Rachid Taha : « Les vrais artistes donnent leur avis sur la politique »

Rachid Taha, photo: Anne-Claire Veluire

Personnalité forte et attachante de la scène rock hexagonale, Rachid Taha est mort mercredi dernier à Paris, quelques jours avant son soixantième anniversaire. Très populaire depuis les années 1980, le chanteur compositeur franco-algérien s’est produit à plusieurs reprises dans la République tchèque post-communiste, à Prague, à Trutnov ou à Ostrava, où il a à chaque fois électrisé les spectateurs avec sa musique, mélange de rock, de punk et de mélodies traditionnelles du Maghreb. « Le public d'Europe centrale, c'est mon public », a-t-il affirmé en 2004 au micro de Radio Prague. Nous l’avons ensuite rencontré en 2010, à l’occasion de son concert au Lucerna Music Bar, à Prague. Rachid Taha venait alors de sortir son avant-dernier album, intitulé « Bonjour » et préparé en collaboration avec Gaëtan Roussel du groupe Louise Attaque.

Rachid Taha,  photo: Anne-Claire Veluire
« J’avais envie de faire une sorte d’album country qui fait la trilogie entre l’Orient, l’Afrique et la France…et même une quadrilogie avec les Etats-Unis. Je voulais l’enregistrer à Nashville, mais j’ai commencé à faire des maquettes à Paris. J’ai rencontré Gaëtan. Au départ, je voulais juste faire un duo avec lui puis je me suis rendu compte que l’on avait des points communs sur la musique et je lui ai proposé que l’on réalise tout l’album. J’étais très ami avec Alain Bashung, qui était et qui est pour moi l’un des plus importants musiciens du monde. Il travaillait avec Mark Plati, comme Gaëtan. Je me suis dit que c’était vraiment bien et que ce serait même un hommage. Et c’est comme ça qu’on a fait cet album à Paris et à New-York. »

Vous avez remarqué que vous êtes toujours classé dans la catégorie « raï » en France, alors qu’on vous classe dans d’autres pays tout simplement dans la musique rock. A votre avis, comment êtes-vous perçu ici en République tchèque ?

« J’avais envie de faire une sorte d’album country qui fait la trilogie entre l’Orient, l’Afrique et la France…et même une « Rock ! Rock ! J’ai fait Africa Express avec Damon Albarn, je joue avec Tony Allen, avec le bassiste des Clash, avec Mick Jones, Brian Eno. Cela fait trente ans que je travaille avec Steve Hillage. J’ai chanté avec Robert Plant de Led Zepellin, j’ai travaillé avec Don Was qui est le producteur d’Iggy Pop, de Bob Dylan, des Rolling Stones. J’ai eu le prix du meilleur album en Angleterre. D’après Mojo, d’après The independant, je suis le plus grand rocker du monde. En France, ils font abstraction de tout cela. »

Rachid Taha,  photo: Anne-Claire Veluire
Depuis le célèbre ‘Rock el Casbah’, il est effectivement difficile de ne pas vous classer parmi les vrais rockers. Pourtant, en voyant la pochette de l’album et votre site Internet, tout est très kitch. Ca casse un peu le mythe…

« Non, c’est complètement romantique. Et c’est très punk. Attention, les punks sont des romantiques. Et ils sont kitch. Pour moi, la plus grande star du monde, c’est Elvis Presley. Il n’y a pas plus rocker qu’Elvis Presley. Personne ne l’égale. Et le rock, c’est kitch. »

Actuellement, en France, on connaît le fameux débat sur l’identité nationale. Vous passez votre temps à voyager et on vous interroge beaucoup sur ce sujet, alors j’aimerais surtout vous demander si vous remarquez des différences dans la façon dont on vous interroge à ce sujet selon les pays dans lesquels vous vous trouvez ?

Rachid Taha,  photo: Anne-Claire Veluire
« On m’interroge comme si j’étais un spécialiste. On m’a même demandé d’aller faire une résidence dans une université aux Etats-Unis pour parler de la vie sociale des immigrés. En Tchéquie, il y a des problèmes avec les Roms. En Allemagne, c’est avec les Turcs, en Espagne avec les Marocains, en Italie avec tout le monde. Mais le débat est faussé dès le départ. C’est un faux problème et une manière déguisée de cacher les vrais problèmes et de pointer du doigt les nouveaux monstres. Depuis 2001, les monstres, ce sont les musulmans. Ce que je trouve intéressant, quand on regarde le monde des artistes, c’est que beaucoup sont originaires d’Afrique du Nord. La plus grande architecte, actuellement, est une Irakienne. En France, le plus grand cinéaste, qui a reçu un César, c’est Abdel Kechiche, l’auteur de ‘La graine et le mulet’. ‘Le Prophète’, c’est un Français d’origine algérienne qui a écrit le scénario. Donc, malgré tout, on est encore là. »

Pensez-vous que c’est un rôle de l’artiste ou du musicien de participer aux débats politiques ?

« Non, mais son rôle, c’est de ne pas se cacher derrière un voile. Mais oui, il doit donner son avis, c’est important. Parce qu’il n’est pas anodin. Même quand tu parles d’un plat, ce que tu manges, c’est un avis politique. Je pense que c’est important, qu’il ne faut pas se cacher. Les vrais artistes, comme Zappa, comme Brian Eno, comme Joe Strummer, donnent leur avis sur la politique. Je suis pour. »

Rachid Taha,  photo: Anne-Claire Veluire

Rediffusion du 12/02/2010