Presse : quand les extrémistes font descendre plus de gens dans la rue que les syndicats

La manifestation organisée par les syndicats sur la place Venceslas

Les manifestations de protestation organisées par les extrémistes attirent plus que celles lancées par les syndicats. Une explication à ce sujet dans cette nouvelle revue de la presse. Au menu également, un point sur les différentes facettes de la menace russe pour la Tchéquie, l’élection présidentielle en Autriche et son éventuelle inspiration pour la Tchéquie. Il sera également question de la plainte portée par le cardinal Dominik Duka contre deux créations théâtrales jugées blasphématoires et le verdict prononcé à cet égard par la Cour constitutionnelle. Quelques remarques enfin concernant le Prix Nobel de littérature pour l’écrivaine française Annie Ernaux. 

« La débâcle de la manifestation organisée par les syndicats qui s’est tenue la semaine dernière à Prague est une mauvaise nouvelle », constate l’auteur d’un texte publié dans une récente édition du quotidien économique Hospodářské noviny. Il explique pourquoi :

« La manifestation qui se voulait puissante n’a vu venir sur la place Venceslas à Prague que quelques milliers de personnes, tandis que celle organisée précédemment au même endroit par des extrémistes en avait réuni des dizaines de milliers. Cela prouve que les gens mécontents n’entendent plus protester contre le gouvernement sous le drapeau des syndicats qui, en tant que partie inséparable du système du capitalisme démocratique, sont à leurs yeux peu radicaux. Ils préfèrent se référer à des forces et à des éléments qui souhaitent détruire le système existant. Ils semblent être prêts à y parvenir même au prix du soutien de la Russie de Poutine à laquelle ils expriment plus ou moins ouvertement leurs sympathies ».

Aujourd’hui, comme l’observe le commentateur du journal, les forces ‘anti-systèmes’ connaissent un épanouissement plus marquant que jamais :

« La responsabilité de ce malheur ne revient pas seulement à la mauvaise situation économique et aux démarches peu convaincantes du gouvernement. Un certain rôle incombe au discours tenu par l’ex-Premier ministre Andrej Babiš et à ses critiques à l’égard des mécanismes démocratiques. Tout ceci a préparé le terrain à des protestations anti-systèmes dont il est aujourd’hui peut-être lui-même la cible. »

La Tchéquie face à la menace russe aux multiples facettes

« La guerre est un duel des volontés. Pendant longtemps, nous avons sous-estimé la menace russe, mais c’est désormais fini ». Tel est le titre d’un texte qui a été publié dans l’hebdomadaire Respekt dans lequel son auteur revient sur un séminaire qui s'est tenu à Prague en présence de chefs des services de renseignement et d’experts sécuritaires locaux. Un titre qui, selon son auteur, est un peu pathétique mais qui saisit bien le climat et le contenu des interventions et des analyses présentées, ainsi que la détermination et la responsabilité en rapport avec la défense du pays :

Source: Elena Mozhvilo,  Unsplash

« Le message du séminaire est univoque. Tous les interlocuteurs ont déclaré leur volonté ferme de se défendre face à la menace russe qui a de multiples facettes. D’ordre militaire et cybernétique, elle se manifeste également par la circulation de l’argent sale depuis la Russie par la Tchéquie, les investissements russes en Tchéquie, la désinformation, la cinquième colonne des sympathisants prorusses, le risque d’actes terroristes sur notre territoire. »

« La menace russe est présente dans le pays depuis son ouverture, dans les années 1990, aux fournisseurs russes d’armes pour l’armée tchèque et aux groupes énergétiques russes. Pourtant, cette menace n’a jamais été aussi grande et aussi diverse qu’aujourd’hui », peut-on également lire dans l’hebdomadaire Respekt qui, en conclusion, avertit :

« Pendant près d’une trentaine d’années, on a sous-estimé la menace russe. Si on continue à se conduire de la sorte, on aura à le payer très cher ».

L’Autriche et la Tchéquie : deux regards sur la fonction présidentielle

« Les Autrichiens ne considèrent pas le mandat présidentiel avec la dévotion que les Tchèques sont habitués à lier à un chef d’Etat. Pour eux, c’est l’aspect politique qui est décisif ». C’est ce que l’on peut lire dans un texte mis en ligne sur le site aktualne.cz qui compare la perception de cette fonction en Tchéquie et dans le pays alpin voisin :

Alexander van der Bellen | Photo: Martin Juen,  ČTK/imago stock&people

« Alexander van der Bellen, le président autrichien reconduit, n’est pas une figure dotée d’une pensée percutante, d’un discours envoûtant ou d’une morale exemplaire. La société autrichienne n’attend de lui ni plus ni moins que de la crédibilité et une expérience politique. Représentant la garantie de bons vieux temps politiques, il est pris pour un politicien qui respecte la démocratie, l’ordre juridique et l’humanisme. Une figure qui, en même temps, n’ignore pas les tendances et les problèmes actuels ».

En Autriche et en Tchéquie, les présidents sont élus au suffrage universel direct, leurs rôles étant prioritairement protocolaires et représentatifs « mais », comme le remarque l’éditorialiste, « les électeurs dans les deux pays les voient différemment, malgré leur passé monarchiste commun » :

« Tandis que les Autrichiens optent pour un président correct, les Tchèques semblent rêver de quelqu’un qui soit à la fois un monarque, un politicien mondialement reconnu et une célébrité globale. A près de trois mois de l’élection présidentielle tchèque, une inspiration par l’exemple autrichien serait ainsi bien à propos ».

La plainte contre les créations d’Olivers Frljic en Tchéquie rejetée

La Cour constitutionnelle a rejeté la plainte déposée par le cardinal Dominik Duka contre les théâtres qui avaient présenté en 2018, dans le cadre du festival Le Monde de théâtre Brno, les créations La Malédiction et Notre violence, votre violence du dramaturge croate Oliver Frljic. Des créations volontairement provocatrices et jugées par leurs opposants comme blasphématoires. Pour ces derniers, rappelons-le, c’est une scène où le personnage de Jésus, nu et couronné d’épines, viole une femme musulmane qui posait problème. Le verdict prononcé a permis au chroniqueur de la page culturelle de l’hebdomadaire Respekt de souligner que « la liberté de la création artistique et la liberté d’expression persistent toujours en Tchéquie » et d’ajouter :

'La Malédiction et Notre violence' | Photo: Le Monde de théâtre Brno,  Mladinsko Gledališče/Divadelní svět

« En dépit des tendances conservatrices qui montent en puissance, on peut dire que la Tchéquie demeure un pays où, à la différence de l’Iran, de l’Afghanistan ou de la Russie, les créateurs peuvent dire, écrire, exposer ou jouer ce qu'ils veulent. A condition bien sûr de ne pas violer la loi sur l’interdiction de la diffamation en raison de l’origine, de la race, de l’ethnie ou de la négation de l’Holocauste. La Tchéquie demeure en même temps un pays où personne n’est contraint d'aller voir un tel spectacle ».

Le journaliste du magazine rapporte que cette affaire sera achevée de façon symbolique en novembre par une nouvelle création du théâtre Husa na Provázku, un des deux théâtres concernés, qui en évoquera certains motifs clés.

Annie Ernaux, l’écrivaine que les lecteurs tchèques apprennent à connaître

« Une nouvelle fois, le Prix Nobel de littérature a surpris ». C’est ainsi que le quotidien Lidové noviny a commenté la nobélisation de l’écrivaine française Annie Ernaux, la cinquième femme, après Munroo, Alexievitch, Tokarczuk et Glück, à avoir obtenu durant la dernière décennie cette haute distinction. Présentant une brève biographie de la nouvelle lauréate, il a également écrit :

Annie Ernaux | Photo: Michel Euler,  ČTK/AP

« Prioritairement autobiographique, l’œuvre d’Annie Ernaux présente un mélange de belles lettres, d’essais littéraires et de sociologie. Elle est proche d’Edouard Louis, la grande star de la littérature française actuelle. Le roman Les années constitue une synthèse de sa création littéraire, dans lequel le collectif se marie avec l’individuel, les différents moments de l’histoire de la France alternant avec le bilan personnel de la vie d’une femme. Une lecture qui sied parfaitement aux temps agités que nous vivons. »

Le chroniqueur du site Aktualne.cz remarque pour sa part qu'Annie Ernaux est « l’une des écrivaines françaises les plus remarquables ». Mais le public tchèque, comme il le constate, ne connaît qu’une faible partie de son œuvre :

« Il n’y a que La femme gelée et La place, traduites et publiées en 1995, que les lecteurs tchèques ont pu à ce jour connaître de l’œuvre de l’écrivaine française. On peut donc saluer la toute récente parution aux éditions Host de Brno de l’ouvrage Les Années en traduction tchèque. D’autant plus que, par un heureux concours de circonstances, elle arrive en même temps, ou presque, que la nobélisation de son auteure. »

Le site aktualne.cz indique que Prague a eu l’occasion d’accueillir Annie Ernaux en personne à plusieurs reprises déjà. C’est à quelques mois de la chute du régime communiste que l’écrivaine française est venue pour la première fois à Prague pour être par la suite invitée à la foire Le monde du livre.