Quand les villes d’eau sentaient le soufre
Avec le mois de juin, le tourisme thermal va, comme chaque année, battre son plein en République tchèque. Karlovy Vary, Mariánské Lázně, des noms qui évoquent d’abord les colonnades et les groupes de curistes. Pourtant, ces villes d’eau ont également eu une histoire chargée, quand elles ne furent pas les points névralgiques des tensions tchéco-allemandes.
Ces populations sont traditionnellement présentes dans les villes d’eau, situées au nord et à l’ouest : Cheb, Mariánské Lázně, Karlovy Vary, Františkovy Lázně, toutes ces villes sont généralement plus connues sous leur nom allemand, pensons, pour ne citer qu’un seul exemple, au film d’Alain Resnais, « L’année dernière à Marienbad. »
La région a laissé des traces dans la culture allemande. A 8 km au sud-ouest de Karlovy Vary, se trouvent les rochers appelés Svatošské skály. L’une des formations rocheuses y représente, par l’un de ces hasards de la nature, une espèce de cortège nuptial comme pétrifié. Ce thème a marqué certains écrivains allemands et on le retrouve chez les frères Grimm, chez Goethe, chez Körner et chez le compositeur Heinrich Marschner, dans son opéra romantique Hans Heiling, basé sur des légendes de Bohême.
C’est sans doute cette proximité culturelle et linguistique – on parle au moins autant allemand que tchèque dans les villes d’eau – qui a attiré de grands noms allemands à Karlovy Vary : Beethoven, Goethe, Schiller, Wagner…Ce sera aussi à Karlovy Vary que se développera le mouvement nazi de Bohême, le SDP, nous reviendrons sur ces initiales. Dans la ville d’eau, se tient, en avril 1938, le Congrès du Parti. Konrad Henlein, son leader, y expose son programme en huit points. Parmi ceux-ci, la création d’un territoire allemand distinct en Tchécoslovaquie, doté de sa propre administration et d’une vision national-socialiste du monde.
Mais Henlein, derrière ces propositions finalement assez prudentes, laisse entrevoir son intention réelle : le rattachement des Sudètes au Reich allemand. C’est ce qui vient de se passer entre l’Allemagne et l’Autriche en mars. Près de sept mois plus tard, ce sera chose faite pour la Tchécoslovaquie... Le SDP aurait également reçu des instructions de Hitler pour faciliter le plan d’invasion de la Tchécoslovaquie, préparé dès avril 1938, soit six mois avant Münich, sous le nom de code Fall Grün.Karlovy Vary fournira également une personnalité importante du régime nazi. Né en 1898, Karl Hermann Frank est un Allemand des Sudètes dont la naissance dans une ville d’eau n’a pas adouci les idées puisqu’il sera secrétaire général du Protectorat de Bohême-Moravie et chef de la police pendant toute la durée de la guerre. Il s’attirera notamment les sympathies d’Heinrich Himmler, chef de la SS, à laquelle Hermann Frank adhère en 1939. Fort de son soutien, il détiendra une bonne partie des pouvoirs réels dans le Protectorat et s’illustrera dans la chasse aux résistants et l’arrestation d’Alois Eliáš. Il organisera également, avec Kurt Daluege, nouveau Reichsprotektor après l’assassinat de Heydrich en 1942, la liquidation du village de Lidice. Hermann Frank sera exécuté en public, à Prague, le 22 mai 1946.
Enfin, c’est dans une autre ville d’eau, Cheb, Eger en allemand, dont les sources ont longtemps alimenté Karlovy Vary, qu’est fondé, en octobre 1933, le Front patriotique des Allemands des Sudètes, dirigé par Henlein. Ce Front deviendra vite le SDP (Sudetendeutsche Partei), le parti des Sudètes allemand, en un mot, le parti nazi tchèque. Le SDP comptera tout de même 400 000 adhérents aux élections de mai 1935 !Il convient ici de nuancer un tableau d’ensemble qui voudrait que tous les Allemands des Sudètes furent des nazis fanatiques. Certes, les villes d’eau et de l’ouest de la Bohême comptaient un nombre plus important qu’ailleurs de sympathisants nazis. Pour autant, on a également vu de nombreux Allemands de Bohême s’engager contre les nazis ou adhérant aux partis social-démocrate ou communiste.
Karlovy Vary, ce n’est donc pas que le Festival international du cinéma et les sources thermales mais également une histoire chargée, celle de moments de crise. Déjà au XIXème siècle, la ville a servi de base de lancement à un mouvement de répression de la monarchie autrichienne. En 1819, la Conférence de Karlsbad, nom allemand de la ville, où sont réunis le chancelier autrichien Metternich et les Etats de la Confédération germanique, signe les décrets du même nom. Ceux-ci officialisent la censure de la presse et la répression des idées libérales et inaugurent une période de chape de plomb pour le pays...