Première étude de sociologues tchèques sur les enjeux de la garde alternée

Photo illustrative: mohamed_hassan / Pixabay, CC0

Film bouleversant de Xavier Legrand sur « la destruction d’une famille par l’un des siens », comme l’a si pertinemment résumé Le Monde, « Jusqu’à la garde » a remporté de nombreux prix, dont celui du festival pragois Febiofest en 2018. En République tchèque aussi, le mode de garde des enfants après le divorce suscite de vifs débats. Les parents tchèques sont de plus en plus nombreux à opter pour la résidence alternée des enfants. Un phénomène encore relativement nouveau dans le pays, qui a fait l’objet de la première étude tchèque du genre par des sociologues de l’Université Masaryk de Brno.

Photo illustrative: mohamed_hassan / Pixabay,  CC0
« Avec mon ex-mari, nous avons choisi la garde partagée, c’était l’unique solution sur laquelle nous étions capables de nous mettre d’accord. J’ai donc la garde de notre enfant une semaine sur deux », explique Jana, une infirmière pragoise de 38 ans. Elle évoque aussitôt un des désavantages de ce dispositif :

« J’ai déménagé un peu plus loin de l’école que fréquente notre fille, et du coup, tout est assez compliqué à organiser lorsqu’elle a deux résidences : les trajets, le suivi des devoirs, ses loisirs, les rendez-vous chez le médecin… Mais ça va encore, notre fille n’a pas dû changer d’école. Je connais des cas où les enfants fréquentent deux écoles en même temps, c’est assez schizophrène… »

Légalisée en République tchèque depuis 1998, la garde alternée n’est réellement appliquée que depuis dix ans. Actuellement, elle est accordée par le juge dans 16% des cas de divorce. Environ 45 000 enfants tchèques ont déjà été concernés par cette mesure. Néanmoins, ces chiffres publiés par le ministère de la Justice ne sont qu’approximatifs, comme l’explique le sociologue Petr Fučík :

« En ce qui concerne les séparations de couples vivant en union libre, les statistiques du ministère ne contiennent que les jugements rendus en cas de séparation conflictuelle. Lorsque les partenaires parviennent eux-mêmes à un consensus au sujet de la garde des enfants, ils échappent aux statistiques. Celles-ci sont donc assez imprécises, d’autant plus que le nombre de couples non mariés augmente constamment. »

Petr Fučík,  photo: Archives de l’Université Masaryk
Petr Fučík et son équipe de l’Institut des études démographiques de l’Université Masaryk élaborent, depuis plusieurs mois, une première étude sur la garde alternée, un dispositif juridique et un mode de vie encore peu explorés en République tchèque. Voilà pourquoi il attire, selon Petr Fučík, l’attention des sociologues :

« Ce phénomène me semble intéressant car il est révélateur de l’évolution de la vie familiale dans notre milieu culturel au cours des dernières décennies, peut-être même au cours du siècle. D’une part, la garde alternée accentue la prise de décision individuelle (la décision de prendre son destin en main, favorisée par notre société et qui rend le divorce largement acceptable), et d’autre part, elle renforce la valeur de l’enfance, l’intérêt pour le développement et l’éducation de l’enfant. La garde alternée crée une certaine tension entre ces deux tendances, qui se retrouvent alors en légère contradiction. »

« La garde alternée est une solution nouvelle, basée sur le fait que même si les partenaires se séparent, ils restent tous les deux parents, ce lien est indissoluble. Il y a cent ou cent-cinquante ans de cela, les tribunaux ne voyaient pas les choses sous cette optique. Ce qui était primordial, c’était la question du sacrement du mariage, de l’annulation de la promesse donnée devant Dieu. La liaison entre l’homme et la femme était plus importante que la prise en charge des enfants. »

Photo illustrative: Archives de Radio Prague
L’étude des chercheurs de Brno est divisée en plusieurs étapes. Premièrement, ils se sont tournés vers le public pour apprendre que pour environ 40% des personnes sondées, la garde alternée était la meilleure solution après une rupture, tandis que 60% des personnes interrogées préféreraient confier la garde à l’un des parents, le plus souvent à la mère.

Mais au cœur de cette étude complexe se trouvent les entretiens qualitatifs avec des parents séparés, des acteurs institutionnels, à savoir juges, avocats, travailleurs sociaux et psychologues, ainsi qu’avec de jeunes adultes ayant vécu l’expérience de la garde alternée.

Les entretiens avec une soixantaine de parents étant terminés, les auteurs de l’étude en ont tiré les premières conclusions. Petr Fučík :

« Les résultats préalables peuvent être surprenants dans la mesure où ils cassent certains préjugés. Ce qui est le plus difficile avec la garde alternée, ce n’est apparemment pas le changement de domicile, ces va-et-vient perpétuels d’un parent à l’autre. Il se révèle comme très important que les parents gardent une certaine continuité en ce qui concerne l’éducation des enfants. Ce qui est décisif, c’est l’état de leur relation, leur capacité à s’entendre. En fait, tout dépend de l’intensité du conflit entre les ex-partenaires. Ce qui nous intéresse en qualité de sociologues, ce sont les facteurs qui alimentent ce conflit : la perception des rôles des hommes et des femmes, la perception du divorce, les attentes des autres, le rôle que jouent les institutions dans la procédure du divorce… »

L’étude des sociologues de Brno, qui se poursuivra encore pendant plusieurs mois, a pour l’instant démontré que le partage de la garde divisait les parents qui l’ont adoptée : vécue souvent comme « un enfer » par les femmes, auxquelles les tribunaux tchèques confient la garde dans 80% des cas de divorce, la résidence alternée constitue une solution juste pour la majorité des pères. Reste à savoir quelle est l’opinion des enfants, les premiers concernés.