Prague devient aussi une ville-refuge pour les écrivains et artistes persécutés
Depuis plusieurs années déjà, Prague attire des journalistes étrangers persécutés ou censurés dans leur pays et qui viennent trouver un havre de liberté dans la capitale tchèque. Désormais, celle-ci sera également une ville-refuge, et de manière officielle, pour les écrivains et artistes victimes de la répression dans leur pays d’origine, en rejoignant un vaste réseau international créé par l’ONG norvégienne ICORN.
Mardi, le maire de Prague Bohuslav Svoboda (ODS) et le directeur de l’ONG ICORN Helge Lunde ont officiellement entériné l’adhésion de Prague au réseau international de villes-refuges à destination des écrivains et artistes persécutés dans leur pays. 85 villes, dont Paris depuis 2011, font partie de ce vaste réseau créé il y a près de vingt ans, comme le rappelle Helge Lunde :
« Depuis que nous avons commencé en 2006, nous avons protégé plus de 300 écrivains et artistes persécutés, qu'il s’agisse de romanciers, de poètes, de journalistes, mais aussi de dessinateurs et, depuis peu, d’artistes non verbaux. Il s’agit de la liberté d'expression, donc de personnes qui ne peuvent pas s’exprimer librement dans leur pays d'origine en raison de leurs activités professionnelles : c’est aux villes d’ICORN d'intervenir et de les aider. »
Il peut sembler même étonnant que la capitale tchèque rejoigne ce réseau si tard, dans le contexte historique d’un pays qui, après la chute du rideau de fer, a porté à sa présidence un ancien dissident, écrivain et dramaturge, lui-même persécuté par l’ancien régime politique… Pourtant, l’idée de créer un réseau de villes qui seraient un refuge pour les artistes, écrivains et journalistes persécutés remonte aux années 1990. Parmi les personnes à l’origine du concept original, appelé Parlement international des écrivains et connu sous l’acronyme IWP, figuraient Salman Rushdie, Jacques Derrida, mais aussi justement Václav Havel.
Selon le directeur de l’ONG, la plupart des écrivains, artistes ou journalistes qui demandent de l’aide à ICORN sont déjà exilés de leur pays d’origine et vivent dans un pays tiers :
« Il y a beaucoup de gens en Turquie, par exemple, qui ont fui l’Afghanistan, l’Iran et d’autres pays. Nous aimons dire qu’ICORN est un système de protection temporaire à long terme. Et bien sûr, la question est toujours de savoir ce qui se passera par la suite. C’est l’une des choses les plus importantes à laquelle nous contribuons. Mais en fin de compte, c'est l’artiste qui reste maître de sa vie. C’est lui qui prend la décision, mais c’est à la ville et à l’organisation ICORN de l'aider autant que possible. »
Dans ce projet international, chapeauté par l’ONG norvégienne, chacune des villes membres est ainsi chargée de couvrir les frais de logement et de subsistance des artistes en question et de les aider à s’intégrer socialement. Mais la personnalité accueillie reste responsable de l’évolution de sa vie à l’issue des deux années de soutien dont il ou elle bénéficie. Au sortir de ces deux ans de « placement », les trajectoires varient : parfois l’écrivain et artiste peut retourner dans son pays d’origine, si les conditions de sécurité le lui permettent, d’autres fois, il est relocalisé dans une autre ville-refuge membre du réseau ou intégré à d’autres programmes pour les personnalités en exil, menés par des organisations partenaires, mais le plus souvent, l’auteur(e) s’intègre bien et peut rester dans la première ville où il ou elle a été placé(e) en premier lieu.
A ce jour, la ville de Prague s’est d’ores et déjà engagée à accueillir un artiste, qui devrait arriver d’ici la fin de l’année et qui sera choisi à partir d’une liste de candidats soumise par l’organisation ICORN. Une personne qui pourrait arriver de n’importe quelle zone géographique de la planète, comme le relève Helge Lunde :
« En ce moment, le monde n'est pas un endroit très facile à vivre pour les personnes dont l’esprit est libre. Il peut s’agir de pays du Moyen-Orient, comme le Yémen, la Syrie, et bien sûr la Palestine, si nous parvenons à en faire sortir des gens. Et puis, bien sûr, l’Iran, l’Irak, mais aussi de nombreux pays africains, l’Amérique latine, et même des pays d’Europe, comme le Belarus et la Russie. Il y a beaucoup de pays où les écrivains et les artistes ont de gros problèmes s’ils veulent dire exactement ce qu'ils pensent. »
Parmi les dizaines de villes qui ont rejoint le réseau ICORN depuis 2006, outre Paris et désormais Prague, on compte notamment la capitale slovaque Bratislava, mais aussi Berlin, Copenhague, Helsinki, Cracovie, Ljubljana, Oslo, ou Pittsburgh. Des centaines d’écrivains et artistes ont ainsi pu bénéficier d’un accueil digne de ce nom, parmi lesquels Svetlana Alexievitch, Sepideh Jodeyri et Asli Erdogan.