Quelle réponse tchèque face à Riyad après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi ?
Le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, tué dans un consulat de l’Arabie saoudite à Istanbul au début du mois, a suscité l’indignation dans le monde entier. C’est vrai aussi en République tchèque, où l’on s’interroge sur les suites diplomatiques à donner vis-à-vis de Riyad, qui, après avoir affirmé que le journaliste était ressorti vivant du consulat, a reconnu ce weekend qu’il y était bien mort, mais en continuant à nier toute implication.
« Je considère que n’importe quelle attaque à l’encontre d’un journaliste est tout simplement inacceptable et impardonnable. Nous étions d’accord sur ce point avec Heiko [Maas]. A l’heure actuelle, nous rassemblons toutes les informations et nous attendons les conclusions des enquêteurs. Quand ces conclusions seront connues et claires, il faudra adopter une position commune dans le cadre de l’Union européenne et la République tchèque se joindra évidemment à cette démarche. »
Jamal Khashoggi, exilé aux Etats-Unis et chroniqueur régulier du Washington Post, était un critique de la monarchie saoudienne et du prince héritier Mohammed ben Salmane, l’actuel dirigeant du pays. Le 2 octobre dernier, le journaliste est entré dans le consulat saoudien d’Istanbul pour des démarches administratives et n’en est jamais ressorti. Les autorités turques ont rapidement annoncé qu’il y avait été tué par un commando venu spécialement d’Arabie saoudite le jour même, une version d’abord catégoriquement démentie par Riyad, qui affirmait, contre l’évidence, que le journaliste était ressorti vivant du consulat. Samedi, l’Arabie saoudite a changé son histoire et reconnaît désormais que Jamal Khashoggi a bien été tué dans le consulat stambouliote, mais à l’issue d’une dispute qui aurait mal tourné. Les nouvelles déclarations de la pétromonarchie, qui prétend ne pas savoir où se trouve le corps de la victime, n’ont globalement pas du tout convaincu, à l’exception de ses alliés régionaux.
Après le revirement de la diplomatie saoudienne, le ministre Tomáš Petříček a maintenu sa position. Dans un tweet, il parle de « révélations choquantes » et de la nécessité pour l’Union européenne de réagir de façon unie et claire. C’est également la ligne défendue par le Premier ministre Andrej Babiš, qui a dénoncé sans ambiguïté le meurtre du journaliste. Invité de l’émission politique dominicale de la Télévision publique tchèque, Le leader du mouvement ANO s’est en revanche montré beaucoup plus prudent sur les suites possibles à donner à l’affaire :« Nous avons promis à nos entrepreneurs que nous leur ouvririons de nouveaux marchés. 87 % de nos exportations se font vers l’Union européenne. Nous avons donc une diplomatie économique active et l’Arabie saoudite est également un partenaire potentiel. Notre industrie de l’armement – grâce à Dieu – fonctionne à nouveau. Aero Vodochody a développé de formidables chasseurs de haute technologie. Nous avons donc de quoi offrir au monde et nous l’offrirons. »
L’Arabie saoudite est en effet le troisième partenaire commercial le plus important pour la Tchéquie au Proche Orient. Alors qu’elle est engagée dans un conflit meurtrier au Yémen, elle est également un client significatif des entreprises tchèques exportatrices d’armes, malgré les critiques régulières d’organisations de défense des droits de l’Homme. Fin septembre, le président de la Chambre des députés, Radek Vondráček (ANO), récemment mis en cause pour un voyage à Moscou, effectuait d’ailleurs une visite officielle à Riyad pour encourager le développement de ces relations économiques. C’est ce que rappelle Ivan Bartoš, le président du parti des Pirates, une des formations de l’opposition, pour qui il conviendrait de réévaluer les priorités de la diplomatie économique tchèque :« Depuis un peu plus d’un an, ce régime essaie de montrer un visage plus humain et c’est évidemment complètement faux. Mohammed ben Salmane poursuit la politique de son père dans le cadre de sa dynastie et bâtit un Etat totalitaire. Les droits des femmes y sont réprimés. Il y a un problème avec la liberté de la presse, il y a une censure forte. Il faut discuter avec tous les pays, car le dialogue est l’un des moyens de ne pas faire la guerre, mais il ne faudrait pas considérer uniquement la possibilité de passer des contrats d’armement. »
Ancien ministre des Affaires étrangères et actuel président du comité parlementaire en charge des questions diplomatiques, le social-démocrate Lubomír Zaorálek va dans ce sens :
« Nous avons une sorte de philosophie selon laquelle nous avons de ‘bons dictateurs’ et de ‘mauvais dictateurs’. Un mauvais dictateur, c’est par exemple Bachar el-Assad. Un bon dictateur, c’était Mohammed ben Salmane. »
Pour Lubomír Zaorálek, il serait opportun de revoir cette philosophie, en partie liée, d’après lui, aux difficultés de la diplomatie tchèque à adopter une posture critique face à des pays qui, comme l’Arabie saoudite, sont des alliés des Etats-Unis. L’affaire Khashoggi pourrait bien en être un nouvel exemple.