il y a des racines de problèmes sociaux qui apparaissent. Il y a des images de grèves, de manifestations, de différents problèmes et le film s’achève sur un passage purement politique. Ce n’est plus Paris qui s’amuse mais on montre le comportement des politiciens, la situation dans le monde. »
Ces films proposent une innovation, un discours critique sur le monde à partir d’un montage d’images d’archives ou d’extraits de films passés. En ce sens, David Čeněk parle d’essais cinématographiques, une sorte de sous-genre documentaire qui a un impact sur la carrière future d’Alain Resnais. Le chercheur rappelle le précédent de Jacques Brunius, un surréaliste « pionnier des films de montage » dans les années 1930.« Ce qui intéressait beaucoup Alain Resnais, ce qui l’a influencé, c’est que Nicole Védrès fait des films considérés comme des essais cinématographiques. Ce sont les premiers films documentaires qui ne sont pas des commentaires des événements historiques mais qui essaient plutôt de proposer une analyse sur un thème historique, social, et de faire une espèce de réflexion ici à travers des images d’archives. »
Non content d’avoir influencé des générations de cinéastes, Alain Resnais a également laissé une trace dans le monde du documentaire français selon David Čeněk :
« Alain Resnais ne se souciait pas de savoir si son film était un documentaire ou une fiction. Il faut dire qu’il y a des films, comme Hiroshima mon amour, qui sont des mélanges de fiction et de documentaire. Nous voulions présenter son œuvre documentaire parce qu’il a tourné des documentaires, même si ce sont en général des courts métrages, qui ont beaucoup influencé au moins le documentaire français à l’époque. »Tout au long de sa carrière, Alain Resnais va revenir épisodiquement à ses amours documentaires de jeunesse. Parmi les autres films dont pouvait se délecter le public du festival de Jihlava, on trouvait une lettre cinématographique à Fidel Castro ou bien encore un ciné-tract attribué au cinéaste, un montage sans son présentant les événements de mai 1968.