Rencontre avec Adolf Burger, imprimeur juif contraint par les nazis de devenir faussaire

Adolf Burger, photo: M. Gorner, www.arbeitefotografie.com

C'est un chapitre peu connu de l'histoire de la Deuxième guerre mondiale. Une opération orchestrée par les nazis pour destabiliser l'économie de leurs ennemis et au coeur de laquelle s'est retrouvée Adolf Burger, notre invité aujourd'hui. Né à Velka Lomnica (actuelle Slovaquie), Adolf Burger, 90 ans, vit dans la banlieue de Prague. Son histoire vient d'être adaptée au cinéma. Le film intitulé « Les faussaires » a été présenté le mois dernier à la Berlinale et sort la semaine prochaine en Allemagne.

Typographe de formation, le jeune Adolf Burger entame sa "carrière" de faussaire dès 1939. Dans une imprimerie clandestine du parti communiste, il imprime pendant trois ans des faux certificats de baptême pour sauver ses coreligionaires slovaques de la déportation. Arrêté en 1942 à Bratislava par la garde de Hlinka, il est déporté à Auschwitz avec son épouse, qu'il ne reverra plus jamais après leur descente du train. Il est à Birkenau, où on lui a inocculé le virus du typhus quelques semaines plus tôt, lorsqu'il entend son numéro de matricule convoqué par le chef du camp :

« Il m'a demandé : 'Vous êtes Monsieur Burger'. Moi j'ai bégayé 'oui', parce qu'ils ne nous appelaient jamais par nos noms dans ce camp, seulement par nos matricules. Et puis il a demandé 'Vous êtes typographe ?' et j'ai répondu à nouveau 'oui'. Alors il s'est levé et a dit : 'M. Burger, vous allez demain à Berlin, où on a besoin de gens comme vous, d'imprimeurs. Vous allez à nouveau pouvoir travailler comme un homme libre !'. Je n'ai pas cru un mot de ce qu'il m'a dit, parce que le camp de Birkenau était sous l'ordre « N.N », Nacht und Nebel - Nuit et brouillard - ce qui signifiait que personne ne devait en sortir vivant. »

Dès le lendemain matin, Adolf Burger est mis en quarantaine avec sept autres imprimeurs juifs. Une fois assurés qu'ils n'étaient pas malades, les SS les font monter dans un train pour la capitale du Reich. La destination finale n'est pourtant pas Berlin, mais le camp de concentration de Sachsenhausen, en bordure de la ville :

« Et c'est ainsi que je me suis retrouvé dans la plus secrète des affaires des nazis, l'atelier de contrefaçon des SS, dans les blockhaus 18 et 19. On était 140, que des Juifs qui auraient tous dû être liquidés et partir en fumée, mais finalement ça s'est passé autrement... »

Pendant deux ans, Adolf Burger et les 139 autres imprimeurs vont fabriquer des billets de banques, des faux documents et des timbres. Des Livres sterling d'abord, en énorme quantité, fabriquées dans cet « atelier du diable », dans le cadre de l'opération Bernhard, élaborée par le régime hitlérien pour ruiner l'économie britannique. Une opération tellement secrète que même le chef du camp de Sachsenhausen ne connaissait pas l'existence de l'atelier. Quand les imprimeurs sortaient pour aller se laver - parce que les nazis les envoyaient se laver une fois par semaine pour ne pas qu'ils ne tombent malades - tout le camp était fermé, aucun détenu n'avait même le droit de regarder par la fenêtre :

« 131 millions de Livres sterling, des passeports anglais, américains, suisses, contre les soviétiques on faisait des cartes du NKVD, et des documents du monde entier pour les espions nazis. Et puis ils ont commencé à vouloir faire des dollars. Mais pour faire des dollars, il fallait une technique différente. Et le seul acte de sabotage qu'on a pu faire a été de retarder de quelques semaines la fabrication de la gélatine nécessaire. Mais on n'a pas pu retarder longtemps parce qu'ils nous ont menacé de mort. Et les deux premières centaines de billets qu'on a fabriquées était parfaites... mais c'était trop tard pour eux, les Russes étaient à 150 km de Berlin. »

Transporté de camp en camp à travers le Reich avec les autres imprimeurs et l'atelier en pièces détachées, Adolf Burger arrive d'abord à Mauthausen, puis finalement à Ebensee, où les nazis voulaient les exterminer. Mais, en ce début du mois de mai 1945, les Américains sont à quelques kilomètres, et les résistants autrichiens crèvent les pneus des camions qui doivent les emmener vers la mort...

De retour à Prague après sa libération, il raconte à la police tchécoslovaque les détails de la plus grosse opération de contrefaçon de billets de banque de l'Histoire.

« Les Anglais ont interdit que l'on parle de toute cette affaire au procès de Nuremberg. L'économie britannique aurait fait faillite si cette affaire avait éclaté au grand jour après la guerre. Les gens n'ont jamais su jusqu'à aujourd'hui qu'autant de livres sterling avaient été contrefaites. Maintenant que le film sort en salles, les gens vont apprendre que les nazis n'étaient pas seulement des meurtriers mais aussi des faussaires, cétait mon but et je l'ai atteint. »

Le film inspiré du livre « L'atelier du diable », écrit par Adolf Burger, réalisé par l'Autrichien Stefan Ruzowitzky et intitulé « Die Fälscher » (Les Faux-monnayeurs), sortira sur les écrans de différents pays européens, en commençant par l'Allemagne, la semaine prochaine. Adolf Burger, dont le personnage est interprété par August Diehl dans le film, continue lui de raconter son expérience dans les écoles et universités allemandes, tout en restant discret sur sa vie après la guerre.

En 2002, la chaîne de télévision américaine CBS a organisé une fouille du lac de Töplitz dans les Alpes autrichiennes. Des cartons entiers de billets, fabriqués dans « l'atelier du diable » et jetés à l'eau par les nazis en déroute, ont été retrouvés par les plongeurs. Adolf Burger était présent, il conserve toujours chez lui quelques exemplaires des billets qu'il avait fabriqués 60 ans plus tôt. A sa connaissance, ils sont aujourd'hui seulement deux anciens faussaires de l'atelier du diable encore vivants aujourd'hui.