Rose Réglat : « Je n’arrive plus à jouer du piano seule, il me faut un partenaire »
Rose Réglat est pianiste et professeur au Conservatoire de Bordeaux, où elle accompagne les classes de danse, tout en étant chef de chant aux Amis du Grand Théâtre de Bordeaux. Le dimanche 13 mai, Rose Réglat et la soprano tchèque Stella Marisová ont donné un concert au Mesnil St-Martin, près de Bordeaux, organisé en hommage à l’ancien président Václav Havel. Une occasion pour Radio Prague de rencontrer Rose Réglat, une passionnée de la musique tchèque…
« J’étais la seule à faire de la musique. Nous avions, dans le salon, le piano à queue de ma grand-mère et je crois que dès que j’ai su marcher, j’ai mis mes mains dessus. Mes sœurs chantaient beaucoup de variété et je les accompagnais. Pour moi, le piano a certainement été un refuge, un petit endroit où je pouvais me cacher. »
Quel a été donc votre parcours artistique ?
« J’ai travaillé à Paris avec un professeur qui était ami avec Yvonne Lefébure, une excellente pédagogue. Cet enseignement n’était pas basé sur la brillance et la vélocité, mais sur l’harmonie et la technique du son. Ensuite, à Bordeaux, je suis allée en Faculté de musicologie et j’ai intégré le Conservatoire de Bordeaux comme professeur de piano. Ensuite, je suis devenue accompagnatrice des classes de chant et, depuis quelques années, je suis accompagnatrice des classes de danse. C’est différent, parce que le travail avec les danseurs et basé sur l’improvisation. Mais je m’occupe toujours des chanteurs, parce que je les aime beaucoup. Moi-même, j’ai fait du chant, j’ai travaillé la technique vocale… Mon travail a donc beaucoup tourné autour du chant, ce n’était plus le piano pur. D’ailleurs, je n’arrive plus à imaginer jouer du piano seule, il me faut un partenaire. »
Justement, quelle est la spécificité de ce travail d’accompagnement ?
« Il y a deux choses. D’abord l’accompagnement pur, dans un récital, donc le travail pianistique qui vous concerne. Mais il est vrai que l’on peut donner des conseils à un chanteur quant à l’ordre des concerts, à savoir comment est-ce qu’il va équilibrer son récital pour ne pas trop se fatiguer. Lors du récital, quand on sent qu’on peut l’aider à avancer, le soutenir, le rassurer… c’est une partie très psychologique du travail d’accompagnateur. En fait, il est à la fois une mère et un père du chanteur. Par contre le travail de chef de chant, c’est encore autre chose. Il s’agit d’un travail sur les rôles. Il faut donner des références concernant la tradition dans l’opéra, expliquer comment se chante le bel canto italien qui est différent de l’opéra allemand… Comment faire pour que le parcours soit possible dans un opéra entier. Cela ressemble à un parcours sportif : quels sont les endroits où l’on peut se reposer et quels sont les moments où, contrairement, il faut y mettre un coup. Il ne faut pas oublier le travail sur la langue de l’opéra, sur les accents toniques… »Quels sont les chanteurs avec qui vous aimez travailler et qu’appréciez-vous chez eux ?
« J’ai aimé travaillé avec une mezzo-soprano qui a été une très belle Charlotte dans Werther, elle a aussi beaucoup chanté Carmen. J’étais sa chef de chant. Elle avait une belle voix, mais pas extraordinaire. Elle a été extrêmement musicienne. Lors des récitals, j’arrivais totalement à être en fusion avec elle. C’était étonnant. Comme si j’avais son corps en moi quand elle chantait, au niveau respiratoire et de la longueur des phrases. Avec les chanteurs avec qui j’aime travailler, nous ne sommes pas unis uniquement par leur voix. Ce sont des musiciens, des instrumentistes. La voix, le son, cela ne suffit pas. Il faut qu’ils disent quelque chose, ou musicalement ou dans le texte. »
Stella Marisová, soprano tchèque installée à Bordeaux, fait partie des chanteurs avec qui vous travaillez régulièrement…
« Stella m’a surtout ouvert les portes de son pays. Grâce à elle, j’ai découvert une musique que je ne connaissais pas, basée sur des rythmes que nous n’avons pas en France. Ici, nous n’avons pas le style populaire. Même chez Martinů, j’ai découvert une musique avec des contretemps. C’est une musique qui paraît simple, mais qui n’est pas si simple que ça. En ce qui concerne Dvořák, je connaissais les Chats tziganes, mais pas du tout ses mélodies dans le style populaire. Avec Stella, j’ai découvert aussi des compositeurs actuels qui écrivent pour elle. Il est très intéressant pour moi de pouvoir travailler avec des partitions contemporaines qui arrivent directement de Tchéquie. En plus, Stella m’a proposé, en 2001, de faire des concerts avec elle en République tchèque, c’était une grande aventure… »Quels sont les souvenirs que vous avez gardés de ce séjour ?
« Nous avons fait beaucoup de choses, nous avons visité des châteaux… J’avais été logée par un couple à Hradec Králové. Lui était ingénieur, elle était professeur de piano au conservatoire. J’avais été frappée par la manière dont le régime communiste les avait marqués. On voyait que c’étaient des gens qui avaient eu peur pendant longtemps. A huit heures et demie du soir, ils m’ont reconduite dans ma chambre, ils m’ont dit au revoir et ils sont allés regarder la télévision. Evidemment, pour moi, Française, le fait de ne pas avoir été reçue dans leur salon et de ne pas bavarder… C’était très étonnant ! En même temps, ces gens-là étaient totalement charmants. »
Depuis, vous n’êtes plus retournée en République tchèque ?
« Non, mais ce que j’ai gardé, c’est la prononciation tchèque. Quand moi-même je chante ou j’accompagne quelqu’un qui chante en tchèque, je m’aperçois que la langue m’est restée dans l’oreille. Parfois, je suis quand même obligée d’appeler Stella pour m’assurer. »
Quels sont alors vos compositeurs tchèques, vos œuvres préférées ?
« J’aime beaucoup Dvořák. J’ai beaucoup joué les Danses slaves à quatre mains, encore l’année dernière. A l’occasion de ce concert, Stella m’a donné des partitions de Smetana que je ne connaissais pas du tout. Janáček, on ne le joue pas beaucoup non plus. Nous connaissons ses opéras, mais sa musique pour piano a été pour moi aussi une découverte. C’est toujours un peu difficile : il faut rentrer dans cette musique qui diffère complètement de la musique française ou allemande. Par exemple, tout d’un coup, brutalement, on a une mesure à un temps… Ces choses-là sortent de la tradition pianistique. Pour un musicien, c’est très surprenant et très intéressant. »