« Pour l’économie tchèque, il est enrichissant de continuer à soutenir l’Ukraine »
Deux ans après l’agression russe de l’Ukraine, où en est-on de l’aide tchèque sur place ? Si dès le début de la guerre, la Tchéquie s’est distinguée par son accueil massif de réfugiés et son engagement dans l’envoi de matériel militaire, le pays développe également des partenariats avec des entreprises sur place et est impliqué dans la reconstruction du pays. Une opportunité économique doublée d’un impératif moral, c’est ainsi que présente cette coopération, Tomáš Kopečný, chargé gouvernemental pour la reconstruction de l’Ukraine qui était la semaine dernière en Ukraine avec une importante délégation d’entreprises tchèques. Avant de parler de ce déplacement, il est revenu sur l’état d’esprit actuel des Ukrainiens.
« Il y a beaucoup de paradoxes. Il est vrai qu’actuellement, l’humeur des Ukrainiens est la pire depuis l’agression russe mais cela ne les empêche pas d’avoir un état d’esprit assez élevé. Il y avait beaucoup d’espoir et d’ambitions, notamment au printemps de l’année dernière, au moment de la contre-offensive ukrainienne. Il y avait aussi beaucoup d’espoir et d’esprit positif au tout début de la guerre. Maintenant, de nombreuses personnes sont déçues ou ne s’orientent pas bien sur les questions de l’aide occidentale. En même temps, ils ne sont pas abattus : ils savent aussi qu’ils sont dos au mur et n’ont nulle part où aller. Ils savent donc qu’ils ne peuvent pas abandonner, car c’est leur pays. Je tiens à souligner qu’actuellement, jamais l’aide reçue par l’Ukraine n’a été aussi importante et elle augmente tous les jours. »
Vous étiez la semaine dernière en Ukraine accompagné d’une importante délégation d’entreprises tchèques. Quel était le but de ce déplacement ?
« L’objectif était de comprendre ce dont nos partenaires ukrainiens ont besoin, dans quel état se trouvent les activités de nos partenaires et où en sont les institutions internationales comme la Banque européenne d’investissement, la Banque européenne de reconstruction et de développement, la Banque mondiale, l’Agence de développement américaine. L’idée était de créer une connexion entre les besoins ukrainiens, les capacités industrielles des entreprises tchèques et les ressources financières qui peuvent être trouvées pour des projets. En Ukraine, notamment dans les municipalités et les régions, il n’y a pas beaucoup de finances. Il faut donc se coordonner. C’est d’ailleurs ce que l’on fait avec la France. Pour les entrepreneurs qui m’ont accompagné, c’était de rencontrer ces partenaires. Et rien que durant cette visite, plusieurs contrats ont été signés. Tout particulièrement parce que nous étions la première délégation internationale non-politique à se rendre dans l’est du pays. C’était une délégation nombreuse avec plus de trente représentants de sociétés tchèques et des collègues de différents ministères. La région de Dnipropetrovsk est la plus industrialisée d’Ukraine, elle représente entre 15 et 20 % du PIB. On a été très bien accueillis par plus d’une centaine d’entreprises de la ville de Dnipro. Nous nous sommes rendus dans la deuxième ville la plus importante de la région, Kryvyï Rih. Je peux dire que les entreprises tchèques ont trouvé ce qu’elles sont venues chercher. »
La Tchéquie a choisi de « patronner » en quelque sorte la région de Dnipropetrovsk. Pourquoi ce focus sur cette région en particulier ?
« C’est aussi à cause du fait structurel que j’ai expliqué. La Tchéquie est le pays le plus industrialisé de l’UE (production industrielle/PIB) et c’est aussi le cas de Dnipropetrovsk. C’est le cœur industriel de l’Ukraine. Et nous entretenions déjà des liens avant l’agression russe. Par exemple, des hommes et des femmes ukrainiens travaillent pour une société tchèque qui produit des systèmes de réglage et de direction des tramways à Plzeň, Ostrava et à Prague. Donc le fait qu’on puisse circuler en tramway à Prague, c’est aussi facilité par cette coopération et ce bureau établi à Dnipro. Il y a donc toutes ces raisons. Le mot ‘patronage’ ne veut pas dire grand-chose : je veux dire que ce n’est pas une exclusivité. On se concentre et on donne la priorité à cette région pour des projets humanitaires, d’assistance et de développement. Mais on ne peut pas dire aux entreprises tchèques où elles doivent faire des affaires. »
Avez-vous des exemples de projets concrets entre la Tchéquie et l’Ukraine ?
« La priorité de cette mission concernait trois domaines : l’énergie, la santé et les infrastructures de transport. Dans chacun de ces domaines, il y a eu des négociations. Dans la première phase, il est important de trouver des ressources financières internationales. Sinon, la semaine dernière, nous sommes arrivés à Dnipro avec une société tchèque spécialisée dans un produit sanitaire spécifique. Le directeur d’hôpital a signé le jour-même un contrat avec cette société. »
De quel type de produit s’agit-il ?
« C’est un produit d’hygiène, un désinfectant. C’est très important pour eux. Les Ukrainiens n’ont pas seulement besoin de nos docteurs : on le fait, on envoie nos spécialistes sur place. Mais ce type de produits, c’est aussi important. Il y a beaucoup de maladies en raison de problèmes d’hygiène, qui ne sont pas nécessairement l’effet direct d’une blessure par exemple. Les soldats peuvent vivre dans des conditions très dures pendant trente jours avant d’avoir la possibilité de prendre une douche. Puis, ils peuvent se laver et retournent trente jours au front. De nombreuses maladies, voire la mort, sont causées par ces problèmes d’hygiène. »
Dans divers entretiens, vous soulignez qu’il s’agit là aussi d’une opportunité économique pour la Tchéquie. Est-ce une façon de désamorcer les discours, plus fréquents ces derniers temps, qui appellent à cesser l’aide à l’Ukraine ?
« Oui, on essaye d’expliquer les choses. La Tchéquie a reçu le plus grand nombre de réfugiés ukrainiens par habitant. Actuellement, on a toujours le plus grand nombre avec l’Allemagne. Sur le total des réfugiés, 120 000 au moins font partie du marché, payent leurs impôts en Tchéquie. C’est ce qu’on essaye d’expliquer aux gens. En outre, depuis la guerre, nos exportations ont augmenté de 18% grâce à notre relation avec l’Ukraine. Cela peut paraître surprenant mais je pense que c’est aussi à cause du fait que nous allons là-bas, que nous discutons, que nous essayons de trouver des moyens d’aider et de soutenir les Ukrainiens. C’est quelque chose qui n’est pas gratuit, mais qui est bénéfique pour les deux parties. Je pense que c’est très important d’expliquer ça à la population, alors que de nombreuses voix se demandent pourquoi on finance autant les Ukrainiens. Or c’est une grave désinformation ou une mauvaise compréhension de la situation. Notre travail, notre devoir, pas seulement du gouvernement mais aussi des entreprises, des ONG, c’est d’expliquer et de fournir des données. Pour l’économie tchèque, il est enrichissant de continuer à soutenir l’Ukraine : pour la situation sécuritaire, c’est une évidence, mais aussi parce que nous pensons que c’est la bonne chose à faire. Le nombre a certes baissé, mais 53 % des Tchèques croient toujours qu’il faut aider l’Ukraine, parce que c’est la chose à faire, c’est une chose morale. »
En-dehors des armes, de quoi les Ukrainiens ont-ils le plus besoin actuellement ?
« Par rapport à l’année dernière, où l’hiver a été très dur et où toute l’Europe a essayé de trouver des moyens pour soutenir les Ukrainiens énergétiquement, ce n’était pas le cas cet hiver. Cette année, il n’y a pas eu de problème de ce type qui toucherait toute la population comme en 2023. Il n’y avait pas des millions de personnes sans électricité ou sans eau chaude. A part les armes, c’est-à-dire les munitions, la défense aérienne et les drones, non seulement pour la reconnaissance, mais aussi pour l’artillerie, ce sont des systèmes énergétiques décentralisés comme des unités de cogénération ou alors de l’aide dans le domaine de la santé, destinée aux hôpitaux. J’ai pu en discuter avec la direction du ministère de la Santé : ils sont très reconnaissants pour l’assistance de la France et la nôtre. La France est un leader mondial dans l’aide pour le secteur de la santé, pas trop pour les armes. Les Tchèques ont mené des projets avec des hôpitaux dans cinq régions. Et rien que pour la région de Kharkhiv qui est la plus affectée, on a des projets d’installation et de modernisation pour huit hôpitaux pour de l’aide primaire : chirurgie, pédiatrie, gynécologie et médecine interne. C’est ce dont les Ukrainiens ont le plus besoin. »
Puisque vous évoquez la France, y a-t-il des projets communs entre la Tchéquie et l’Hexagone, pour l’Ukraine ?
« Il n’y a pas encore de projet dont on pourrait parler. J’espère que bientôt il y aura quelque chose. Dans le domaine civil, on essaye de communiquer ce qu’on fait, de trouver des liens communs. J’aimerais bien que des projets communs soient trouvés. Mais c’est le cas pour pratiquement pour tous les pays : par rapport au volume des projets développés, cela ne fait pas vraiment sens de faire des consortiums. »