Pour ou contre la levée des limites des extractions minières ?

La mine de ČSA, photo: Denisa Tomanová

Le nord de la Bohême, et la région d’Ustí nad Labem plus particulièrement, est scruté à la loupe depuis plusieurs années par les autorités publiques. La levée, ou non, des limitations des extractions minières est en jeu. Après vous avoir précédemment présenté la situation délicate du château de Jezeří, Radio Prague vous propose un nouveau reportage aux confins de ces Monts Métallifères afin de mieux comprendre la situation de ces paysages lunaires et des communes voisines.

La mine de ČSA,  photo: Denisa Tomanová
Historiquement, la région d’Ustí nad Labem est une des plus grandes régions industrielles en République tchèque. Si le pays est le troisième exportateur d’énergie au sein de l’Union européenne, ces ressources sont issues principalement de l’activité minière. Mais les réserves de charbon s’épuisent sur des sites exploités depuis plusieurs décennies. Dans le cadre de la politique énergétique de l’Etat, le ministre du Commerce et de l’Industrie, Jan Mládek, a proposé deux options au gouvernement : la poursuite de l’activité de la mine de Bílina, propriété du groupe ČEZ, ou celle à la fois de la mine de Bílina et de ČSA. Jan Mládek explique pourquoi :

« L’extraction minière se poursuit à un tel rythme qu’elle arrivera bientôt aux limites fixées par la résolution gouvernementale de 1991. C’est pourquoi il convient de savoir de quoi sera fait l’avenir, si la mine ČSA restera en activité ou pas. Le fait qu’il n’y aura pas, a priori, d’élections cette année, facilitera l’instauration d’un débat qui, je l’espère, sera plus constructif. »

Horní Jiřetín
La semaine dernière, une des trois études indépendantes commandées par le ministère du Commerce et de l’Industrie, et relative à l’impact socio-économique de la poursuite ou de l’arrêt des extractions, a révélé que la poursuite de l’activité dans la seule mine de Bílina était insuffisante. La suppression partielle des limites à la carrière ČSA, qui nécessiterait la démolition de cent-quatre-vingts maisons dans la commune de Horní Jiřetín, serait, elle aussi, insuffisante. Selon l’étude, la solution serait la suppression totale des limites, comptant ainsi sur la démolition complète des communes voisines de Horní Jiřetín et de Černice. Les deux autres études, la première sur la nécessité de l’utilisation du lignite pour l’industrie énergétique et l’autre sur les impacts sur l’environnement, sont encore en cours. Les résultats de ces trois études devraient conditionner la prise de décision du gouvernement de supprimer ou non les limites d’extraction.

La suppression des limites d’extraction : une affaire d’indifférence ou qui concerne toute le monde ?

Vladimír Buřt,  photo: Jirka Dl,  CC BY-SA 2.0 Generic
Si elle est décidée, la levée partielle des limites d’extractions pourrait, elle aussi, avoir des conséquences environnementales néfastes pour les communes situées à proximité des mines à ciel ouvert. Commune de près de 2 000 habitants fondée il y a cent ans et située à moins d’un kilomètre de la mine de ČSA, Hořní Jiřetín est un très bon exemple. Son maire, Vladimír Buřt, avait fait savoir il y a quelques mois de cela :

« Nous saluons particulièrement le fait que le ministère n’inclut pas dans ses deux variantes la démolition totale des communes de Hořní Jiřetín et de Černice. Nous constatons des avancées considérables dans les négociations. Mais concernant l’option de la levée partielle de la mine de ČSA, il n’est pas vraiment possible d’adopter un point de vue univoque, car nous n’en connaissons pas les détails. Il s’agirait très probablement d’un rapprochement important de l’activité minière, à quelques dizaines de mètres des zones d’habitation. Vivre à cet endroit deviendrait alors pratiquement impossible, et c’est pourquoi cette option ne nous semble pas être la meilleure. »

Vue actuelle sur l'église de Most déplacée de 800 mètres en 1975,  photo: Denisa Tomanová
Si les réunions entre les exploiteurs des mines, les représentants des communes et les ONG ont été nombreuses, un consensus peine à être trouvé. Les municipalités de Litvínov et de Hořní Jiřetín sont clairement opposées à la levée des limites, tandis que la ville de Most soutient la poursuite de l’activité minière, importante source d’emploi. Rappelons ici que l’ancienne ville de Most a été rasée de la carte dans les années 1970, une opération qui avait nécessité, entre autres, le déplacement de l’église de l’Assomption-de-la-Vierge de 800 mètres. Si le poids des facteurs économique et politique semble prendre le dessus dans le débat, le ministre de l’Environnement, Richard Brabec, nuance quelque peu :

« Je suis persuadé que l’extraction minière devrait avant tout se faire dans l’intérêt de la République tchèque dans son ensemble. Pour être plus concret, s’il ressort des études en cours que le pays aura à pâtir d’un ébranlement de ses ressources énergétiques, c’est-à-dire si les limites d’extraction ne sont pas supprimées ou si les centrales thermiques ne peuvent pas fonctionner sans ce charbon, alors la position qui sera adoptée dans l’intérêt général sera différente que dans le cas où le charbon sera exploité puis brûlé dans des centrales à faible efficacité. En tant que troisième exportateur d’énergie de l’UE, la République tchèque exporte à l’heure actuelle un volume d’électricité équivalent à la production de la centrale nucléaire de Temelín. D’où les questions suivantes : à quels endroits et surtout de quelle façon exploiter le charbon est-il rentable ? Dans cent ans, l’utilisation du charbon sera peut-être bien meilleure du point de vue de l’efficacité. D’ailleurs, le lignite est aussi une matière première rare pour l’industrie chimique. Alors, si nous exploitions le lignite dans une dizaine d’années pour le brûler de façon inefficace, ce serait la chose la plus stupide que nous pourrions faire. Nos descendants auraient à l’avenir tous les droits de nous maudire. C’est pourquoi nous allons bien évidemment repenser tout cela dans ce sens. »

Quelle place pour les énergies renouvelables en République tchèque ?

Richard Brabec,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
Quelles sont donc les raisons qui mènent à privilégier une utilisation à court terme de certaines énergies, comme le lignite, aux dépens de l’utilisation des énergies renouvelables sur le long terme ? Le ministre de l’Environnement, Richard Brabec, répond :

« Justement, l’utilisation de ces énergies sur le court terme ne devrait pas être privilégiée. C’est ce que veut le ministère de l’Environnement, qui est un acteur significatif tant dans ce domaine que dans le cadre de la situation actuelle. De nombreux documents ont été modifiés sur la base de nos propositions. Les énergies renouvelables ont certainement leur rôle à jouer dans la politique énergétique de l’Etat et elles devraient progressivement remplacer le lignite dans certaines régions. Ce sera plus difficile dans l’industrie thermique que dans l’industrie énergétique. Même si la part des énergies renouvelables est en hausse - ce qui est notre but – nous devons rester pragmatiques : la République tchèque ne se trouve pas dans la même situation que l’Allemagne, elle n’a pas la mer du Nord, les parcs éoliens y sont donc restreints. Nous sommes aussi limités pour ce qui est de l’énergie hydraulique. Quant au photovoltaïque, cela a dégénéré en quelque sorte avec l’augmentation incontrôlée des grands parcs, qui représentent un énorme fardeau non seulement pour le budget de l’Etat mais aussi pour les particuliers. Ce n’est donc pas un chemin que la République tchèque pourrait emprunter de façon massive. Cela devrait donc résulter d’une proportion raisonnable de toutes ces énergies en question. »

Même si le ministère de l’Environnement s’est prononcé contre toute suppression des limites d’extraction, la part des énergies renouvelables dans la production d’énergie ne représente à l’heure actuelle que 12%, loin des 40% de l’Allemagne.

Horní Jiřetín,  photo: Denisa Tomanová
Habitante de la ville de Hořní Jiřetín depuis près de trente ans, Miluše Kolářová dirige un club d’activités pour les personnes âgées depuis douze ans. Elle nous a expliqué quelle est, selon elle, la situation à Hořní Jiřetín :

« C’est assez étrange, je dirais que les gens ont assez peur. La plupart des habitants sont des personnes âgées. Même si quelques jeunes s’y s’installent en achetant une maison, la majorité emménage puis déménage de suite. Etant donné que je représente les 130 seniors de la commune, je me suis entretenu après les élections communales avec le maire Vladimír Buřt à propos de notre programme, en lui suggérant qu’il serait bien d’organiser une table ronde à Hořní Jiřetín afin de réunir les sept partis présents au conseil municipal et de montrer quelles sont les mesures concrètes qui ont été prises pour le bien des habitants. Le maire s’est montré très avenant. La seule chose qui manque selon moi c’est une sorte de médiateur ou d’intermédiaire qui relierait les différentes personnes. »

Lever les limites, c’est dénigrer le passé et la culture commune

L'église baroque de l’Ascension de la Vierge,  photo: Denisa Tomanová
La préservation du patrimoine est une des autres questions que soulève la problématique de la levée des limites, dans la mesure où la commune de Hořní Jiřetín abrite l’église baroque de l’Ascension-de-la-Vierge (1694-1700) de l’architecte et peintre français Jean-Baptiste Mathey. Miluše Kolářová affirme toutefois que, quoi qu’il advienne, les habitants resteront solidaires les uns des autres, en participant activement à la protection de leur commune. Ils organisent non seulement des initiatives de nettoyage des décharges illégales mais aussi, comme le 24 avril dernier, jour de la saint Jiří, patron de Hořní Jiřetín, des évènements commémorant les communes démolies par le passé en raison des extractions minières ou par l’établissement d’usines chimiques, comme Chemopetrol, près de la ville voisine de Litvínov.

Photo: Denisa Tomanová
L’histoire nous révèle que la démolition de communes entières au profit de l’activité industrielle ne date pas d’aujourd’hui. C’est précisément à l’emplacement actuel de l’usine Chemopetrol qu’est née, en 1923, Jiřina Větrovcová. A l’origine, la commune, dont la première mention remonte à 1333, s’appelait Záluží et a compté, à son plus grand essor, plus de 3 000 habitants. Mais en raison de l’expansion des usines chimiques, elle a, elle aussi, été complètement rayée de la carte en 1975. Jiřina Větrovcová se souvient :

« Záluží était une commune qui s’adonnait énormément à la culture. Comme Záluží n’avait pas d’église, nous avions été baptisés à Dolní Jiřetín, où l’allée principale avait été plantée par le père de ma grand-mère, ce que nous estimions beaucoup. Mais à l’instar des communes voisines, Dolní Jiřetín a lui aussi été démoli au début des années 1980. Nous nous y rendions à différentes occasions, c’était notre enfance. Il y a quelques années, j’ai dû renouveler ma carte d’identité, et vu que Záluží n’existait plus, ils ont inscrit que j’étais née à Litvínov, chose qui nous avait beaucoup fâché avec ma sœur à l’époque. Záluží n’est donc plus qu’un souvenir. »

A l’heure actuelle, les habitants des communes concernées et les ONG sont opposés à la levée complète ou partielle des limites, afin de préserver le paysage à la fois naturel et culturel, tandis que les entreprises chimiques et minières, tout comme les syndicats, y sont favorables. Face à ce casse-tête, qui aura alors le dernier mot ? Le ministre de l’Environnement répond :

Photo: Denisa Tomanová
« Le dernier mot appartiendra sans aucun doute au gouvernement, car la résolution sur les limites est une résolution gouvernementale. Si tout va bien, le gouvernement devrait définitivement se prononcer fin août. Bien évidemment, les opinions du public et des communes joueront elles aussi un rôle, car le gouvernement compte évaluer le problème sous différents angles et aspects. »

Photo: Denisa Tomanová
Afin de discerner les transformations progressives, et parfois très étonnantes, du paysage provoquées pendant des décennies par les extractions minières dans le nord de la Bohême, le Château de Prague propose jusqu’à dimanche prochain une exposition de près de 300 photographies de Stanislav Štýs, intitulée « Země znovuzrozená » - « La terre qui renaît de ses cendres ».