Prague - Jerusalem

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2005 sera une année décisive pour la réalisation de la paix au Proche-Orient. Prague a d'ailleurs exprimé le souhait que l'UE et l'OTAN soient plus présentes dans la résolution du conflit israélo-palestinien. Dans ce dossier délicat, la République tchèque a elle-même son rôle à jouer, tant ses relations avec l'Etat hébreu paraissent solides. Retour sur les liens méconnus entre le coeur de l'Europe centrale et les bords du Croissant fertile.

En 1967, en pleine guerre des Six Jours, Ladislav Mnacko, intellectuel slovaque, se rend à Tel-Aviv pour se désolidariser de la politique officielle tchécoslovaque, alignée sur celle de l'URSS. Lors de son discours à la Knesset, il évoque le droit d'un petit pays entouré d'ennemis à la légitime défense et compare Israël à la Tchécoslovaquie en 1938. L'ambassadeur tchèque en Israël, Michael Zantovsky, s'en est-il souvenu lorsque, en mai 2004, il expliquait de la même manière la compréhension des positions israéliennes par la République tchèque ?

Au-delà de la phrase, un lien, souvent méconnu, semble bien lier les deux pays. Peut-être est-ce parce que les juifs, formant à Prague l'une des premières communautés d'Europe, ont souvent trouvé refuge en terres tchèques. Plus proche de nous est resté vif, dans la mémoire des juifs tchèques, la Ière République de Masaryk, modèle unique, en Europe centrale, de protection des minorités.

Comment, dès lors, s'étonner de l'existence d'un kibboutz Masaryk en Israël ? Situé près de Haïfa et composé aujourd'hui de 580 habitants, ce kibboutz fut créé en 1933. Tout commence en Lituanie. En 1932, des groupes du mouvement socialiste et sioniste Hashomer-Hatzaïr décident de s'installer en Palestine, alors sous mandat britannique. Un sérieux problème fait obstacle à leur projet : le nombre de femmes dépasse largement celui des hommes. Ils décident alors d'intégrer à leur équipe un groupe de juifs tchèques dont les hommes, cette fois-ci, sont en surnombre. En février 1933, ils fondent un kibboutz qu'ils baptisent Tcéco-Lita, un nom provisoire. C'est en 1940, alors que les prémisses de la Shoah sont déjà visibles en Europe, qu'ils adoptent le nom de kibboutz "Kfar Masaryk". Un hommage éloquent à l'humaniste mais aussi à leur propre vie de citoyens tchèques sous la Ière République.

Le kibboutz Kfar Masaryk en 1950,  photo: www.kfar-masaryk.org.il
Le régime communiste, qui prend le pouvoir en 1948, inaugure, pour les 40 ans à venir, une diplomatie alignée sur celle de l'URSS et totalement étrangère aux traditions tchèques. Parmi ses composantes, un antisionisme virulent, alimenté par un antisémitisme d'Etat.

Mais en 1947, un an avant le coup de Prague, la Tchécoslovaquie s'illustre dans sa solidarité avec les juifs sortis de la Shoah. En 1947, l'ONU décide le plan de partage de la Palestine entre un Etat juif et un Etat arabe. Regroupés au sein de la Ligue arabe, ses voisins décident d'attaquer l'Etat hébreu. Alors que ce dernier ne dispose que d'un matériel rudimentaire, ses adversaires alignent avions, chars et artillerie. En 1947, les Israéliens reçoivent de la Tchécoslovaquie des armes lourdes, débarquées de nuit. C'est cette aide déterminante qui permettra aux Israéliens de prendre la contre-offensive et de gagner la guerre. D'après Michael Zantovsky, de nombreux Israéliens n'ont pas oublié le rôle de la Tchécoslovaquie dans la fondation de l'Etat d'Israël. Cet épisode expliquerait en grande partie les bonnes relations entre les deux pays depuis la chute du communisme.

En 1947, l'URSS espérait encore faire de l'Etat hébreu un pays d'influence soviétique. Il est vrai que de nombreux sionistes se recrutaient alors parmi les rangs communistes. En outre, le kibboutz, modèle communautaire fondé sur le travail et l'égalité de ses membres, entrait en concordance avec l'idéologie socialiste.

Lors d'un récent article, le quotidien israélien Haaretz illustrait avec éloquence l'attachement profond à l'URSS parmi certains Israéliens. Il partait des découvertes de lettres envoyées, en 1951, à un village soviétique par les élèves d'un kibboutz. A l'origine de cette initiative, l'instituteur du kibboutz, qui écrivait alors : « Nous sommes l'un des plus vieux kibboutz en Israël. Nous suivons la Russie sur presque tous les points, mais notre gouvernement préfère se tourner vers l'Amérique. »

Stalin
Et pour cause, lorsque Staline comprend qu'il ne pourra pas étendre sa sphère d'influence à l'Etat hébreu, il rompt les liens diplomatiques avec Tel-Aviv. La rupture était de toute façon présente dès le début des années 50, lors des grandes épurations. L'atmosphère d'antisémitisme qui imprègne les procès de Moscou rejaillit sur ceux qui frappent bientôt la Tchécoslovaquie. Et réoriente résolument les options politiques des kibboutzniks.

Parmi les accusés du procès Slansky en 1952, figure Mordechaï Oren, un dirigeant d'Hachomer Hatzaïr, qui avait coordonné, avec les dirigeants tchèques, l'aide militaire à Israël en 1947. Sa présence aux procès contribue à diviser les kibboutz entre prosoviétiques et les autres, qui commencent à repenser leur engagement. A terme, le procès Slansky sera le moteur de la déstalinisation des kibboutz, dès avant 1956 et le XXe Congrès du PCUS.

La République tchèque a exprimé récemment le souhait d'être plus active au Proche-Orient. Yasser, lui-même, avait engagé la République tchèque à utiliser ses bonnes relations avec Israël pour pousser celle-ci à plus de concessions. Dans le cadre de l'élaboration d'une politique commune sur le Proche-Orient, l'Union Européenne a en tout cas tout à gagner à utiliser l'expérience tchèque.