Rencontre avec Iva Drápalová, correspondante de l’agence AP à Prague pendant la normalisation
Plus d'un millier de pages. Le dossier d’Iva Drápalová tenu par la police communiste tchécoslovaque (StB) contient 1 100 pages. Elle dit qu’il y en a encore 400 qu’elle n’a pas pu récupérer. Pendant vingt ans, pendant la période tristement connue sous le nom de normalisation, Iva Drápalová a été la correspondante de l’agence de presse américaine Associated Press (AP) à Prague.
L’anglais, elle l’avait appris pendant la guerre, qu’elle a passée éloignée de sa famille dans un internat britannique puis à l’Université d’Edimbourg. Revenue en 1946, elle se consacre surtout à la traduction. Comme tous ceux qui reviennent de l’Ouest, elle est soupçonnée par les communistes arrivés au pouvoir. Elle refusera de prendre sa carte du parti malgré tout. Et c’est juste après l’écrasement du Printemps de Prague que l’agence AP lui propose du travail, d’abord en tant que traductrice puis en tant que correspondante permanente.
« J’étais d’une certaine manière terriblement naïve, je m’en rends compte maintenant lorsque je lis ce que la StB écrivait sur moi. En fait, j’étais tout le temps à deux doigts de me faire arrêter. Mais je n’étais pas au courant. Je me disais juste qu’il fallait que je fasse attention à ne rien faire d’illégal. La situation était bien différente de celle des années 50, quand il n’y avait pas de contact avec l’Ouest. Quand j’ai commencé à travailler pour AP, Prague avait déjà des lignes téléphoniques directes, ce que Vienne n’avait pas encore. Donc les dissidents pouvaient communiquer directement avec l’extérieur, ils n’avaient pas besoin de moi. Ce que j’ai fait et ce que ne faisait aucun autre journaliste ici, c’est que je prenais toute la presse, quotidienne, hebdomadaire, régionale, municipale. J’avais plein de choses, que le gouvernement ne voulait pas forcément voir sortir, des infos que je trouvais par exemple dans les titres Průboj, Svoboda, et d’autres... »« J’étais quotidiennement en contact avec l’ambassade américaine et ne le cachais pas comme se cachait mon prédecesseur, qui n’utilisait jamais le téléphone du bureau. Je faisais cela ouvertement et en même temps faisais très attention à ce que je faisais. Dans les cas exceptionnels, je me rendais à Vienne et disais à mes supérieurs qu’ils feraient bien de s’intéresser à telle personne ou tel événement. Eux savaient qui appeler et je n’avais pas à faire l’intermédiaire. »
Entre 1968 et 1988, la StB va surveiller de très près la journaliste, avec zèle mais les agents en charge n’étaient pas vraiment des fins limiers. Et leur bêtise fait encore rire Iva Drápalová :
« Ils étaient tellement bêtes... Il y a de vraies perles dans mon dossier. Par exemple, le philosophe Zdeněk Neubauer est venu me voir à mon bureau. Eux ne connaissaient même pas le nom, et quand ils ont su qu’un « docteur Neubauer » m’avait rendu visite, ils ont commencé à suivre un certain M. Neubauer, docteur à Bruntal ! Autre chose : notre maison de campagne est située dans un village où deux chalets portent la même adresse, eh bien quand leurs informateurs – qui étaient mes collègues – leur ont donné l’adresse, ils ont surveillé et photographié le mauvais chalet et ça a duré des années ! »
Iva Drápalová n’est pas une mondaine, il lui fallait pourtant se rendre dans les cocktails organisés par les ambassades occidentales. Pas pour les Ferrero mais pour les infos qu’elle pouvait y obtenir :
« Dans ce genre de réceptions et cocktails, les dissidents tchécoslovaques étaient eux aussi invités. Je me souviens de la fois où j’ai parlé avec Václav Havel. Il venait d’écrire sa longue lettre qu’il avait mise à disposition des journalistes. Je lui ai dit : ‘Votre lettre est trop intelligente et trop longue pour des journalistes...’. Il a rigolé et m’a dit : ‘Bon la prochaine fois je ferai plus court...’. Mais en général ça n’avait aucun sens de communiquer avec les dissidents dans ce genre d’endroits parce qu’il y avait des espions partout. »
« Ceux que je rencontrais parfois car ils étaient aussi mes amis, c’était par exemple Hejdánek ou Šimsa. Et puis aussi Božena Komárková, l’une des figures les plus importantes de la dissidence, qui était à Brno. A chaque fois que j’allais à Brno, je descendais à l’hôtel Avion, et la StB installait à chaque fois tout un tas d’équipements d’écoute, mais je n’ai jamais passé un coup de téléphone de là-bas... En revanche, tous les jours j’allais voir Božena Komárková qui me donnait toutes les nouvelles sur la dissidence à Brno. »
En 1988, Iva Drápalová arrête son travail pour AP, mais continue de travailler en freelance pour des journaux américains, dont le Los Angeles Times. Elle est encore au premier plan pour observer la couverture médiatique de la révolution de velours. Et elle se rappelle que c’est une dépêche de l’agence tchécoslovaque CTK mal interprétée à l’étranger qui a acceléré les choses :
« Ils ont envoyé une dépêche à Londres rapportant les propos du premier ministre tchécoslovaque qui voulait - très progressivement – libérer les relations avec l’étranger. Mais l’agence Reuters a écrit que la Tchécoslovaquie ouvrait ses frontières ! Tout le monde a suivi, tous les correspondants étrangers étaient à Berlin, cela faisait une semaine que le mur était tombé, ils ont tous pris leurs affaires et ont débarqué à Prague ! »
Arrive le 17 novembre, et Iva Drápalová est déjà couchée lorsque son téléphone sonne :« D’un coup mon téléphonne sonne et j’entends ‘Iva on est à l’hôpital, on s’est fait tabasser pendant la manifestation’ : je suis allée à l’hôpital Na Františku, où il y avait le correspondant du Los Angeles Times dont le manteau était couvert du sang de son collègue Pauli Buterini qui s’est retrouvé avec 16 points de suture sur la tête... Mais grâce à la présence de tous ces journalistes la révolution a pu avoir lieu ! Sans eux, nous avions déjà eu des manifestations, mais d’un coup le monde entier a pu apprendre et voir ce qui se passait à Prague, et tout s’est enclenché... »