Presse : doit-on exclure les auteurs russes des scènes de théâtre tchèques ?
Cette nouvelle revue de la presse se penche sur le débat autour de la présence d’auteurs russes et de leurs ouvrages sur les scènes de théâtre locales. L’inertie liée au choix de candidats présidentiels et les nouvelles priorités pour la présidence tchèque de l’UE sont deux autres sujets traités. Il y sera également question de l’apport de ressortissants étrangers pour la Tchéquie et du nouveau regard que les Tchèques sont désormais appelés à porter sur les Ukrainiens qui y vivent et travaillent.
Le Théâtre National de Prague a mis un coup d’arrêt aux préparatifs de l’opéra peu connu du compositeur russe Piotr Ilitch Tchaïkovski, Les Souliers de la reine, inspiré par un conte de Gogol et dont l’histoire se déroule à la campagne ukrainienne et à la cour du tsar à Saint-Pétersbourg. Cette décision prise dans le contexte de l’invasion russe en Ukraine, a provoqué un débat sur la question de la présentation d’œuvres d’auteurs russes sur des scènes tchèques. La réponse, comme l’indique le journal Deník N, est loin d’être univoque et simple. Il cite à ce propos, par exemple, le critique de théâtre reconnu Vladimír Just qui, tout en soutenant le boycott d’artistes pro-Kremlin, estime :
« Je n’ai rien contre la présentation de cet opéra à Prague, à condition bien sûr qu’il soit créé par des artistes tchèques ou étrangers qui ne sont pas liés à Poutine. Il n’y a pas besoin de censurer Gogol et son conte qui est à la base de son livret. Chaque véritable œuvre authentique, comme le savaient tant Socrate que Kundera et Havel, est plus intelligente que son auteur lui-même ».
La critique de théâtre Jana Machalická du journal Lidové noviny partage cet avis, estimant qu’il est difficilement imaginable qu’un petit épisode qui se déroule à la cour de Saint-Pétersbourg puisse mettre en doute qui est aujourd’hui l’agresseur et que c’est l’Ukraine qui est dans son droit. « On ne devrait pas éliminer les classiques russes qui savaient ingénieusement décrire le marasme de leur patrie et tous les profonds recoins de l’âme russe », écrit-elle.
L’historien de la littérature Martin C. Punta, en revanche, toujours pour le jour Deník N, s’est déclaré favorable à la décision du Théâtre National :
« Nous sommes dans une situation exceptionnelle qui met à jour toute la perfidie de l’impérialisme russe. Je comprends donc la décision de reporter la présentation de cet opéra à une autre date car célébrer en ce moment le tsar russe paraît effectivement mal à propos. »
Le journal Deník N rapporte en outre que le Théâtre National continue de présenter d’autres œuvres d’auteurs russes, les ballets comme Le Lac des cygnes, La belle au bois dormant, Casse-noisette ou Roméo et Juliette faisant partie des spectacles les plus fréquentés. Les adaptations des romans L’Idiot de Dostoïevski ou Vassa Zheleznova de Gorki font également partie du répertoire populaire de la première scène de théâtre de Tchéquie.
La guerre en Ukraine éclipse le choix de candidats à l’élection présidentielle
En ce moment, les initiatives en vue de trouver des candidats à l’élection présidentielle de janvier 2023 devraient foisonner. Pourtant, comme le constate le publiciste du quotidien Mladá fronta Dnes, la guerre en Ukraine a relégué cet événement à l’arrière plan :
« Consciente de l’importance de la prochaine élection présidentielle au suffrage universel direct, la coalition gouvernementale, sortie vainqueur des élections législatives de l’automne dernier, entendait trouver très vite un candidat présidentiel commun. Cependant, elle n’y est pas encore parvenue, car la guerre en Ukraine a changé ses priorités. Même si les politiciens tiennent compte de l’approche de l’élection présidentielle, ils n’y accordent que peu d’attention. »
Le commentateur explique que le temps qui reste pour faire émerger des candidats forts est court. Selon lui, c’est au plus tard d’ici la fin de printemps, avant la saison estivale politiquement « morte », que devraient être présentés les candidats pour les faire connaître au public. Il résume :
« A dix mois de l’élection présidentielle tchèque, tout est ouvert. D’un côté, on ne connaît pas le nom du candidat que voudra proposer l’équipe gouvernementale et, d’un autre côté, on ne sait pas si l’ex-Premier ministre Andrej Babiš, aujourd’hui dans l’opposition, qui se présente comme le principal favori, va confirmer sa candidature. En plus, personne ne sait quelle sera la situation en janvier prochain et quelles seront les retombées de la guerre en Ukraine sur le climat en Tchéquie. »
L’Ukraine et les nouvelles priorités pour la présidence tchèque de l’UE
« Poutine a modifié les ambitions de la présidence tchèque de l’Union euroopéenne », observe l’auteur d’un commentaire publié dans le quotidien Hospodářské noviny. :
« L’histoire se répète. En 2009, Poutine a redessiné les priorités de la première présidence tchèque de l’UE en provoquant, au début du mois de janvier, une crise du gaz. La même chose se reproduira au deuxième semestre de l’année lors de cette deuxième présidence, en raison de l’agression russe en Ukraine. La Tchéquie a devant elle une Europe en guerre, une guerre réelle ou froide qui demandera des sacrifices économiques. Elle va être confrontée à la plus grande vague migratoire depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. »
Le slogan de la présidence tchèque, la sécurité, la résistance et la solidarité, s’avère alors évident. De ce se fait, comme le souligne le commentateur, la deuxième présidence tchèque sera plus difficile que la première :
« L’Europe exigera beaucoup de travail de fourmis. Il faudra que l’Europe devienne plus apte à se défendre toute seule, ceci non seulement physiquement mais aussi dans le domaine informatique. La solidarité, quant à elle, est un sujet plus large que l’aide accordée aux réfugiés ukrainiens, aussi généreuse et admirable soit-elle. Une Europe sûre qui ne dépendra pas du gaz russe doit être en même temps une Europe solidaire prête à aider ceux qui seront les plus touchés. »
En conclusion, le commentateur remarque :
« Le rapport d’une grande partie des Tchèques à l’égard de l’Europe était jusqu’ici plutôt tiède. Toutefois, les dernières semaines ont mis clairement en relief l’importance de l’appartenance européenne du pays. Toutes les autres possibilités auraient été bien pires pour la Tchéquie. »
Pour une Tchéquie plus diverse
Le nombre d’habitants est à la hausse en Tchéquie. En 2021, il a augmenté de 21 000 par rapport à l’année précédente. Selon le site aktualne.cz, cette évolution est le fruit de l’arrivée dans le pays de ressortissants étrangers, car durant cette même période, le pays a connu un des plus important taux de mortalité causé notamment par la pandémie de coronavirus :
« Tout comme précédemment, c’est aux ressortissants ukrainiens suivis de ceux venus de Russie et de Slovaquie, en troisième position, que revient le mérite de cette tendance. Une tendance que la guerre en Ukraine va encore accentuer. Lorsque le conflit sera terminé, une partie des quelque 300 000 réfugiés ukraniens venus à ce jour en Tchéquie, voudront probablement s’y installer. La proximité géographique, culturelle et linguistique favorise un tel scénario. »
« Tout ceci peut conduire à une société locale plus diverse et, notamment, à une plus grande ouverture des Tchèques », signale le commentateur. Et de rappeler qu’après la chute du régime communiste, la Tchéquie était un pays assez refermé sur lui-même et hostile au multi-culturalisme.
Les Tchèques appelés à porter un nouveau regard sur les Ukrainiens
« Durant les dernières semaines, les Tchèques ont fait preuve d’une solidarité admirable tant avec la lutte des Ukrainiens contre l’agresseur russe qu’avec les réfugiés ukrainiens », observe un chroniqueur du magazine Reflex. Cela ne l’empêche pas d’estimer que « les mauvais esprits d’un passé récent vont de nouveau émerger. » Il explique : « Il y a quelques mois seulement, beaucoup de Tchèques regardaient les Ukrainiens avec un certain dédain, notamment ceux qui vivent et travaillent en Tchéquie. Et ce en dépit du fait que ces ressortissants étrangers mènent une vie assez modeste et travaillent dans des domaines que les Tchèques évitent. Il y a pourtant des Tchèques qui croient que les ressortissants ukrainiens leur volent leur travail. »
« Jusqu’à quand notre solidarité et notre volonté d’aider va-t-elle perdurer ? Quand verra-t-on se réveiller l’hostilité préconçue à l’égard des Ukrainiens qui vivent chez nous ? Dans une semaine ? Dans un ou deux mois ? », s’interroge le chroniqueur de Reflex avant d’exprimer la crainte qu’ « un tsunami de reproches et de critiques à l’égard des Ukraniens n’approche lentement de la Tchéquie. »