La double peine des anciens dissidents privés d’une pension de retraite complète
Ancien signataire de la Charte 77, Jiří Gruntorád a annoncé vendredi entamer une grève de la faim pour dénoncer les faibles pensions de retraite des dissidents d’avant 1989. Son appel semble avoir trouvé un écho puisque le ministre du Travail a fait savoir qu’il allait se pencher sur ce problème.
C’est symboliquement le jour anniversaire de la révolution de Velours, le 17 novembre, que Jiří Gruntorád, 71 ans, a installé sa tente devant le bâtiment du gouvernement tchèque, et a annoncé via une lettre ouverte qu’il entamait une grève de la faim tout en exigeant la démission du ministre du Travail et des Affaires sociales, Marian Jurečka (KDU-ČSL). Fondateur de la bibliothèque Libri Prohibiti qui rassemble la littérature d’exil et en samizdat, emprisonné deux fois sous le régime communiste, Jiří Gruntorád a été rejoint, dimanche, par un autre ancien chartiste, John Bok.
Dans sa lettre ouverte, Jiří Gruntorád en appelle au ministre à tenir sa promesse de s’occuper de la question des très faibles pensions des anciens dissidents tchèques. En effet, en mai dernier, Marian Jurečka avait fait savoir que son ministère allait s’atteler à ce problème, jamais vraiment réglé alors que 34 ans se sont écoulés depuis la chute du régime communiste.
Depuis les années 1990, l’État tchèque a indemnisé d’importants groupes de victimes de la répression de l’après-guerre. Les anciens prisonniers politiques, les membres des bataillons techniques auxiliaires (les Barons noirs ou Černí baroni en tchèque), les personnes déportées au goulag en URSS après la guerre, les victimes de l’invasion de 1968, et même les étudiants expulsés des universités pour des raisons politiques entre 1948 et 1956 ont reçu une compensation financière. Une loi prévue à cet effet accorde également aux opposants reconnus du régime communiste une allocation de 100 000 CZK et l’ajustement des pensions au niveau moyen. Mais tous ne sont pas concernés.
Les faibles pensions des opposants au régime communiste sont souvent dues à des années passées en prison, à une émigration forcée ou à une impossibilité de travailler dans leur domaine, autant de raisons expliquant leurs faibles cotisations, mais sans qu’ils en soient directement responsables. En outre, comme le rappelle Miroslav Kroupa, fondateur de l’organisation Paměť národa (Mémoire de la nation), ces opposants n’ont souvent même pas de biens leur assurant une sécurité minimale pour leurs vieux jours :
« Le régime communiste à marginalisé ces personnes, tant au niveau social qu’économique. Ces gens n’avaient pas la possibilité d’acquérir des biens et après 1989, ceux qui avaient eu des biens confisqués et qui ont pu bénéficier d’une restitution, les ont souvent récupérés en ruines. »
C’est à travers le cas du musicien Karel Charlie Soukup, condamné à six mois de prison dans les années 1970 puis forcé par les agents de la StB à émigrer dans le cadre de l’opération Asanace, que s’est cristallisée la question des pensions de retraite. Comme le rappelait via son compte X/Twitter, le journaliste Marek Švehla, de l’hebdomadaire Respekt, ce dernier s’est vu signifier une pension mensuelle de 2 855 Kč (116 euros).
La loi permet actuellement aux particuliers de faire appel d’une faible pension en demandant un assouplissement de la loi, qui est évalué au cas par cas par la sécurité sociale tchèque (ČSSZ). Une exception qui n’a pas été reconnue dans le cas de Charlie Soukup. Le ministre du Travail a estimé que son cas était particulier et qu’il devrait pouvoir bénéficier par ailleurs d’une retraite australienne où il a vécu un certain nombre d’années. Or celui-ci, après une émigration en France, en 1982, a certes déménagé en Australie en 1988 mais après son divorce en 1992, le musicien y a vécu en quasi ermite et en retrait de la vie citadine jusqu’à son retour au pays.
En tout état de cause, le problème reste assez sérieux pour qu’il fasse consensus tant au sein de la coalition gouvernementale que dans les rangs de l’opposition, tous d’accord pour dire que la situation était une « honte ».
Et ce d’autant que nombre d’anciens opposants rappellent que des ex-fonctionnaires communistes touchent actuellement leurs pensions de retraite complètes, y compris lorsqu’ils ont travaillé pour la Sécurité d’Etat (StB), ce même service de la police chargé de surveiller ces dissidents.