« Rafle du billet vert » : des Tchécoslovaques parmi les milliers de Juifs internés en France
Ce vendredi marque le 80e anniversaire de la rafle dite "du billet vert" à Paris, lors de laquelle les autorités françaises ont interné plusieurs milliers de Juifs étrangers. Parmi eux, plusieurs dizaines de ressortissants tchécoslovaques, dont l’un est l’auteur d’une vidéo exceptionnelle filmée dans le camp de Beaune-La-Rolande.
A l’occasion de l’anniversaire de cette rafle du 14 mai 1941, le Mémorial de la Shoah a publié des photographies récemment acquises - et jusque-là inédites - qui documentent avec une certaine précision le début de l’internement des Juifs en France et le début de leur périple vers les camps de la mort. Lior Lalieu-Smadja est la responsable de la photothèque du Mémorial de la Shoah :
« Le Mémorial de la Shoah vient de faire l’acquisition du reportage photo complet de la rafle dite du billet vert et c’est exceptionnel car jusqu’à présent on n’en connaissait que quelques clichés, qui avaient passé la censure – donc la propagande allemande et vichyste de l’époque. Ces 98 photos en tout nous montrent le récit complet de ce qui s’est passé ce jour-là. »
https://webdoc.france24.com/rafle-billet-vert/
Quels clichés vous ont le plus marquée ?
« Je crois que ce qui est vraiment nouveau, c’est le lieu d’arrestation. Le reportage commence au Gymnase Japy, dans le XIe arrondissement, le lieu d’arrestation le plus important puisque 800 personnes se sont présentées ce jour-là. Ce qui est incroyable est que nous voyons les familles entières, qui ont accompagné le mari ou le père. »
« La porte s’est refermée sur le père arrêté et nous voyons l’envers du décor : la plupart du temps des femmes et des enfants bloqués par la police. Certaines ont des mouchoirs, certaines ont des visages angoissés. Les hommes juifs étrangers avaient été convoqués via un billet vert avec obligation de venir accompagné par un proche. Les proches ont été séparés et on leur a demandé de revenir avec une valise et des effets personnels. Les images nous montrent les adieux, des policiers aussi qui encadrent ces personnes. A un moment, les familles sont acculées vers le fond de la rue, bloquées, et les autobus arrivent pour transférer tous ces hommes vers la gare d’Austerlitz à destination de deux camps qui s’ouvrent pour les Juifs à ce moment-là : Pithiviers et Beaune-la-Rolande. »
Il s’agit d’un reportage photo pour la propagande nazie…
« Tout à fait, le soldat de la Propaganda Kompanie est missionné pour couvrir cette rafle. Dans les mêmes pellicules on voit qu’il est à Japy puis à la gare d’Austerlitz avant d’être le lendemain à Pithiviers et à Beaune-la-Rolande et il photographie le début de l’installation de ces hommes dans les baraquements, 1700 à Pithiviers et 2000 à Beaune-La-Rolande. Les visages sont fatigués, émaciés, agars, angoissés. »
Selon les données compilées par Serge Klarsfeld il y avait plusieurs dizaines de ressortissants tchécoslovaques, la majorité de ces hommes étant des Polonais et des apatrides…
« Il y a un rapport de la police française très précis, avec effectivement une centaine de ressortissants tchécoslovaques arrêtés - 157 exactement -, dont Pavel Engelmann. »
Pavel Engelmann, né à Prague en 1905, est l’auteur d’un document exceptionnel, un film tourné à Beaune-La-Rolande…
« Pavel Engelmann a changé son prénom en Paul après son arrivée en 1939 à Paris, où il pensait trouver la paix. Il a été un engagé volontaire pour l’armée tchécoslovaque entre 1939 et 1940 puis quelques mois plus tard, le 14 mai 1941, est donc arrêté à Paris. »
Comment est sorti ce film ?
« C’est une histoire très compliquée que je vous résume : sa sœur et son neveu ont survécu à la déportation et émigré à Londres. En recherchant la trace de son frère, ils retrouvent la fiancé de Pavel et on suppose que c’est à ce moment-là qu’elle lui remet les images que Pavel avait tournées à Beaune-La-Rolande. »
Il y a des images de Prague au début de ce document exceptionnel…
« Oui c’est comme ça qu’on a identifié Pavel Engelmann comme auteur de ces images. Il y a de très belles images de Prague – il est ingénieur chimiste et amateur de cinéma. Et puis de Prague cela s’arrête net et on a ensuite tout à coup des images de Beaune-la-Rolande. Aucune autre image tournée par un interné dans un camp en France n’existe à ce jour. Ces plans sont pris de manière clandestine. On voit l’extérieur et l’intérieur des baraques, les internés souvent de dos. »
« Pavel Engelmann n’a pas survécu. Il est déporté en juin 1942 vers Auschwitz et n’est pas revenu. La dernière trace qu’on a c’est la toute fin de son film, il tourne la caméra vers lui à la manière d’un selfie. C’est extrêmement émouvant. On peut imaginer qu’il a tourné cela pour laisser une trace à sa fiancée. »
Une partie des images tournées à Prague et à Beaune-la-Rolande par Pavel (Paul) Engelman(n) est visionnable ici : https://collections.ushmm.org/search/catalog/irn721928