Quand la Tchéquie retire des statuts - et statues - honorifiques à des personnalités russes

La statue du maréchal Koniev

La mairie de Prague va retirer au maréchal soviétique Ivan Koniev son titre de citoyen d’honneur de la ville. Dans la foulée, la ville de České Budějovice a annoncé avoir fait de même pour l’astronaute russe Valentina Terechkova en raison de son soutien à l’invasion russe de l’Ukraine.

Lorsqu’il y a deux ans, la mairie du VIe arrondissement de Prague déboulonnait la statue du maréchal Ivan Koniev, régulièrement vandalisée, cela pouvait encore apparaître comme une querelle mémorielle mineure circonscrite aux relations bilatérales entre Prague et Moscou. La guerre en Ukraine et l’agression russe contre ce pays soutenu par la Tchéquie ont donné une toute autre dimension à la place accordée à certaines personnalités russes dans la mémoire collective, et dans l’espace public. A contrario, ces dernières années, ce même espace public s’est enrichi de noms nouveaux mettant en valeur des personnalités russes défendant les valeurs de la démocratie.

Aspergée de peinture rouge en août 2019 à l’occasion du 51e anniversaire de l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie, nettoyée par un groupe de personnes, entourée d’un échafaudage et d’une bâche par la mairie du VIe arrondissement afin de la protéger, puis à nouveau découverte par des personnes opposées à ce que la statue soit dissimulée - et enfin déboulonnée en avril 2020, suscitant par là-même la colère de Moscou, la statue de bronze d’Ivan Koniev a fait l’objet d’une controverse majeure entre partisans et opposants quant à son rôle historique, entre ceux qui souhaitaient la voir disparaître purement et simplement et ceux qui voulaient honorer la mémoire du maréchal soviétique.

Mais de quelle mémoire parle-t-on ? C’est bien ce qui est au cœur du problème : alors que Koniev est considéré comme un héros en Russie, de nombreux Tchèques le considèrent comme un personnage symbolisant l’oppression de l’ère soviétique. C'est lui qui a dirigé les troupes de l’Armée rouge qui ont libéré une partie de l’Europe centrale, dont Auschwitz et Prague en 1945. Il a ensuite d’autres faits d’armes moins glorieux à son actif avant sa mort en 1973, comme le rappelait en 2020 sur notre antenne Eduard Stehlík, spécialiste d’histoire militaire :

Le maréchal soviétique Ivan Koniev | Photo: Министерство обороны Российской Федерации/Wikimedia Commons,  CC BY 4.0 DEED

« Après la guerre, il y a bien sûr le problème de la répression très sanglante de l’insurrection hongroise contre le régime communiste. Son nom est aussi associé à la construction du mur de Berlin. En 1968, il est venu en Tchécoslovaquie avant l’occupation. Profitant de l’autorité incontestable dont il disposait ici en tant que libérateur, il a mené une opération de renseignements pour les unités soviétiques avant qu’ils n’occupent le pays. Je comprends donc que toute une série de personnes ne voient par le maréchal Koniev comme une personnalité blanche comme neige. »

Ivan Koniev s’est également distingué en ordonnant le bombardement de Mladá Boleslav le 9 mai 1945 qui a fait près de 500 victimes militaires et civiles. Or, ce maréchal soviétique est devenu citoyen d’honneur de la capitale le 6 juin 1945.

L’octroi de la citoyenneté d’honneur doit être replacé dans le contexte de l’époque, époque qui très vite après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, n'acceptera qu'une seule une interprétation des événements historiques, certains faits étant censurés et dissimulés, comme le rappelle un document de la mairie de Prague actuelle. « Le maréchal Koniev n’était pas un homme d’honneur. Il ne peut donc être un citoyen d’honneur de la ville de Prague, » a relevé lundi le maire de la capitale Zdenek Hřib, via son compte Twitter, justifiant qu’on retire à ce personnage sa distinction.

Valentina Terechkova | Photo: Mikhail Klimentev,  kremlin.ru/Wikimedia Commons,  CC BY 3.0

Dans la foulée de l’annonce de la mairie de Prague, lundi, la ville de České Budějovice a également fait savoir qu’elle retirait sa citoyenneté d’honneur à la première femme à être allée dans l’espace, l’astronaute russe Valentina Terechkova, pour son récent soutien affiché à l’invasion russe de l’Ukraine, en tant que membre de la Douma.

Retirer des statues, des statuts aussi – pour le jeu de mot facile – à des personnalités controversées de l’histoire russe, va toutefois de pair en Tchéquie avec la mise en valeur d’autres figures, représentatives, cette fois, de la lutte en faveur de la démocratie et des droits de l’Homme. En février 2020, avait été inaugurée à Prague la place Boris Nemtsov, nouveau nom donné par la mairie à la place Pod Kaštany située devant l'ambassade russe dans le VIe arrondissement. Cet événement s’était déroulé le 27 février, à l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat de cet opposant au régime de Vladimir Poutine.

Rue des Héros ukrainiens | Photo: René Volfík,  iROZHLAS.cz

Non loin de là, une promenade dans le quartier de Bubeneč avait été également rebaptisée au nom d’Anna Politkovskaïa, en hommage à cette grande journaliste russe assassinée en 2006. Depuis 2012, celle-ci a également une plaque en son honneur à Karlovy Vary, ville thermale où résident de nombreux ressortissants russes et très prisée par les touristes du pays avant les récentes sanctions prises par l’Union européenne. Enfin, début avril, une partie de la rue Korunovační qui longe l’ambassade de Russie a été officiellement renommée « rue des Héros ukrainiens ».