Valorisation des retraites des opposants à l'ancien régime communiste : jamais trop tard pour bien faire

Comment s'acquitter le plus dignement et le plus justement possible des injustices du passé ? Alors que les Tchèques commémoreront, ce dimanche 17 novembre, le 35e anniversaire de la révolution de velours, le ministre du Travail et des Affaires sociales a annoncé, lundi, que 430 anciens opposants à l’ancien régime communiste tchécoslovaque avaient bénéficié, cette année, d’une valorisation de leurs pensions de retraite pour compenser les injustices dont ils ont été les victimes avant 1989. Inversement, 177 anciens responsables communistes ont vu leurs pensions réduites.

Il y a un an, le 17 novembre 2023, jour de fête nationale en Tchéquie, à l’occasion de la commémoration du 34e anniversaire de la tenue de la première des manifestations qui avaient abouti à la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie, Jiří Gruntorád, ancien signataire de la Charte 77 emprisonné à deux reprises, avait entamé une grève de la faim devant le siège du gouvernement.

Le jeûne de protestation de cet homme âgé aujourd’hui de 72 ans, dont la tente de fortune était restée installée pendant plusieurs jours devant le siège du gouvernement et qui avait été vite rejoint par un ami de longue date, visait à dénoncer le faible niveau des pensions de retraite que percevaient les anciens dissidents qui, avant la révolution en 1989, avaient souffert des mesures de répression appliquées par le régime communiste.

Un appel à l’aide et la dignité qui avait alors été largement relayé par les médias tchèques et qui avait contraint le ministère du Travail et des Affaires sociales à s’intéresser de plus près à la question. Et qui, surtout, a finalement abouti à l’adoption, quelques semaines plus tard, par le gouvernement, d’un amendement permettant de valoriser les pensions de retraite des anciens dissidents afin de porter leur montant à un niveau identique à celui de la moyenne nationale. Et ce, quel que soit le nombre d’années de cotisation des personnes concernées, à savoir celles bénéficiant du statut de « résistant au régime communiste ».

Lundi, soit donc près d’un an plus tard, et alors que les Tchèques célèbreront donc dans quelques jours le 35e anniversaire de la révolution de velours, le ministre du Travail et des Affaires sociales, le chrétien-démocrate Marian Jurečka, a annoncé que, depuis le début de cette année, les pensions de retraite de 430 de ces opposants à l’ancien régime avaient été augmentées en moyenne de 4 400 couronnes (environ 170 euros).

Marian Jurečka et Ladislav Kudrna | Photo: Ministère du Travail et des Affaires sociales

« Je considère cela comme un point final symbolique, trente-cinq ans après les événements de novembre 1989. Dans la mesure de ce qui peut encore être fait aujourd’hui, il s’agit d’une réparation symbolique qui permet de mieux accepter le passé et certains des torts qui ont alors été commis. »

Inversement, depuis mars dernier, plusieurs anciens fonctionnaires ou responsables du régime communiste ont vu le montant de leurs pensions réduit en moyenne de 1 473 couronnes (58 euros) par mois. Selon le ministre, toujours dans l’idée de « réparer » les injustices du passé :

« L’Administration tchèque de la sécurité sociale (ČSSZ) a décidé de réduire le montant des pensions de retraite de 177 personnes. Initialement, ce sont quelque 200 personnes qui auraient dû être concernées par cette mesure, mais certaines d’entre elles sont décédées entre-temps et pour d’autres, le montant de leur nouvelle pension, si celui-ci avait été réduit, n’aurait pas atteint le niveau minimal qui, selon la loi, doit être maintenu. Le montant moyen des pensions de retraite de ces personnes reste donc le même, à savoir 24 254 couronnes par mois (un peu moins de 1 000 euros). »

Si les anciens dissidents perçoivent de faibles pensions, c’est souvent parce qu’ils ont été emprisonnés, poussées à l’émigration par la police politique ou contraints d’occuper des emplois peu qualifiés qui, pour beaucoup d’entre eux, ne correspondaient pas à leur niveau d’études ou de formation professionnelle.

Ladislav Kudrna | Photo: Kateřina Cibulka,  ČRo

Dans un entretien accordé lundi à la Radio tchèque, Ladislav Kudrna, directeur de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires, s’est félicité de l’application de ces mesures, et ce, bien qu’il ait fallu attendre près de trente-cinq ans pour leur adoption. Toutefois, toujours selon lui, au-delà encore de l’aspect financier, bien que celui-ci ne soit pas négligeable pour un certain nombre de retraités tchèques, ces mesures de valorisation et dévalorisation ont aussi un effet moral très important :

« Bien sûr que cela arrive trop tard, mais mieux vaut tard que jamais et je crois même qu’il n’est jamais trop tard pour faire régner la justice. J’aime à répéter que le passé est toujours devant nous, qu’il existe certaines valeurs qu’il est impossible de mesurer en argent, et c’est pourquoi il faut aussi remercier tous mes collègues de l’Institut qui ont accompli un travail remarquable tant dans le domaine de l’égalisation des pensions que dans celui de la réduction des pensions des anciens fonctionnaires du régime communiste. »

Congrès du Parti communiste tchécoslovaque | Photo: e-Sbírky,  Musée national,  CC BY-NC-ND 4.0 DEED

Par ailleurs, Ladislav Kudrna a précisé que l’Institut travaillait actuellement à l’élaboration d’un projet de loi qui devrait être présenté au début de l’année prochaine et qui vise à réduire les pensions de retraite également de toutes les personnes qui, dans différents départements et commissions, à l’échelle nationale ou régionale, ont participé à la direction de l’ancien parti communiste tchécoslovaque. Une mesure qui, selon lui, concernerait environ 2 500 personnes supplémentaires.